• Aucun résultat trouvé

LA DÉLICATE DÉTERMINATION CATÉGORIELLE DU DROIT AU DÉVELOPPEMENT

107. Classification normative du droit au développement. Le but d'une classification

juridique est de distinguer les catégories auxquelles appartiennent les actes, ainsi que les normes y contenues ; et par suite, le régime spécifique qui leur est applicable391. En outre, la classification induit une volonté de juste positionnement de la norme au sein d'un ordre international peu hiérarchisé, en fonction des diverses relations multilatérales et bilatérales.

Démarche classique dans sa mise en œuvre, concernant le droit au développement cette heuristique confinait au défi métaphysique lors de ses premiers balbutiements, il y a plus de trente ans. En effet, une fois passé le stade de l'intuition morale et du sentiment inné de justice comme fondements de cette norme naissante392, les juristes se trouvaient bien en peine d'établir leurs démonstrations à partir de textes reconnaissant nommément un droit au développement393, préalable à toute démarche s'inscrivant dans le droit positif.

108. Un intérêt juridique à subjectiviser. C'est en effet le premier jalon commun du droit

au développement que de déterminer si le développement, devenu pleinement en soi un intérêt poursuivi par les sujets du droit international, est passé du stade d'un intérêt politique à celui d'intérêt juridique, fondé sur des textes et constitutif d'obligations. Ces dernières forment des droits, soit entre les Parties de façon générale, soit à l'égard de bénéficiaires spécifiquement déterminés, transformant l'intérêt de développement (lequel recueille, quant à son existence, l'approbation consensuelle des États et des organisations internationales) d'un statut déclaratif à un statut exigible. C'est une translation féconde qu'il importe d'analyser à titre préalable, puisqu'il s'agit du passage d'un stade originel et anarchique où le développement n'est rien de plus qu'un octroi (celle de l'intérêt politique) vers une catégorie plus clairement identifiable qui en fait du droit, voire un droit : celle de l'intérêt juridique.

Ce mouvement se ressent dans l'évolution même du droit international vis-à-vis du concept de développement, qui connaît un affinement et une exigence accrus dans les textes contemporains par rapport à la mention très générale qui a pu en être faite dans la doctrine jusnaturaliste ou dans les premiers documents de la SDN à ce sujet394.

Cette première détermination catégorielle, qui porte sur la nature juridique substantielle du droit au développement, en appelle une seconde par voie de conséquence. 391 RANJEVA, R. & CADOUX, C., Droit international public, Vanves, EDICEF, 1992, p. 35.

392 Cf. Introduction générale de cette thèse, sect. 2, notam. la doctrine sociale de l’Église. 393 Hormis la Déclaration sur le progrès et le développement dans le domaine social de 1969.

394 Le développement s'y résumait généralement à la recherche de la « prospérité générale » ou bien la mise en

C’est celle de la nature juridique fonctionnelle de ce droit et de son rattachement intuitu

personæ, ballotté de façon apparemment indistincte et contradictoire entre les États, les

peuples et les individus. Cette confusion est par ailleurs entretenue par la multiplicité des cadres conventionnels des activités de développement – bilatéraux, régionaux et multilatéraux. La multiplicité de ces supports normatifs témoigne parallèlement de la vitalité recouvrée du questionnement sur le droit au développement, et de la diversité des voies suivies pour le renforcer comme prérogative juridique.

109. Transformations juridiques de la cause de développement. L'enjeu est donc de rendre

compte de la remarquable transformation juridique des fonctions du développement en droit positif, dépassant le statut variable d'un but dans les relations internationales pour atteindre le rang de droit subjectif (section 1), puis d'en dessiner les contours en déterminant sa qualité et son rôle parmi les normes juridiques (section 2).

Section 1 : D’un but à un droit – juridicisation et subjectivisation du

développement en droit positif

110. Des mentions nombreuses, aux connotations juridiques variées. Le développement

est admis comme un but, établi dans des textes juridiques internationaux, ainsi que dans des textes de droit interne ayant une implication internationale marquée. Pour les États bailleurs de fonds, par exemple, les lois relatives à l'aide extérieure au développement expriment explicitement cette juridicisation de l’objet « développement » dans les relations interétatiques, comme un but assorti de conditions et d’effets attendus.

Par suite, à partir de ce socle normatif, se forme un véritable intérêt juridique à la réalisation du développement. Ce sont les premières sources d'une conception normative du développement, celui-ci étant appréhendé comme un objet juridique comportant des éléments identifiables, duquel peut découler un droit subjectif à ce développement plus ou moins sommairement décrit, en fonction du contexte spatio-temporel.

Encore parfois pensé de nos jours comme une succession d'échelons à franchir, au médian du XXe siècle le développement se définissait quasi-exclusivement en termes de comparaison, comme un remède à un retard économique. Celui-ci était causé soit par les « destructions de la guerre », soit par un « sous-développement endémique » de populations ayant vocation à s'intégrer dans les relations mondiales, via notamment le commerce international. Dès lors son appréhension juridique en tant qu'objet paraît relativement simple à mesurer, s'estimant comme un rattrapage matériel. Malgré un certain paternalisme induit par cette inégalité réelle, définie en fonction d'un modèle à atteindre, l'objet « développement » est devenu dans le même temps la finalité d'une esquisse de justice sociale interétatique.

Les perceptions contemporaines changent avec l'expansion et l'adaptation du but de développement à des situations factuelles de plus en plus variées, et à des sujets de droit international, les États. Ces sujets du droit international disposent d'une égalité formelle, mais sont très hétérogènes politiquement et structurellement. Il y a, en matière de développement, substitution d'un principe plus général d'équité et de redistribution (matérielle, technique, culturelle) au seul rattrapage d’autrui, Ce développement vise non plus à une copie exogène, mais à un épanouissement propre et endogène.

Le but de développement devient lors très polymorphe, et se rapproche de la finalité du droit à l'autodétermination, sous la forme d'une réaffirmation du « droit inaliénable de

toutes les nations de poursuivre librement leur développement économique et social »395.

111. Un intérêt de tous générant un droit subjectif. Au-delà de ces acceptions mêmes, le

développement, en vertu des articles 55 et 56 de la Charte de 1945, est devenu la cause première de la coopération internationale, étant à la fois à son origine et son aboutissement. Et ce alors même que la majorité numérique des États n'avait pas encore basculé en faveur du Tiers monde au sein de l'ONU.

C'est donc le succès du développement comme objet juridique qui fonde le droit au développement. Le développement est devenu l'une des trois causalités universelles du droit des gens, tel que le SGNU en a lui-même élaboré la doctrine396 (§I).

Cette causalité de développement dans l’action publique, qui génère du droit et des droits, est liée à la nécessité commune de la coopération au regard de la société internationale actuelle, puisque « chacun a droit à la sécurité et au développement »397. Suscitant par conséquent la création autant de droit originaire que de droit dérivé, cet intérêt juridique au développement, au contenu souple, est amené à se solidifier par la formation d'une obligation internationale de moyen (§II).

Ce moyen obligatoire au service du développement amène in fine la possibilité, pour ses créanciers, de réclamer le bénéfice des « règles universelles d'un développement

économique et social durable »398.

Outline

Documents relatifs