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L'interconnexion entre humanité, dignité et développement L’Église ne nie pas

Section 1 : Substrat et genèse du droit au développement

23. L'interconnexion entre humanité, dignité et développement L’Église ne nie pas

pour autant l’importance de l’économie102. Elle insiste sur le fait que le développement ne procède pas exclusivement de cette matière ; une telle conception serait dégradante pour la

96 Ibid.

97 Pacem in Terris, in FILIBECK, G. (éd.), Le droit au développement : textes conciliaires et pontificaux (1960-

1990), Rome, Conseil pontifical « Justice et Paix », 1991, p. 23.

98 Ibid., p. 24 : « Puisque les communautés politiques ont droit à l’existence, au progrès, à l’acquisition des

ressources nécessaires pour leur développement, [...] on en conclura qu’elles sont obligées à titre égal de sauvegarder chacun de ces droits et de s’interdire tout acte qui les léserait. »

99 Ibid., p. 24 : « Dans leurs rapports privés, les hommes ne peuvent poursuivre leurs intérêts propres au prix

d’une injustice envers les autres ; pareillement, les communautés politiques ne peuvent légitimement se développer en causant un préjudice aux autres ou en exerçant sur elles une pression injuste. »

100 Ibid., §11.

101 Ibid., p. 25. Le Catéchisme de l’Église catholique, en 1882, considérait déjà qu’il est « impossible de

promouvoir la dignité de la personne si ce n'est [en s'assurant de] leur croissance sociale effective. »

102 Pie XII, « Message radiodiffusé de Pentecôte 1941 », AAS 33, 1941, p. 200 : « L'économie nationale [...] ne

tend pas non plus à autre chose qu'à assurer sans interruption les conditions matérielles dans lesquelles, pourra se développer pleinement la vie individuelle des citoyens. Là où cela sera obtenu, et de façon durable, un peuple sera, en vérité, économiquement riche, parce que le bien-être général, et par conséquent le droit personnel de tous à l'usage des biens terrestres, se trouve ainsi réalisé. »

dignité de la personne103. Le Saint-Siège a ainsi énoncé le « sens intégralement humain »104 du développement. La formule est ambitieuse et PAUL VI, qui consacre au droit au

développement une encyclique (Populorum Progressio, 1967), pose ce principe : « le

développement ne se réduit pas à la simple croissance économique. Pour être authentique il

doit être intégral, c'est-à-dire promouvoir tout homme et tout l'homme »105. Le pape fait donc

du développement un processus éthique, ouvrant tous azimuts les perspectives de réalisation du droit subjectif qui lui est attaché.

En effet, par le vocable « développement » est entendu non seulement l’élévation matérielle de tous les peuples, la sustentation des besoins a minima des individus, mais aussi le projet de « construire une vie digne », ouvrant des opportunités.Cette dignité progressiste de la vie humaine est porteuse de sens, à la fois en termes d’éthique et de droits dits

fondamentaux, qui le sont parce qu’ils procèdent de la qualité même d’être humain106. Mais ce

vocabulaire est également révélateur d’une problématique qui imprègne le débat sur le droit au développement : celle de la signification concrète des termes utilisés. La dignité humaine est une matrice supérieure admise par tous, dans l’absolu de l’abstraction, mais fort ambiguë dès qu’il s’agit de la ramener dans le siècle. PAUL VI l’a définie comme la « valeur » de la vie

humaine, chose inestimable en soi. Il faut sans doute arrêter là la quête d’une définition précise, qui serait vaine107. L’important est qu’il y ait consensus universel sur un principe intuitif que le droit doit servir, à savoir le plein exercice des droits attachés à la personne et son épanouissement108. Le développement et la dignité sont donc intrinsèquement associés dans la pensée catholique, et ce rapprochement est la pierre de fondation de ce qui a été désigné comme la « charte chrétienne des droits de l’homme »109, où le droit à l’existence et à un niveau de vie décent sont les premiers droits110.

103 Jean-Paul II, Centesimus annus, lettre encyclique, Rome, 1er mai 1991, §32 : « Aujourd'hui plus que par le

passé peut-être, on reconnaît plus clairement la contradiction intrinsèque d'un développement limité au seul aspect économique. Il subordonne facilement la personne humaine et ses besoins les plus profonds aux exigences de la planification économique ou du profit exclusif. »

104 Ibid.., §29.

105 Paul VI, Populorum progressio, lettre encyclique, Rome, 26 mars 1967.

106 MENKE, Ch., « De la dignité de l’homme à la dignité humaine : le sujet des droits de l’homme », Trivium –

revue franco-allemande de sciences humaines et sociales, n°3, 2009, §§4-5.

107 Ibid., p. 2 : « Il y a un principe, reconnu universellement dans son abstraction et qui acquiert par là valeur

d’absolu : c’est la dignité humaine. Elle est l’intuition première et fondamentale des droits de l’homme [...]. On y dénonce pourtant un concept pourtant flou, qu’on peine seulement à définir. [...] A vouloir définir a priori chaque mot, on se situe fatalement dans une chaîne qui remonte de concept en concept et qui, comme le dictionnaire, finit par tourner en rond. »

108 Pacem in Terris, préc. note 97, §122 : « Les peuples pauvres, en améliorant leur situation matérielle,

parviendront à un degré de développement permettant à chacun de mener une existence plus humaine. »

109 THOMASSET, A., « La réappropriation catholique de la tradition des droits de l’homme. Du refus à la

justification », in GOUJON, P. (dir.), 1840-1960 : Guerre et Paix. Une lecture philosophique et théologique, Paris,

Éditions des Facultés jésuites de Paris, 2013, n°172, p. 280.

Cette primauté conceptuelle du droit au développement ne lui confère pas de supériorité juridique sur les autres droits de la personne. Il ne s'agit que de souligner l'impérativité de sa réalisation, en soi, puisque selon JEAN-PAUL II, « le développement est le

présupposé même de l’exercice concret des droits de l’homme »111. C'est la fondamentalité du

développement, issue de la loi naturelle, qui a permis la réconciliation entre l’Église et la théorie des droits de l'homme, qu'elle s'est appropriée au nom de la justice sociale112 et d’une « vocation à la croissance »113 de l’être humain. Preuve de cette réconciliation, l’Église a postulé le première qu'un processus de développement n'était valable que s'il intégrait les droits de l'homme, au point d'en faire le critère d'un authentique droit au développement :

« On doit reconnaître ce droit dans l’interpénétration dynamique des droits humains

fondamentaux sur lesquels se fondent les aspirations des individus et des nations »114.

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