• Aucun résultat trouvé

Le caractère 'fuyant' de la notion d'explication, qui ne cesse d'échapper aux tentatives de formalisation (cf. chapitre I), a imprégné la structure de la présente recherche sous forme d'un mouvement de va-et- vient entre réflexions théoriques, méthodologie et analyses. La démarche de la recherche est envisagée comme un processus d'exploration lors duquel les outils d'analyse sont élaborés et (re)construits progressivement. En ce sens, la méthodologie n'est pas un ensemble de règles fixées une fois pour toutes mais fait partie intégrante de la recherche: les réflexions théoriques, méthodologiques et analytiques s'influencent et se déterminent mutuellement, de telle sorte que la méthode est en même temps un pré-requis et un produit de l'analyse (cf. Vygotski, 1978: 65, pour une vision similaire à propos des études en psychologie de l'interaction). Cette interdépendance mutuelle des plans théorique, méthodologique et analytique implique par exemple de ne pas écarter a priori des travaux (notamment sur l'explication) pour la seule raison qu'ils n'ont pas été menés dans une perspective interactionniste. La confrontation des points de vue permet en effet d'affiner la réflexion méthodologique et de construire des outils pour l'analyse:

Le discours-en-interaction est un objet complexe, comportant différents 'niveaux', 'plans' ou 'modules'. Pour en rendre compte de façon satisfaisante, on doit donc se 'bricoler' une boîte à outils diversifiée, plutôt que de s'enfermer dans un modèle dont l'opérativité se limite à certains niveaux seulement, au risque de se rendre aveugle aux autres aspects du fonctionnement de l'interaction. En d'autres termes, il s'agit de revendiquer l'éclectisme ou le syncrétisme

méthodologique, c'est-à-dire le recours contrôlé à des approches différentes mais

complémentaires. (Kerbrat-Orecchioni, 2005: 22)

Ce relatif éclectisme a pour but d'enrichir les analyses en abordant les données sous différents angles. Pour maintenir la cohérence des analyses, il est néanmoins nécessaire d'adopter un cadre général pour la recherche ainsi que des principes méthodologiques clairs. La présente recherche prend l'analyse conversationnelle comme cadre dans lequel aborder l'explication. Les principes méthodologiques qui guident la recherche sont inspirés de l'analyse conversationnelle ainsi que de l'approche dite holistique (van Lier, 1988) ou écologique (Pallotti, 2002) de l'apprentissage des langues secondes. Le recours à des travaux s'ancrant dans d'autres cadres est plus ponctuel et influence la recherche de façon moins prononcée. Par exemple, l'analyse de la structure interne des longs tours de parole (multi-unit turns) des élèves emprunte parfois à des travaux en analyse du discours s'intéressant à la hiérarchisation des constituants (p.ex. Schiffrin, 1987). En outre, bien que l'analyse conversationnelle soit fondamentalement qualitative (la quantification n'est pas exclue mais considérée 'prématurée', selon Schegloff, 1993; cf. chapitre II, point 4.), les analyses de la présente recherche sont en partie quantitatives (cf. chapitres VI et VII).

Les principes méthodologiques à la base de ma démarche analytique sont les suivants:

1) Dans l'approche écologique, et également en analyse conversationnelle, les données recueillies sont non expérimentales. Le chercheur doit influer le moins possible sur le 'milieu' observé afin que les données recueillies puissent être qualifiées d'"écologiquement valides" (Pallotti, 2002: 166). Les données utilisées dans la présente recherche ont été recueillies de manière à minimiser autant que possible l'influence des enregistrements sur le déroulement des interactions (cf. point 4.2 infra).

2) La méthodologie adoptée doit être transparente pour le lecteur et le matériel (c.-à-d. les données) accessibles, de telle sorte que d'autres chercheurs puissent refaire les analyses étape par étape (Py, 2000; Seedhouse, 1995; Silverman, 2005). Selon Silverman (2005), pour qu'une recherche soit valide, l'intégralité du matériel dans sa forme d'origine doit être disponible et les critères de catégorisation et de généralisation explicités (p.ex. un phénomène présenté comme 'fréquent' ne peut être simplement illustré par un exemple: son caractère 'fréquent' doit être démontré). La fiabilité de la recherche dépend quant à elle du degré de consistance avec lequel plusieurs chercheurs analysent de la même manière une même occurrence: pour que la recherche puisse être analysée et reconnue fiable, il est donc nécessaire de donner à voir la manière dont les occurrences ont été analysées et/ou catégorisées. Dans le présent travail, chacune des étapes de l'analyse fait l'objet d'un chapitre distinct: les analyses du chapitre VI mènent à des résultats sur lesquels s'ancrent les analyses du chapitre VII et ainsi de suite. La manière dont les explications ont été identifiées et catégorisées fait l'objet d'une présentation détaillée. Les analyses sont menées pas à pas et présentées dans un style qui se veut accessible (non-jargonnant), de telle sorte qu'elles puissent être comprises par un public relativement large (c.-à-d. par la communauté scientifique mais également par les enseignants et formateurs d'enseignants). Des tableaux présentant la collection des phénomènes étudiés, logonymes et explications, sont disponibles en annexe, de même que la totalité des transcriptions des données. Les données brutes (enregistrements audio et vidéo) ne sont cependant pas annexées pour des raisons de confidentialité50.

3) Les analyses ne se centrent que sur des phénomènes observables dans les données. Ce principe va de pair avec le précédent: les analyses ne peuvent être refaites par d'autres chercheurs que si elles portent sur des phénomènes observables. En analyse conversationnelle, les intentions, les états mentaux et les statuts non thématisés dans l'interaction (p.ex. la profession d'un participant, son âge, son origine ethnique, etc.) ne sont pas pris en compte. Dans la présente recherche, ce principe implique par exemple d'analyser la manière dont les participants 'mettent en scène' (en anglais, display) un problème de compréhension. Le caractère effectif, potentiel, voire feint du problème ne peut souvent pas être déterminé: dire 'je ne comprends pas' n'implique pas nécessairement la présence d'un problème 'réel' de compréhension. Ce type d'énoncé doit donc être abordé en tant que mise en

scène d'un problème et non en tant qu'indicateur d'un problème.

4) Les analyses doivent être menées dans une perspective émique (principe de base de l'analyse conversationnelle, cf. chapitre II, point 3.), c'est-à-dire en adoptant le point de vue des participants. Dans la présente recherche, ce principe implique que l'identification des explications soit opérée selon des critères émiques, de telle sorte que la catégorisation d'un segment d'interaction comme étant une explication corresponde à la catégorisation des participants.

5) Dans une perspective écologique de l'apprentissage des langues secondes, les analyses doivent être à la fois 'microscopiques' et 'macroscopiques' ou 'télescopiques' (Pallotti, 2002: 191; van Lier, 1988: 16). Les analyses de microphénomènes doivent être mises en relation avec les contextes d'interaction dans lesquelles ces microphénomènes prennent place. Il s'agit donc d'établir des catégories pour la description des contextes qui permettent de déterminer quelles formes prennent place dans quels contextes. Il convient en outre "de développer des théories et des méthodes d'analyse qui permettent de passer d'une analyse micro, en termes d'interactions et de perceptions des participants individuels, à des niveaux plus généraux touchant aux institutions et aux représentations collectives" (Pallotti, 2002: 192). Dans la présente recherche, la complémentarité entre niveaux micro et macro (ou plutôt 'méso') prend corps notamment dans le couplage d'analyses qualitatives et quantitatives, ce qui permet la

50 La directrice de la thèse a eu accès à la totalité des données; les jurés ont eu accès à la totalité des

description approfondie de certains extraits, mais également de mettre en relation l'ensemble des items de la collection. De cette manière, il est possible de dégager des associations entre les ressources mobilisées par les élèves pour expliquer, les catégories d'explication, les contextes dans lesquels les explications prennent place et les cultures de communication en classe (cf. chapitre IX).