• Aucun résultat trouvé

Les études sur l'explication menées dans le cadre de l'analyse conversationnelle sont rares et ne s'intéressent souvent qu'à une seule catégorie d'explication sans en proposer de vision globale (à l'exception d'Antaki, 1994). Par exemple, l'étude de Gülich (1990-1991) ne porte que sur les explications 'de mots', quoique l'auteure souligne qu'il existe certainement d'autres types d'explication. Dans les autres études recensées (Goodwin & Heritage, 1990: 296-298; Heritage, 1984a, 1988; Taleghani-Nikazm, 2006), la notion d'explication (en anglais explanation) est mise en relation avec l'idée de 'rendre compte' d'une action, de la justifier (en anglais account). La notion d'explication est

alors étroitement liée à celle de préférence (Pomerantz, 1984; cf. point 4. ci-dessus), selon le raisonnement suivant:

1) Les tours de parole peuvent être organisés en paires adjacentes. Les deux parties de la paire adjacente sont liées par une dépendance conditionnelle.

2) On parle de 'réaction préférée' lorsque le second tour de parole correspond aux attentes projetées socialement par le premier, et de 'réaction non préférée' lorsque le second tour de parole ne remplit pas ces attentes.

3) Une action inattendue, non-projetée par l'action qui la précède, par exemple une seconde partie de paire adjacente non-préférée, doit être expliquée. Dans ce cadre, l'explication a donc pour fonction de justifier un comportement potentiellement sanctionnable sur le plan social (Antaki, 1994; Goodwin & Heritage, 1990: 296-298, Heritage, 1984a, 1988).

Pour prendre un exemple concret, étant donné la préférence pour l'accord (Sacks, 1987), les secondes parties non-préférées suivant une affirmation, une requête ou une invitation, à savoir respectivement les désaccords, les refus et le fait de décliner l'invitation, tendent à être accompagnées d'une explication. C'est par exemple le cas dans l'extrait suivant (présenté dans Heritage, 1984a: 266 et Heritage, 1988: 132):

(19) (SBL:10:14)15

B: Uh if you'd care to come over and visit a little while this morning I'll give you a cup of coffee.

A: 1  hehh well that's awfully sweet of you, 2  I don't think I can make it this morning

3  .hh uhm I'mm running an ad in the paper and-and uh I have to stay near the phone

Dans cet extrait, A décline l'invitation de B à venir boire une tasse de café avec lui. Le tour de parole de A prend la forme typique d'une réaction non-préférée: premièrement, la réponse est préfacée et 'retardée' au moyen d'une prise d'air, d'un modalisateur ('well') et d'une appréciation (cf. ligne 1); deuxièmement, l'expression du rejet de l'invitation est modalisée ('I dont think...', cf. ligne 2); troisièmement, le rejet est traité comme nécessitant une justification et de fait s'accompagne d'une explication16 (cf. ligne 3).

L'explication qui accompagne une action non-préférée est une routine interactionnelle relevant d'un ensemble de règles normatives vers lesquelles s'orientent les membres d'une communauté. Elle n'est pas simplement associée au désaccord ou au refus, mais normativement requise, c'est-à-dire que son absence est remarquée, thématisée, voire sanctionnée (Goodwin & Heritage, 1990; Heritage, 1984a, 1988). L'exemple suivant (tiré de Heritage, 1988: 134) permet d'observer une situation dans laquelle une réponse non-préférée n'est pas suivie immédiatement d'une explication. Avant le début de l'extrait, S a annoncé à son amie G qu'elle a raté l'examen d'admission à une école prestigieuse. Son amie lui demande si elle va refaire l'examen (début de l'extrait). La forme du tour présuppose clairement, selon Heritage, que la réponse de S va être positive, c'est-à-dire que S va se représenter à l'examen (cf. le 'so' et la forme affirmative de la question).

(Frankel:TC:1:1:4)17

G: So yih g'nna take it agai:n?= S: =nNo. (0.5) G: 1  No:? S: No. (0.3) G: 2  Why no:t.=

S: =.t.hhhh I don't rilly wan'to

On remarque dans cet extrait que G ne reprend pas immédiatement la parole après les deux 'non' de S, ce qui donne lieu à des pauses. Ces pauses indiquent que G n'interprète pas les tours de S comme

15 Traduction: B: euh ça te dit de passer un petit moment ce matin je te ferai une tasse de café; A: 1) euh

bien c'est très gentil à toi 2) je ne crois pas que je vais pouvoir passer ce matin 3) euh j'ai mis une annonce dans le journal et il faut que je reste près du téléphone.

16

Traduction de: "The refusal is treated as requiring an account and in fact is accompanied by a fairly elaborate explanation" (Heritage, 1984: 266).

17

'suffisants', et s'oriente vers une suite à venir sous forme d'explication de la réponse non-préférée (ou du moins inattendue) de S. Après la première pause, G relance S en répétant sa réponse avec une intonation montante ('no:?', cf. 1), marquant son étonnement ainsi que la nécessité d'une explication (ce type de répétition est appelé prompt en anglais: en répétant le tour sans rien ajouter de nouveau, le participant redonne le floor à son partenaire en indiquant qu'il ne traite pas le tour précédent comme 'suffisant'). Alors que S n'élabore toujours pas sa réponse et suite à une seconde pause, G reprend la parole pour demander une explication ('why no:t', cf. 2). Cet extrait permet donc d'observer que G s'oriente normativement vers la nécessité d'une explication. Comme S ne fournit pas d'elle-même cette explication, G finit par la demander explicitement18.

Les explications accompagnant des actions non-préférées relèvent d'un principe d'organisation de l'échange communicatif sensible à la notion de 'face' (Goffman, 1974; Heritage, 1988), du fait qu'elles atténuent la charge menaçante d'un comportement non-préféré (p.ex. un désaccord). Heritage remarque que les explications portant sur l'incapacité à effectuer l'action préférée sont elles-mêmes préférées par rapport à des explications qui rendraient compte d'un manque de volonté ou d'une 'faute' commise par le participant (Goodwin & Heritage 1990; Heritage, 1984a, 1988). Par exemple, dans le premier exemple, A ne dit pas qu'elle ne veut pas venir prendre une tasse de café, mais qu'elle n'en a pas la possibilité. Dans une certaine mesure, cette remarque peut être mise en relation avec la théorie de l'attribution en psychologie sociale (cf. chapitre 1, point 1.), qui distingue entre attributions externes (renvoyant à une cause extérieure à l'individu, sur laquelle il n'a pas de prise, ce qui correspond à ce qu'Heritage appelle ''no fault' quality') et internes (renvoyant à une cause qui implique la responsabilité de l'individu), de même qu'avec d'autres études sur les explications de type

account menées en sociologie (mais pas en analyse conversationnelle), comme celle de Scott &

Lyman (1968) (l'article de Heritage, 1988, est d'ailleurs tiré d'un recueil d'articles sur les accounts s'inscrivant pour la plupart dans le cadre de la théorie de l'attribution). En résumé, l'explication est liée à la notion de préférence sur trois plans qui sont emboîtés les uns dans les autres: 1) l'explication accompagne typiquement une réaction non-préférée; 2) la présence d'une explication est elle-même une action préférée dans ce contexte, ce qui revient à dire qu'une réaction non-préférée qui n'est pas accompagnée d'une explication est 'doublement' non-préférée; 3) la forme de l'explication est dite préférée lorsqu'elle propose une cause externe (p.ex. 'je ne peux pas') et non-préférée lorsqu'elle propose une cause interne (p.ex. 'je ne veux pas').

Taleghani-Nikazm (2006), dans la lignée des travaux de Heritage, propose une analyse détaillée du placement séquentiel et de la forme syntaxique des explications de type account apparaissant dans l'environnement interactionnel de requêtes (allemand L1). L'auteure propose que les explications tendent à apparaître dans les contextes séquentiels suivants (cf. aussi, de manière moins détaillée, Heritage, 1984a: 253; cf. également Jacobs & Jackson, 1982, et Jackson & Jacobs, 1992, pour des analyses des conversational argument s'inspirant en partie de l'analyse conversationnelle, et proposant des contextes d'apparition similaires):

a) Explication à l'intérieur d'un tour de parole (within-turn expansions): une explication peut apparaître dans la première ou la deuxième partie d'une paire adjacente quand elle constitue une action menaçante pour la face ou non-préférée (cf. également les explications auto-initiées proposées par Antaki, 1994, décrites ci-dessous).

(Exemple19 dans 1ère partie de paire: '- tu peux sortir du bureau? je dois absolument faire un

téléphone, c'est confidentiel'; exemple dans 2ème partie de paire: '- tu peux sortir du bureau

pendant que je passe un coup de téléphone confidentiel? - pas tout de suite, je dois d'abord

répondre à ce mail'.)

b) Explication fonctionnant comme une pré-requête. L'explication d'une action (ou de l'absence d'action) peut être interprétée – dépendamment du contexte – par les participants comme projetant une séquence de requête: suite à une explication, l'interlocuteur s'oriente alors vers une réponse du type 'réponse à une requête'. Par exemple, si un participant mentionne le fait qu'il n'a pas pu effectuer une action, son interlocuteur peut s'offrir de l'effectuer lui-même. Il ne s'agit alors pas d'une offre spontanée, mais d'une action consécutive préférée (preferred next action).

(Exemple: '- Je n'ai pas encore eu le temps d'appeler X, je n'ai pas eu une minute depuis ce

matin. - Si tu veux je peux m'en occuper.')

18

Reformulation des propos de Heritage: "G's conduct throughout the sequence evidences her belief that an explanation is due. And S's apparent reluctance to volunteer one, in effect, manœuvres G into the overt pursuit of one" (Heritage, 1988: 134).

19 Dans ces quatre points, les exemples sont inventés sur la base de ceux (authentiques) proposés par

c) Explication insérée entre les deux parties d'une paire adjacente (insertion sequence / embedded

sequence). Par exemple, un participant qui, suite à une requête, est confronté au silence de son

interlocuteur (indice d'une réponse non-préférée à venir, donc d'un refus), peut reprendre la parole pour proposer lui-même des explications possibles pour un refus.

(Exemple: '- Tu peux passer à la poste en partant? - ... - Ou peut-être que ce n'est pas sur ton

chemin?')

d) Explication dans une post-séquence: dans le cas d'une requête qui a été acceptée, une explication peut suivre de la part de la personne qui a effectué la requête, contribuant ainsi à en atténuer la dimension menaçante ou intrusive.

(Exemple: - Tu peux appeler X? - Pas de problème - Merci, je voulais m'en occuper mais je n'ai

pas une minute depuis ce matin.)

Les études portant sur l'explication en lien avec la notion de préférence adoptent une définition 'étroite' sur l'explication: dans ces études, le terme explication implique toujours de donner des raisons pour justifier un certain type d'action. C'est donc uniquement l'explication 'causale' (au sens large) qui est étudiée. Dans ce cadre, la distinction entre les notions d'account et d'explanation n'est pas toujours claire: La notion d'explication (explanation) semble parfois renvoyer à un type de discours qui permet d'accomplir un type d'action, celle de rendre compte (account) d'une action non-préférée. L'explication constituerait donc le 'lieu' (discursif) dans lequel s'accomplirait l'action de type account (cf. Heritage, 1988: 128)20. Le rapport entre les deux notions semble cependant faire parfois l'objet d'une inversion: ce n'est plus l'account qui apparait dans l'explication, mais l'explication qui apparait dans l'account (cf. Goodwin & Heritage, 1990: 297)21. Enfin, les deux termes semblent également être considérés à certains endroits, dans les mêmes études, comme des termes équivalents pouvant se substituer l'un à l'autre22. Il semble donc que dans ces études l'account soit appréhendé comme une sorte d'explication

(cf. le titre de l'article d'Heritage, 1988: Explanations as accounts), les auteurs ne mentionnant d'ailleurs pas d'autres moyens, outre les explications, pour accomplir l'action de type account. En revanche, Heritage (1988: 131-132) laisse entendre que d'autres sortes d'explication existent, qui ne sont pas utilisées pour rendre compte d'une action non-préférée, sans cependant donner de précisions quant à la nature de ces explications et aux lieux où elles apparaissent23.

§

Une étude adoptant une définition plus large de l'explication est celle d'Antaki (1994). Selon cet auteur, les explications ne sont pas seulement associées à des actions non-préférées mais découlent plus généralement de la thématisation d'une action ou d'une situation comme inhabituelle, surprenante, inattendue, bizarre, anormale (cf. également de Gaulmyn, 1991a; Gülich, 1990-1991; Sterponi, 2003). L'explication vise alors à rétablir la 'normalité' de la situation. Dans cette perspective, les actions non-préférées constituent un type d'action 'a-normal' (par référence aux normes de l'interaction), mais pas l'unique. Antaki (1994) distingue entre explications auto- et hétéro-initiées ainsi qu'entre explications auto- et hétéro-accomplies (cf. également Grøver Aukrust & Snow, 1998, ainsi

20 "There is the level of overt explanation in which social actors give accounts of what they are doing in terms

of reasons, motives or causes" (Heritage, 1988: 128, je mets en italique). Traduction: il y a le niveau de l'explication dans laquelle les acteurs sociaux rendent compte de ce qu'ils font en termes de raisons, motifs ou causes.

21 "While dispreferred actions often incorporated accounts that offered some explanation for the action,

preferred actions did not." (Goodwin & Heritage, 1990: 297, je mets en italique). Traduction: alors que les actions non préférées incorporaient souvent des accounts qui offraient des explications pour l'action, ce n'était pas le cas des actions préférées.

22 "To make sense, the overt descriptions and explications (or accounts) which actors provide..." (Heritage,

1988: 128, je mets en italique). Traduction: pour faire sens, les descriptions ou explications (ou accounts) que les interactants fournissent...

23

"Our focus will be on the use of explanations or accounts that are provided in the immediate context of the activities they account for. We thus ignore narrative explanations of events that are external to the conversation in which the account occurs, and explanations which are external to the particular sequence of conversational interaction in which the account occurs. Those kinds of explanations would have to be treated in different ways" (Heritage, 1988: 131-132, je mets en italique). Traduction: nous nous focaliserons sur l'usage d'explications ou d'accounts qui sont fournis dans le contexte immédiat des activités dont elles rendent compte. Nous ignorons donc les explications prenant la forme de narrations d'événements externes à la conversation dans laquelle l'account apparait, et les explications qui sont externes à la séquence particulière dans laquelle l'account apparait. Ces explications devraient être traitées d'une autre manière.

que Rabatel & Lepoire, 2005, pour des classifications similaires dans des études ne relevant pas de l'analyse conversationnelle).

Les explications auto-initiées et auto-accomplies correspondant aux accounts apparaissent à l'intérieur d'un tour de parole (within-turn expansions; ce qu'on observe par exemple dans le premier extrait présenté dans cette section): elles sont employées dans la deuxième partie d'une paire adjacente pour justifier une réaction non-préférée, p.ex. refuser une invitation ou manifester son désaccord, ou dans la première d'une paire pour expliquer le caractère surprenant, inhabituel ou inattendu d'une question ou d'une requête.

• Les explications hétéro-initiées et auto-accomplies sont ouvertes suite à une demande d'explication, qui apparait par exemple suite à l'absence d'account accompagnant une réponse non-préférée (c'est ce qu'on observe p.ex. dans le second extrait présenté dans cette section). • Les explications hétéro-initiées et hétéro-accomplies sont ouvertes dans des cas ou un

participant anticipe une action non-préférée à venir et propose une explication avant même la réponse de l'interlocuteur (ce qui correspond au type c chez Taleghani-Nikazm, cf. ci-dessus). • Les explications auto-initiées et hétéro-accomplies sont prises en charge par un participant qui

ouvre un espace pour une explication réalisée par l'interlocuteur (ce qu'Antaki appelle 'setting

up an explanation slot for another speaker'). Ce procédé peut par exemple être réalisé en

énonçant un constat à propos d'un fait flagrant (noticing): pour Antaki (1994) l'énonciation d'un état de fait évident, flagrant, ne se fait pas sans raison, et ce type d'énonciation fonctionne comme une demande indirecte d'explication, une manière de 'pêcher' des informations. L'extrait suivant permet d'illustrer ce cas de figure (exemple d'origine: Schegloff, 1988: 128; repris et légèrement simplifié dans Antaki, 1994: 76):

[Door squeaks]24 S: Hi Carol C: =H[i::

R: [CA:ROL, HI

S:  You didn' get an icecream sandwich

C: I know, hh I decided that my body didn't need it

Le fait mentionné par Susan ('you didn't get an icecream sandwich') est évident pour toutes les personnes présentes au moment de l'échange (et qui peuvent voir ce que Carol tient dans les mains), et plus particulièrement pour Carol, à qui s'adresse le constat: elle sait ce qu'elle a apporté ou non. L'énonciation d'un tel constat, justement de par son caractère évident, est généralement interprété comme une invitation à s'expliquer sur le sujet, ce que fait Carol immédiatement après le constat énoncé par Susan ('I decided my body didn't need it').

Une autre 'méthode' pour solliciter indirectement une explication est appelée par Antaki (1994)

puzzle-pass-solution-comment ('énigme'-passe-solution-commentaire). Un tour de parole

constitué d'un 'écho' du tour précédent avec intonation montante (le pass) fonctionne comme une invitation à expliquer une partie de ce tour (exemple d'origine: Schenkein, 1978: 70; repris par Antaki, 1994: 78):

Ellen: Fine, jus'fine thank you cept for this fucking infection25 Patty:  Infection?

Ellen: I can't seem to get rid of this fucking, u urinary track infection – it's been dragging on now for a couple of months – and it's driving me up a wall hehh hehh heh

Patty: They're impossible I know all about it deary believe me

Dans cet extrait, Ellen répond à la première ligne à une demande de type 'comment ça va?' de manière globalement positive ('fine, jus'fine') mais en mentionnant qu'elle a une infection, sans en préciser la nature. Patty répète alors le dernier mot du tour de parole d'Ellen, 'infection', avec une intonation montante. Cette répétition déclenche chez Ellen une explication sur la nature de l'infection ('urinary track infection'), indiquant en outre depuis combien de temps l'infection dure ('...for a couple of months') et l'effet de l'infection sur le moral d'Ellen ('it's driving me up a wall').

24

Traduction: [La porte grince] S: Salut Carol. C: Salut. R: Carole, salut! S: Tu n'as pas rapporté une glace 'sandwich'. C: Je sais, j'ai décidé que mon corps n'en avait pas besoin.

25

Traduction: Ellen: bien, bien, merci, à part cette maudite infection. Patty: infection? Ellen: je n'arrive pas à me débarrasser de cette maudite infection des voies urinaires – ça fait maintenant quelques mois que ça dure – et ça me rend dingue. Patty: ma chère c'est insupportable je le sais bien crois-moi.

La réaction de Patty exprime alors explicitement sa compréhension non seulement du type d'infection ('I know all about it') mais également de l'état d'Ellen ('they're impossible'). Dans cet extrait, la mention d'une infection par Ellen, dont Patty ne semble pas être au courant, constitue donc le puzzle vers lequel s'oriente Patty lorsqu'elle accomplit ce qu'Antaki (1994) appelle pass (c'est-à-dire qu'en répétant un terme du tour précédent elle n'apporte pas elle-même quelque chose de nouveau, donc 'passe' l'opportunité de prendre le tour). L'explication qui suit constitue la solution du puzzle, à laquelle Patty réagit par un comment. On voit donc bien dans cet extrait une structure puzzle-pass-solution-comment, l'explication permettant de résoudre l''énigme', le problème de compréhension.

L'étude d'Antaki (1994) n'associe pas nécessairement les explications à des actions non-préférées, et ne se focalise pas uniquement sur les explications causales à fonction de justification. Cette étude peut être mise en relation avec d'autres travaux sur l'explication menés dans d'autres cadres que celui de l'analyse conversationnelle, partageant également le point de vue que l'explication vise à résoudre des problèmes de compréhension potentiels ou effectifs (cf. chapitre 1, section 2.5). La structure

puzzle-pass-solution-comment peut également être rapprochée de la structure tripartite ouverture-

noyau-clôture (ibid.), les actions puzzle et pass constituant à elles deux l'ouverture de l'explication, tandis que la 'solution' correspond au noyau, et le 'commentaire' à la clôture. L'étude d'Antaki (1994) est celle qui inspire le plus la présente recherche, car elle adopte un point de vue large sur l'explication, au contraire des études de l'explication en tant qu'account accompagnant une action non-préférée, qui sont beaucoup plus restrictives au regard de la notion d'explication. A noter néanmoins que l'étude d'Antaki (1994) ne traite que des explications d'actions, c'est-à-dire d'objets non-langagiers. Dans la présente recherche, on verra que de nombreuses explications recensées dans les données (cf. les chapitres d'analyse et la collection en annexe) portent sur des objets langagiers ou discursifs, et se rapprochent alors davantage des 'explications de mot' sur lesquelles portent les analyses de Gülich (1990-1991).

§

Les études menées dans le cadre de l'analyse conversationnelle ont pour point commun de procéder en deux temps: 1) repérage d'un phénomène dans les données (unmotivated looking), 2) constitution d'une collection de phénomènes (cf. démarche analytique, point 4. supra). Le point de départ de ces études réside donc dans l'observation 'non-motivée' des données et non dans le repérage d'une catégorie de phénomènes déterminée a priori:

Si, pour décrire ces séquences [conversationnelles d'explication] avec une 'mentalité' ethnométhodologique, je commençais par définir ce qu'est une explication, cela serait évidemment