• Aucun résultat trouvé

L'identification des explications dans les données a donné lieu à la constitution d'une collection. Les explications ont été identifiées dans les données sur la base des repères énoncés au point précédent et recensées dans un tableau (cf. annexe 3). Etant donné que les explications ne peuvent être identifiées de façon 'mécanique', par exemple sur la base de marques formelles (cf. Antaki, 1988, et Draper, 1988, pour un constat similaire), l'intégralité des données a été passée en revue 'manuellement' et analysée pour trouver les moments où les participants s'orientaient vers la résolution d'un problème de compréhension potentiel ou la 'normalisation' d'une situation 'bizarre'. La constitution de la collection a été réalisée relativement aisément. Néanmoins, certaines occurrences sont apparues comme se situant 'à la limite' de ce qu'on pouvait appeler explication relativement aux repères pour l'identification. Une première série de phénomènes 'limites' est constituée de séquences proches celles présentées dans les extraits 20 et 21. Il s'agit de séquences qui pourraient d'une certaine manière être appréhendées comme des descriptions de situation ou des résumés de texte: par exemple, suite à la lecture d'un extrait de texte, l'enseignant demande aux élèves 'ce qui se passe' dans l'extrait. Certaines de ces demandes contiennent un logonyme (p.ex. 'pouvez-vous expliquer ce qui se passe'). Dans un sens, ce type de demande peut donc être vu comme une demande d'explication reposant sur la thématisation (explicite ou implicite) d'un problème de compréhension potentiel qui est anticipé l'enseignant. D'un autre côté, ce type de demande peut être vu comme une simple demande de narration ou de description (activité de résumé). Ces occurrences sont inclues dans la collection des explications quand 1) la demande porte sur une situation relativement globale ('que se passe-t-il', 'que font-ils', 'pourquoi font-ils cela', etc.), 2) la réponse à la demande ne se situe pas 'telle quelle' dans le texte lu (il n'est pas possible de citer littéralement un passage du texte pour répondre), 3a) un problème de compréhension potentiel est thématisé explicitement, accompagnant la demande, ou 3b) si aucun problème n'est explicitement thématisé dans la demande, la suite de la séquence (après la demande) permet d'en repérer un (p.ex. les élèves répondent 'je ne comprends pas', ne répondent pas, donnent une réponse interprétée par l'enseignant comme révélatrice d'un problème de compréhension, etc.) (les séquences de ce type sont notamment les séquences 10, 12, 13, 60, 64, 99, 100, etc. de l'annexe 3). Les occurrences qui ne sont pas considérées comme des explications et qui ne sont donc pas inclues dans la collection sont celles dans lesquelles la demande n'est pas accompagnée de la thématisation d'un problème potentiel de compréhension, porte sur situation ou une action très précise qui est 'donnée' dans le texte lu (p.ex. '- où va-t-il? - à paris; - pourquoi? - pour voir son père', etc.), et est suivie d'une réponse très brève, délivrée sans hésitation, qui ne permet donc pas non plus de dégager la présence d'un éventuel problème de compréhension. Ces séquences ont été considérées comme relevant d'activités de résumé / description et non comme des explications.

La deuxième série de 'cas limites' concerne certaines 'expansions' de tours de parole. Les expansions peuvent parfois être d'une certaine manière décrites comme des explications auto-initiées et auto- accomplies. C'est surtout le cas des expansions initiées par 'c'est-à-dire', 'je veux dire' ou 'parce que', qui peuvent être appréhendées comme prévenant (anticipant) un éventuel problème de compréhension. Néanmoins, il a été considéré que la simple présence d'un parce que n'était pas suffisante pour indiquer la présence d'une explication. Les réponses expansives des élèves (qui vont au-delà de la réponse minimalement projetée par la demande) sont valorisées dans les activités de discussion en classe (dans lesquelles le thème de la discussion est souvent un prétexte pour 'faire

parler' les élèves le plus possible). Les réponses non-expansives conduisent très souvent les enseignants à formuler des relances, voire à critiquer explicitement le manque de volubilité des élèves. Il semble donc que les élèves tendent à développer leur propos plus par habitude (se conformant à des normes relatives aux activités en classe) que pour prévenir l'émergence de problèmes de compréhension. De plus, l'analyse des logonymes a montré que les participants qualifient d'explication des séquences dialogales et relativement longues, mais rarement des segments de tours de parole. Pour ces raisons, la très grande majorité des expansions à l'intérieur des tours n'ont pas été catégorisées comme des explications (et ne se trouvent donc pas dans la collection). Les cas inclus dans la collection, considérés comme des explications auto-initiées et accomplies (séquences 35, 43, 61, 201, 205, 206, etc.) sont relativement rares. Ils ont été inclus car l'analyse détaillée du contexte de l'interaction a permis de formuler une hypothèse relativement forte quant à l'orientation de l'élève envers un problème de compréhension potentiel. Dans certains cas (p.ex. séquence 35), un élève commence un tour, puis après une pause relativement longue (c'est-à- dire en l'absence de prise de tour par un autre participant), poursuit au moyen d'une reformulation de son tour (sans ajouter de 'contenu' supplémentaire). Dans ce cas, la reformulation a été analysée comme une reformulation explicative orientée vers l'anticipation ou la résolution d'un problème potentiel de compréhension, dont l'absence de prise de tour par un co-participant constitue un indice. Quelques autres occurrences ont été classées dans la collection car elles apparaissaient après une séquence d'explication dialogale portant sur le même objet. Par exemple, une élève, après avoir demandé et reçu de l'enseignante l'explication d'un mot de vocabulaire ('cochon d'Inde'), utilise le mot dans une narration adressée à un pair et propose une traduction. La traduction a été dans ce cas considérée comme une explication résultant de l'anticipation d'un problème de compréhension (cf. séquences 205 et 206; cf. chapitre VIII, point 1.1 pour une discussion sur la traduction comme méthode pour expliquer). Tous ces différents 'cas limites' feront l'objet d'analyses dans les chapitres VII et VIII, ce qui permettra d'en discuter les enjeux de manière plus approfondie.

§

La présente recherche porte sur les explications auxquelles les élèves prennent part activement, ne serait-ce que de manière minimale, en participant à la construction de l'explication elle-même ou en demandant une explication74. La collection des explications se doit donc de recenser toutes les explications dialogiques mais également les explications auto-initiées et prises en charge sur le plan monologique par des élèves. Les explications monologiques de l'enseignant (comme celles qu'on observe par exemple dans les extraits 9 et 21) ne font pas partie des intérêts de la présente recherche et n'ont donc pas été prises en compte dans la constitution de la collection.

La collection des explications contient 278 explications75. 185 de ces explications apparaissent dans

des activités pouvant être décrites comme des activités de compréhension de texte, soit 66%. Ce pourcentage est proche de la distribution des logonymes dans les données (cf. tableau 16): 61.5% des logonymes apparaissent dans des activités de compréhension de texte. Les autres explications apparaissent dans l'ordre décroissant dans des discussions, des exposés, des jeux et des épisodes administratifs.

74 La demande d'explication est distincte de l'explication proprement dite mais fait néanmoins partie de

l'explication abordée en tant que 'séquence' (auquel cas 'l'explication proprement dite' est appelée le noyau) (cf. chapitre I, point 2.5). La présente recherche se concentre sur les ressources mobilisées par les élèves dans les noyaux (chapitre VIII), mais propose néanmoins également une description de la manière dont les élèves participent à l'organisation des explications sur le plan séquentiel, donc à leur ouverture et à leur clôture (chapitre VII).

75 L'intégralité de la collection ainsi que la description sommaire de chaque explication se trouve dans les

Les objets des explications sont répartis de la manière suivante:

Tableau 19: Objets d'explication dans la collection

Aspect Nature Localisation L2 L1

Signification Objet langagier / discursif Support écrit 118 (49%) 19 (51%) Signification Objet langagier / discursif Tour de parole 73 (30%) 10 (27%) Raison, cause, origine, enjeux Objet non-langagier Monde (réel) 31 (13%) 5 (13.5%) Raison, cause, origine, enjeux Objet non-langagier Fiction 19 (8%) 2 (5.5%)

Séquences complexes - 1 (3%)

Total 241 37

Les tendances sont les mêmes en L1 et en L2: les explications, de la catégorie la plus fréquente à la moins fréquente, sont des explications portant 1) sur la signification d'un objet langagier / discursif apparaissant dans un support écrit, 2) sur la signification d'un objet langagier / discursif apparaissant dans un tour de parole antérieur, 3) sur les raisons ou enjeux d'un objet non-langagier dans le monde (réel), 4) sur les raisons ou enjeux d'un objet non-langagier dans une fiction. Cette distribution des explications en fonction de leur objet va dans le même sens que ce qui avait été dégagé pour les logonymes: 50% des objets associés aux logonymes sont en effet des objets langagiers ou discursifs (cf. point 5.) Ici la proportion atteint 79%. En résumé, les explications sont massivement liées à des problèmes de compréhension relatifs au langage et à son utilisation, aussi bien dans les interactions en classes de langue seconde que de langue première. Les explications portant sur des objets non- langagiers peuvent être décrites comme des explications de situation. En effet, dans les données, c'est toujours une situation (p.ex. suite d'événements, cf. extrait 15) qui est présentée comme posant un problème de compréhension. Aucune explication ne porte sur un objet matériel, alors que cette catégorie apparaissait parfois associée à des logonymes (p.ex. logonyme apparaissant comme thème associé à l'objet 'peau de chagrin', cf. extrait 14). Enfin, la collection ne contient aucune explication portant sur une manière de procéder, un savoir-faire (objet F dans le tableau 17, point 5.). Les seules explications de ce type sont des explications intégralement prises en charge par l'enseignant, qui apparaissent dans des séquences de présentation des consignes relatives à une activité.

Les explications portant sur des objets non-langagiers, notamment les explications dites en pourquoi, considérées les plus fréquentes dans la littérature (cf. p.ex. chapitre I, point 2.2), ne sont pas la catégories la plus représentée dans les données, comme en témoigne la répartition des explications dans le tableau. Les explications qui consistent à 'donner des raisons' visent à 'normaliser' une situation problématique pour la compréhension, par exemple en raison de son caractère inattendu ou 'bizarre'. Pour autant, contrairement aux études menées en analyse conversationnelle (cf. chapitre II, point 6.), les explications n'apparaissent pas fondamentalement liées à la notion de préférence. L'identification des explications dans une perspective émique permet donc de les distinguer de ce qui est appelé explanation mais surtout account en analyse conversationnelle. L'explication permet de 'normaliser' un objet allant à l'encontre des attentes de normalité, et qui de ce fait pose un problème

de compréhension; l'account permet de 'normaliser', sur un autre plan, une action non-préférée (a-

normale) qui pose un problème relativement aux normes sociales. Les explications recensées dans les données sont donc différentes de celles décrites dans la majorité des travaux en analyse conversationnelle, mais peuvent être rapprochées des descriptions d'Antaki (1994) et de Gülich (1990-1991), qui adoptent une approche large de l'explication en tant que manière de gérer des objets 'bizarres' et des problèmes de compréhension (quoique l'étude d'Antaki porte uniquement sur des objets non-langagiers et celle de Gülich uniquement sur des objets langagiers, cf. chapitre II, point 6.).

§

Avant de clore ce chapitre et de passer à l'analyse détaillée et systématique de la collection des explications, un dernier point se doit d'être clarifié. Ce point concerne la notion d'explication de texte. L'expression explication de texte apparait 1 fois en L2 (dans une discussion administrative portant sur les examens) et 7 fois en L1 (le syntagme 'explication de ce texte' y apparait en outre 1 fois). Cette expression est toujours énoncée par les enseignants (jamais par les élèves) et utilisée pour désigner une activité d'analyse d'un long segment de texte littéraire, par exemple un poème dans son intégralité ou un extrait de roman (cf. objet C dans tableau 17, point 5.). L'appellation explication de

voire une période entière et qui peuvent inclure plusieurs 'sous-activités' (résumés, exposés, échanges de questions-réponses, discussions, etc.). Les explications de texte peuvent également constituer des exercices en vue de l'examen oral de maturité. Un enseignant propose que les explications de texte sont structurées en trois étapes (CODI L1-secII-MR-2 2ème heure): 1) Situer brièvement le texte par rapport au contexte historique dans lequel il a été écrit, par rapport aux autres œuvres de l'auteur, par rapport au texte intégral s'il s'agit d'un extrait de roman; 2) Décrire les particularités formelles du texte, dégager les thèmes de l'extrait, les analyser en relation avec la manière dont ces thèmes apparaissent ailleurs dans l'œuvre de l'auteur; 3) Eventuellement, mettre le texte en relation avec d'autres textes, contemporains ou non.

Ce qui est appelé 'explication de texte' dans les données est donc foncièrement différent de ce qui est appelé 'explication' tout court:

Les explications s'ancrent toujours sur la thématisation d'un élément potentiellement problématique pour la compréhension (objet 'bizarre' ou partage déséquilibré des connaissances): elles ont donc un caractère 'émergent' (même si cette 'émergence', dans le cas de questions display de l'enseignant, peut être une mise en scène). Les explications de texte sont des activités didactiques 'programmées' par l'enseignant, qui ne s'ancrent pas sur la thématisation d'un élément comme problématique.

Les explications peuvent être décrites sous forme de séquences tripartites (ouverture, noyau, clôture) relativement homogènes sur le plan thématique: un seul objet d'explication est abordé par séquence, même dans les séquences longues. Les explications de texte sont bien sûr 'ouvertes' et 'closes', mais ne peuvent être décrites sous forme de séquences tripartites: elles peuvent englober une grande variété de sous-activités et porter successivement sur plusieurs objets, thèmes, aspects.

Les explications de texte sont donc des activités didactiques autonomes, des unités de rang supérieur à celles de la séquence (tripartite). Il semble que ce qui est appelé 'explication de texte' puisse être appréhendé comme une forme didactisée à l'extrême d'explication, à tel point qu'elle est méconnaissable sur le plan de son organisation. Le syntagme explication de texte est une expression figée, qui renvoie à une réalité scolaire précise, et qui ne peut être abordé de la même manière que le logonyme explication lorsqu'il apparait dans un autre contexte. La présente recherche porte sur l'explication en tant que processus émergent destiné à gérer des situations 'bizarres' et des problèmes potentiels de compréhension. Pour cette raison, elle ne traite pas des explications de texte.

§

Les trois prochains chapitres sont consacrés à l'analyse de la collection des explications (annexe 3), traitant respectivement de l'organisation des séquences (chapitre VII), des ressources mobilisées dans le noyau (chapitre VIII), des opportunités d'apprentissage (chapitre IX). Les analyses portent principalement sur les interactions en classe de langue seconde. Régulièrement, une comparaison avec les interactions en classe de langue première est proposée.

Résumé du chapitre

• Un logonyme (Marra & Pallotti, 2006) est un lexème à fonction métacommunicative, qui renvoie à une activité d'utilisation de la langue. Les logonymes expliquer et explication occupent une place importante dans les données, où ils sont les logonymes désignant une activité spécifique qui apparaissent le plus fréquemment (après les deux hyperonymes dire et parler) (cf. 1.). Le verbe expliquer peut renvoyer à un certain type de discours ou servir à établir une relation

de cause à effet. Seul le premier sens est logonymique. Le verbe expliquer est transitif, mais son complément peut rester implicite. Les compléments peuvent être de nature variée: syntagme nominal, interrogative indirecte, complétive (cf. 2.).

Les logonymes expliquer et explication sont énoncés beaucoup plus souvent par les enseignants que par les élèves. Ces logonymes peuvent apparaître comme thème dans une discussion, mais peuvent aussi être employés pour qualifier prospectivement ou rétrospectivement un tour de parole, une séquence ou une activité, c'est-à-dire pour préfigurer une action future, réguler une action en cours ou faire référence à une action passée (cf. 3.). • On peut dégager deux 'moments-clés' dans lesquels apparaissent tendanciellement des

logonymes à orientation prospective: lorsqu'un élément est thématisé comme bizarre, surprenant, inattendu (cf. 4.1); lorsqu'est thématisé un déséquilibre dans les connaissances partagées des participants de l'interaction (cf. 4.2).

• Les objets associés aux logonymes peuvent être décrits en fonction de la nature, de la localisation et de l'aspect sous lesquels ils sont abordés. Les objets associés aux logonymes sont souvent des objets de nature langagière ou discursive, localisés dans un support écrit ou un tour de parole et abordés sous l'angle de leur signification. On trouve aussi des objets non- langagiers (actions, événements, faits), localisés dans le monde réel ou un monde de fiction, abordés sous l'angle de leur origine ou de leurs enjeux (cf. 5.).

• Les explications servent à anticiper ou à résoudre des problèmes de compréhension. La thématisation d'un problème potentiel de compréhension, lié à une situation bizarre ou à un déséquilibre dans les connaissances partagées, constitue un observable central pour le repérage des explications (cf. 6.).

• La présente recherche porte sur les séquences d'explication émergentes, dialogiques ou monologiques, dans lesquelles les élèves participent activement (les explications intégralement prises en charge par l'enseignant ne sont donc pas prises en compte). La collection établie sur la base des repères élaborés grâce à l'analyse des logonymes contient 278 séquences d'explication (cf. 6.).

Chapitre VII

L'organisation des séquences d'explication

En l'analyse conversationnelle, toute activité sociale est appréhendée comme le produit d'un ajustement constant entre les participants. Dans cette perspective, "l'explication n'apparait pas comme l''acte' d'un seul locuteur, mais comme un processus interactif, où les participants accomplissent une tâche conversationnelle par un effort commun" (Gülich 1990-1991: 101/357). Décrire les explications suppose alors de décrire la manière dont les explications sont structurées de manière collaborative dans l'interaction. L'objectif de ce chapitre est de présenter de manière détaillée et systématique la façon dont les explications sont organisées en séquences composées d'une ouverture, d'un noyau et d'une clôture. Les séquences d'explication apparaissant dans les données peuvent être décrites de manière schématique de la manière suivante: