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L'analyse des logonymes expliquer et explication a permis de dégager des indices pour l'identification des explications en classe de langue. Ces indices sont relatifs à certains contextes dans lesquels les participants s'orientent vers la 'nécessité' d'une explication, à certains objets récurrents qui peuvent potentiellement faire l'objet d'explications et à des structures récurrentes, notamment des formes de questions, qui sont utilisées pour demander des explications. La combinaison de ces indices permet l'identification des explications selon des repères dégagés d'une analyse émique, basée sur les orientations des participants eux-mêmes. En résumé, les indices pour l'identification des explications dans les données sont les suivants:

• Les explications sont destinées à traiter des objets présentés comme pouvant potentiellement poser un problème de compréhension. Un problème peut être anticipé ou résolu (cf. Elmiger, 2009, pour une distinction semblable entre anticipation et remédiation; cf. également Wittgenstein, 1961: 157, pour qui "une explication sert à écarter ou à éviter un malentendu"). Les explications apparaissent suite à la thématisation d'un objet comme problématique. En conséquence, en repérant dans les données les moments où les participants thématisent un objet comme posant (potentiellement) un problème pour la compréhension, on peut repérer des explications. Cet indice pour l'identification des explications est similaire à celui utilisé par Gülich (1990-1991), qui aborde également l'explication dans une perspective émique.

• L'objet peut être thématisé comme problématique de deux manières (qui ne sont pas mutuellement exclusives) (cf. aussi de Gaulmyn, 1991a, pour une description semblable): - Un objet est présenté comme bizarre, inattendu, surprenant. Les participants manifestent un

intérêt à 'normaliser' cet objet afin qu'il ne soit plus problématique.

- Un objet est présenté comme 'non-connu' ou 'non-compris' pour une partie des participants; dans ce cas, ce n'est vraiment l'objet en tant que tel qui est présenté comme problématique, mais le fait que les connaissances à propos de cet objet (la compréhension de l'objet) ne soient pas partagées de manière équilibrée entre les participants.

• La thématisation peut être effectuée de différentes façons:

- Un participant peut affirmer qu'il rencontre un problème de compréhension. Il thématise un objet comme étant problématique tout en se présentant comme incapable de résoudre le problème lui-même; la thématisation prend alors la forme prototypique 'je ne comprends pas'.

- un participant peut présenter un objet comme potentiellement problématique pour ses interlocuteurs; dans ce cas, la thématisation est une sorte de 'mise en scène', puisque l'objet n'est pas problématique pour le participant qui l'expose. C'est le cas par exemple lorsque l'enseignant demande une explication aux élèves au moyen d'une question display: la demande est alors généralement précédée d'une thématisation de l'objet qui est ensuite au centre de la demande. C'est également le cas dans les explications auto-accomplies: la thématisation d'un objet comme problématique précède alors (et en même temps annonce) l'explication, présentée comme la conséquence logique de la thématisation.

• Le but de l'explication est la 'normalisation' de l'objet. Le problème de compréhension est résolu de telle sorte que l'objet 'fait sens' et n'apparait plus comme problématique pour aucun des participants, les connaissances étant uniformément partagées.

• La compréhension n'est souvent pas une fin en soi. L'explication interrompt momentanément le cours d'une activité et la 'normalisation' d'un objet bizarre ou l''équilibrage' des connaissances partagées sert à ce que la poursuite de cette activité puisse se dérouler sans encombre. Il s'agit par exemple de 'mettre au courant' des élèves absents pour qu'ils puissent ensuite participer à une activité (cf. extrait 20), de donner l'origine de l'appellation 'levant' pour l'orient à une élève de telle sorte qu'elle puisse comprendre le texte et suivre la discussion (cf. extrait 19), etc. Cependant, une explication peut également constituer une activité autonome ou faire partie intégrante d'une activité. Dans ce cas, l'explication n'interrompt pas le cours principal de l'interaction mais en fait partie. C'est notamment le cas de certaines explications initiées à la suite d'une demande display de l'enseignant, comme par exemple lorsque l'enseignant, au sein d'une activité portant sur un texte littéraire, demande aux élèves pourquoi à leur avis le film tiré du livre n'a été tourné que cinq ans après la publication (cf. extrait 15). Dans ce cas, la demande d'explication sert à susciter la réflexion des élèves et fait partie intégrante de l'activité. Les caractéristiques présentées ici sont inspirées principalement de l'analyse du contexte situationnel dans lequel apparaissent les logonymes. Elles permettent de décrire la totalité des occurrences de logonymes recensées dans les données73. Ces mêmes caractéristiques constituent des repères pour l'identification des explications, également (c'est le but) les séquences dans lesquelles aucun logonyme n'apparait. On peut s'étonner du fait que ces repères pour l'identification ne soient pas plus précis, notamment de l'absence de critères linguistiques qui permettraient de coder les données de manière systématique (p.ex. au moyen d'une recherche automatique). Les analyses des logonymes ont cependant montré qu'il n'existe pas de corrélation systématique entre forme linguistique et explication. L'explication est par essence une construction émergente dans l'interaction et contextuellement dépendante. Les contextes d'apparition peuvent être décrits sous forme de caractéristiques générales mais qui ne peuvent être observées que dans des interactions particulières: ces caractéristiques sont donc à la fois indépendantes du contexte et sensibles au contexte (context-free et context-sensitive; cf. chapitre II, point 3.). L'analyse des logonymes a permis de dégager que les explications peuvent potentiellement porter sur des objets langagiers ou discursifs, c'est-à-dire des segment de discours oral ou écrit de taille variable, ou sur des objets non- langagiers, comme des phénomènes, événements, situations, objets matériels, procédures. Cependant, le fait que ces objets soient associés de manière récurrente aux logonymes (p.ex. près de 50% des objets sont des objets langagiers ou discursifs) ne permet pas pour autant d'identifier les

73 Y compris les séquences mixtes et complexes, qui combinent plusieurs orientations simultanées envers

explications: par exemple, une question portant sur un objet langagier peut ne pas être une explication. En outre, ces objets sont très variés et rendraient de toute façon l'identification difficile (virtuellement n'importe quel objet peut devenir un objet d'explication, de même que n'importe quel objet peut déclencher un processus de réparation, cf. Schegloff et al., 1977). Ainsi, l'analyse des objets peut servir à émettre des hypothèses sur les types d'explication présents dans les données (p.ex. l'hypothèse selon laquelle les explications portant sur des objets langagiers seront fréquentes) mais ne peut servir à identifier les explications. Il en va de même pour les configurations syntaxiques associées aux logonymes. On a vu que le verbe expliquer peut introduire une interrogative indirecte, et on peut supposer que certaines demandes d'explication sont effectuées au moyen des mêmes interrogatives, au mode direct. On peut donc faire l'hypothèse selon laquelle les demandes d'explication prennent fréquemment la forme 'qu'est-ce que...', 'pourquoi...', 'comment...', 'dans quel sens...', etc. On ne peut pour autant en conclure que toute question en 'pourquoi' est une demande d'explication. De plus, les formes potentielles sont très nombreuses (cf. tableau 18, point 5.) et leur inventaire est donc peu fonctionnel pour l'identification des explications.