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Les logonymes expliquer et explication apparaissent dans plusieurs contextes actionnels:

1) Ils sont utilisés pour qualifier prospectivement ou rétrospectivement un tour de parole, une séquence ou une activité, c'est-à-dire pour préfigurer une action future, réguler une action en cours ou faire référence une action passée. Les orientations prospectives s'actualisent dans des annonces ou des sollicitations. Les orientations rétrospectives s'actualisent dans des commentaires, parfois évaluatifs.

2) Ils apparaissent dans l'interaction en tant que thème, c'est-à-dire qu'on parle de l'explication. Ces différentes possibilités sont exemplifiées ci-dessous.

3.1 Orientation prospective 1: annonce

9) CODI L2-secII-DK-A-1 (vidéo 04m50s)

01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13

P: alors pour aujourd'hui pour reprendre euh les: les cours euh (.) ben je vous propose euh: une petite pièce de: de théâtre euh:: un petit peu ce qu'on avait: ce qu'on avait fait euh juste avant la rentrée (.) juste avant: les vacances plutôt (.) euh: donc euh toujours euh (...) donc du théâtre hein je vous explique un

petit peu le:: le principe c'était comme euh:: avant les

vacances c'est l'exercice qu'on avait fait à savoir (..) euh:: je donne trois rôles de théâtre (.) j'attribue à trois personnes (.) un rôle de théâtre (.) euh: donc euh (.) les personnes ont des consignes pour commencer la pièce de théâtre et ensuite il faut improviser euh essayer de (.) continuer euh la scène de théâtre en essayant euh (.) d'inventer euh d'imaginer euh la suite euh de l'histoire

Dans cet extrait, l'utilisation par l'enseignant du logonyme ('je vous explique un petit peu le principe', l.5-6) a pour fonction d'annoncer des consignes à venir. Le logonyme permet à l'enseignant d'exhiber la structuration de son discours en réalisant une qualification prospective, dans le sens où la deuxième partie du tour de l'enseignant, à partir de la ligne 8 ('je vous donne trois rôles...') réalise une action annoncée par l'enseignant au moment où il utilise le logonyme. Cette action (l.8-13) peut en conséquence être analysée en tant qu'explication sur la base d'une catégorisation émique, celle de l'enseignant lui-même.

3.2 Orientation prospective 2: sollicitation

10) CODI L2-secII-DK-A-4 (vidéo 07m40s)

01 02 03

P: c'est un champ de maïs d'o-g-m (..) d'organismes génétiquement modifiés (1.2) alors euh: est-ce que s- est-ce que vous

comprenez? 04 Lio: [oui] 05 Jan: [mhm] 06 Joa: mhm 07 Jus: mhm 08 09

P: alors on va demander à: gaber de nous expliquer (1.2) euh::

plutôt francis 10 ((rires: 1.8)) 11

12 13

Fra: oui: ils changent des cho- choses dans l'organisme qu- que l'organisme peut se défendre contre des (.) insectes ou des trucs comme ça

Note: L'élève nommé Gaber est absent à ce moment-là de la leçon; l'enseignant se trompe de nom, raison pour laquelle il se reprend et s'adresse ensuite à Francis (l.8-9), ce qui provoque les rires des élèves (l.10).

Le logonyme apparait dans une première partie de paire adjacente, qui projette l'apparition d'une seconde partie (cf. chapitre II). Cette première partie, du fait de l'emploi du logonyme expliquer, peut être décrite comme projetant l'attente d'une action de type 'explication' sur la seconde. En conséquence, la réponse de l'élève peut être analysée comme constituant une explication, à moins que son caractère explicatif ne soit rejeté ensuite par l'enseignant (via une évaluation négative du type 'vous n'avez pas expliqué'). Sur le plan formel, la sollicitation n'est pas réalisée de manière directe sous forme de question, mais de manière indirecte sous forme d'annonce ('alors on va demander à: gaber de nous expliquer', l.8). Francis interprète néanmoins le tour de parole comme une demande d'explication, sans attendre une sollicitation plus directe, et la forme de l'annonce fonctionne donc bien comme une sollicitation. Dans le tableau d'analyse des logonymes (cf. annexe 2), ce type de sollicitation est donc appelé 'demande(-annonce)', par opposition à d'autres demandes d'explication, plus directes, commençant par exemple par "pouvez-vous expliquer...".

3.3 Orientation rétrospective: commentaire

11) CODI L2-secII-JM-2 (vidéo 2ème heure 25m00s)

01 02

Fil: euh (1.5) le petit frère a: perdu son (...) °was heisst füür (.) oder flamme°

03 P: son [feu] 04 Car: [feu]

05 Fil: son feu de vie (.) vivre 06 P: mhm? (..) pourquoi 07 Fil: je ne sais pas ((rit))

08 P: (mais si) [avant vous avez su] [vous avez très bien expliqué]

09 Car: [(°xxx°)] 10

11

Fil: [ah pourquoi parce qu'il] regarde toujours la télé.=

12 13

P: =voilà il va toujours regarder à force de regarder la télé? (..) il n'entend plus son (.) son feu sacré son (..) hein?

Dans cet extrait, l'enseignante pose une question à un élève, Filip ('pourquoi', l.6), qui affirme ne pas pouvoir répondre ('je ne sais pas', l.7). L'enseignante relance alors l'élève ('mais si', l.8) en évoquant une activité précédente, ayant eu lieu en petits groupes, lors de laquelle l'élève 'a su' ('avant vous avez su', l.8): s'il a su, il doit encore savoir. Cette relance est accompagnée d'un commentaire rétrospectif, dans lequel l'enseignante qualifie une action antérieure d'explication ('vous avez très bien expliqué', l.8). En conséquence, en remontant dans le corpus jusqu'au travail de groupe lors duquel Filip parle du thème du 'feu de vie', on devrait pouvoir repérer le segment qualifié d'explication. Alors que dans l'extrait 10, le logonyme précédait immédiatement ce qu'il projetait, en raison de sa place en première partie de paire adjacente, on voit ici que l'orientation rétrospective ne suit pas nécessairement immédiatement l'action qu'elle qualifie. Les logonymes orientés de manière rétrospective peuvent soit apparaître immédiatement après l'objet sur lequel ils portent, par exemple dans le cas d'un commentaire évaluatif de l'enseignant suivant séquentiellement la réponse d'un élève, soit en être plus éloignés, comme c'est le cas ici. Le rôle du logonyme est particulièrement

intéressant dans l'extrait 11: en plus de qualifier rétrospectivement un segment de discours comme étant une explication, il implique indirectement que la réponse attendue de la part de Filip est une explication. Selon l'enseignante, Filip a su expliquer précédemment la raison de la perte de 'feu de vie' dans l'activité en groupe, il doit donc pouvoir réexpliquer cette raison devant la classe entière. On peut donc considérer la réponse de Filip (l.10-11) comme une explication dans une perspective émique.

3.4 Thème

12) CODI L2-secII-JM-5 (vidéo 2ème heure 13m18s)

01 02 03 04 05 06 07

P: une fois j'avais un élève qui a qui est venu et qui a(vait) fait une affiche avec (..) une (..) coeur (..) avec du (.) ah (cha) je peux pas le dessiner (.) il a mieux fait que moi (.) (du) barbelé (..) stacheldraht (..) tout le coeur qui était (en) barbelé et puis (.) il a- à l'aide de ça il a expliqué pour les

trois romans? (.) qu'il a lus? (..) euh (..) à quel point donc l'amour (.) peut être violent. (..) °hein° l'amour fait mal Avant l'apparition de cet extrait, l'enseignante a donné aux élèves une feuille de consignes portant sur le déroulement d'exposés. Une des étapes de l'exposé est de concevoir une affiche en lien avec le livre faisant l'objet de l'exposé. Dans cet extrait, l'enseignante fait référence à un élève d'une autre classe. Elle utilise pour le logonyme expliquer pour qualifier ce que cet élève a fait ('il a expliqué pour les trois romans', l.5-6). Dans un sens, l'action de l'enseignante est ici une qualification rétrospective d'une action passée. Cependant, étant donné que l'élève dont parle l'enseignante ne fait pas partie de la classe dont est tiré cet enregistrement, aucun des élèves de la classe n'a assisté à l'exposé en question. De plus, le logonyme apparait au sein d'une narration (cf. 'une fois j'avais un élève...', l.1). On peut donc considérer que l'explication apparait ici comme un des thèmes du récit: on n'explique pas mais on parle d'explication. Les orientations prospectives et rétrospectives dont la portée dépasse le cadre de l'interaction, soit parce que le segment de discours qualifié a pris place en dehors de la classe concernée (p.ex. on parle d'un élève d'une autre classe, comme ici, ou d'un texte dans lequel quelqu'un explique quelque chose), soit que la qualification renvoie à un épisode trop éloigné pour être observé (p.ex. lorsque l'enseignant parle de ce qu'il faudra expliquer dans l'examen de maturité, qui aura lieu une année plus tard), seront donc classées dans la catégorie 'thème'.

3.5 Synthèse

Le tableau ci-dessous présente un aperçu du nombre d'occurrences des logonymes expliquer et

explication en fonction du contexte actionnel et de l'énonciateur.

Tableau 14: Classement des logonymes en fonction du contexte actionnel et de l'énonciateur

L2 L1

Lieu d'apparition du logonyme

P E P E

Orientation prospective: annonce 12 3 3 2

Orientation prospective: sollicitation 57 - 3 -

Orientation rétrospective: commentaire 9 - 2 -

Thème 27 7 12 10

Total 105 (91%) 10 (9%) 20 (63%) 12 (37%)

Ce tableau permet d'observer qu'en classe de langue seconde les logonymes apparaissent en grande majorité dans des sollicitations des enseignants (57 occurrences). Leur présence est plus rare dans les annonces et les commentaires rétrospectifs. Les logonymes apparaissent également moins souvent en tant que thème d'une conversation. En L1, par contre, la répartition entre les différentes orientations est moins contrastée: d'une manière générale, les logonymes expliquer et explication apparaissent peu dans des orientations prospectives et rétrospectives, et sont proportionnellement plus utilisés en tant que thème d'une conversation.

Une autre constante intéressante observable dans ce tableau est relative à l'énonciateur des logonymes. Le tableau montre clairement que la grande majorité des logonymes sont énoncés par les enseignants, ce qui est particulièrement flagrant en L2 (91%). En L1, l'écart est moins grand si on

regarde la totalité des logonymes (respectivement 63% et 37%), mais reste néanmoins importante si on exclut les logonymes apparaissant comme thème: on a alors 8 contre 2 occurrences (80% contre 20%). La disproportion est telle qu'on peut se demander si l'analyse des logonymes est bien pertinente pour dégager les orientations des participants envers l'explication: en effet, ne risque-t-on pas alors de ne dégager que les orientations des enseignants, pas celles des élèves? Dans la perspective socioninteractionniste adoptée par la présente recherche, le fait que les enseignants énoncent beaucoup plus souvent les mots expliquer et explication que les élèves n'est cependant pas un problème pour l'analyse: enseignants et élèves coparticipent à l'organisation des interactions en classe, et les données constituent donc le produit d'un accomplissement conjoint. On a vu que les participants d'une interaction sociale se rendent constamment mutuellement reconnaissable leur compréhension de l'activité dans laquelle ils sont engagés (cf. les notions d'accomplissement de l'intersubjectivité et de cognition socialement partagée, chapitre II, point 1.). Ainsi dans les données, si les élèves énoncent peu de logonymes, ils déploient publiquement leur compréhension des logonymes quand ils sont utilisés par les enseignants. Par exemple, quand l'enseignant demande à un élève d'expliquer (cf. p.ex. extrait 10 supra), l'élève manifeste sa compréhension de l'action précédente en produisant une action qui peut être interprétée comme une réponse à une requête, et qui peut être interprétée comme une explication. Si l'enseignant procède ensuite à une ratification de l'action de l'élève, il exhibe alors une interprétation de l'action comme satisfaisante au regard de sa demande, donc comme constituant une explication. En somme, la disproportion avec laquelle les enseignants et les élèves utilisent les logonymes expliquer et explication dans les interactions en classe n'enlève rien au fait que ces termes sont énoncés dans le cadre d'interactions co-construites entre élèves et enseignants. Il est donc légitime de dire que l'analyse de l'emploi des logonymes, pour autant qu'elle prenne en compte le contexte situationnel et séquentiel des interactions, permet de dégager les orientations de tous les participants, et pas uniquement celles des enseignants.

Il est possible que la disparité élèves-enseignants quant à l'utilisation des logonymes reflète l'asymétrie des rôles endossés par les participants. C'est l'enseignant qui généralement prend en charge l'introduction, la régulation et la clôture des activités. Dans la phase d'introduction, il annonce la teneur de l'activité: c'est là qu'on trouve des logonymes à orientation prospective d'annonce, qui ont pour fonction d'attirer l'attention des élèves sur la consigne qui est énoncée. Dans la phase de régulation, il lui arrive fréquemment de poser des questions aux élèves et d'évaluer leurs réponses. Il peut alors expliciter la nature de ses demandes afin que les élèves les reconnaissent et y répondent de manière appropriée. On trouve dans ces moments des logonymes à orientation prospective de sollicitation et à orientation rétrospective, qui permettent à l'enseignant de spécifier ses attentes et la portée de son évaluation. On pourrait s'attendre à ce que les élèves emploient également les termes

expliquer ou explication dans les demandes qu'ils adressent à l'enseignant, notamment lorsqu'ils

rencontrent un problème de compréhension. Cependant, comme on peut le voir dans le tableau ci- dessus, le seul contexte dans lequel apparaissent les logonymes des élèves, outre le contexte d'apparition comme thème, est celui d'annonce (il s'agit de logonymes apparaissant au début d'exposés). L'extrait suivant montre une question d'élève à laquelle fait suite une contre-question de l'enseignant, ce qui est relativement fréquent dans les données. L'enseignant utilise le terme expliquer alors que l'élève ne l'utilise pas, ce qui reflète bien la tendance générale reflétée par le tableau 14.

13) SPD L2-secII-12 (audio 26m14s)

01 02 03 04

F1: les vieux sor- sortent seulement s'il y a (..) si une personne qu'ils connaissent est mort pour aller à l'enterrement de cette personne (.) et comme s'ils attend au moment qu'ils sont (.) euh (.) (euh:::) [(que c'est leur tour)]

05 06

P: [que: c'est leur] tour le moment où c'est leur tour. (.) mhm

07 F2: euh qu'est-ce que ça veut dire euh l'enterrement.

08 P: ah l'enterrement (.) est-ce que vous pourriez l'expliquer.

09 10

F1: c'est quand une personne est morte (.) on va à la cimetière et (.) on (le;les) met en terre.

Une élève demande ici la signification du terme enterrement ('qu'est-ce que ça veut dire euh l'enterrement, l.7), qui apparait dans le tour de parole d'une camarade ('pour aller à l'enterrement', l.2). La demande semble adressée à l'enseignant (les demandes entre pairs tendent à être réalisées en L1 et en chuchotant, cf. chapitre VII, point 1.2). L'enseignant ne répond cependant pas à la demande mais effectue une contre-question, c'est-à-dire qu'il renvoie la demande à l'élève ayant employé le terme ('l'enterrement est-ce que vous pourriez l'expliquer', l.8). Tant la demande de l'élève que celle de l'enseignant sont tout à fait représentatives, sur le plan formel, de ce qu'on trouve dans les

données: l'élève n'utilise pas de logonyme, au contraire de l'enseignant (qui utilise 'pouvoir expliquer'). Malgré leurs différences sur le plan formel, les deux demandes portent sur le même objet, à savoir la signification de l'item enterrement. Cette similitude sur le plan de l'objet et de la fonction de l'action permet d'interpréter les deux demandes, celle de l'élève et celle de l'enseignant, comme des demandes d'explication, malgré l'absence de logonyme dans le tour de l'élève. Il est possible que les élèves n'utilisent pas de logonyme parce que le verbe expliquer, lorsqu'il est utilisé dans une demande, sert tendanciellement à en souligner l'orientation didactique. En utilisant ce logonyme, l'enseignant signale ainsi que sa demande a pour but de vérifier les connaissances de l'élève ou sa capacité à expliquer. Deux particularités, résumées dans le tableau ci-dessous, viennent appuyer cette hypothèse:

Tableau 15: Quantité de questions display et du modalisateur pouvoir accompagnant les logonymes dans les demandes de l'enseignant

L2 L1

Nombre de logonymes apparaissant dans des demandes display de l'enseignant 43 1 Nombre de 'pouvoir expliquer' apparaissant dans des demandes de l'enseignant 35 1

Total des logonymes apparaissant dans des demandes de l'enseignant 57 3

Ce tableau permet de dégager que 75% des sollicitations de l'enseignant contenant un logonyme sont des questions display (43 occurrences sur 57), c'est-à-dire des questions ayant pour fonction de vérifier les connaissances des élèves. Le modalisateur pouvoir apparait également souvent dans les demandes de l'enseignant (dans 35 sur 57 occurrences, soit 61%; le modalisateur apparait dans 29 cas dans des demandes display, soit dans 67% des demandes display). L'enjeu de la demande est bien pour l'enseignant d'observer le 'pouvoir expliquer' de l'élève, c'est-à-dire de déterminer s'il possède les connaissances et les moyens langagiers suffisants pour accomplir l'explication. Si une fonction récurrente du logonyme dans les demandes (mais néanmoins pas la seule: une partie des demandes contenant des logonymes sont de 'vraies' questions) est d'en expliciter la valeur didactique, alors il est peu étonnant que les élèves ne l'utilisent pas: ils ne sont pas en position de vérifier le 'pouvoir expliquer' de l'enseignant.