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Les analyses se déroulent en trois étapes, qui sont les suivantes:

Identification des explications: La première étape, qui constitue un préalable nécessaire aux deux

autres, consiste à identifier les explications dans les données. Dans la perspective émique adoptée dans la présente recherche, cette étape suppose d'analyser la manière dont les participants s'orientent envers la notion d'explication, afin que la collection de phénomènes appelés 'explications' dans la recherche corresponde aux catégorisations des participants eux-mêmes. Partageant l'opinion de Gülich (1990-1991) selon laquelle "une description de données conversationnelles avec une 'mentalité' ethnométhodologique ne [lui] parait pas incompatible avec d'autres types de description ou d'analyse linguistique" (Gülich 1990-1991: 102/358), la présente recherche adopte une démarche originale pour établir une liste de repères pour l'identification des explications, prenant pour point de départ l'analyse de la manière dont les participants emploient les logonymes (Marra & Palloti, 2006)

expliquer et explication dans les données (chapitre VI).

Description des explications: La description des explications est scindée en deux étapes (et deux

chapitres, VII et VIII). La démarche analytique s'inspire des étapes de l'analyse conversationnelle telles que les décrit Gülich (1990-1991):

1) découvrir des régularités dans le corpus, c’est-à-dire des structures verbales qui reviennent régulièrement dans certains contextes; […]

2) reconstruire le problème que les participants cherchent à résoudre à l’aide de ces structures, 3) décrire la "méthode" qui leur permet de résoudre le problème en question. (Gülich, 1990-1991:

84/338)

Etant donné que dans la présente recherche, l'identification des explications correspond à la première étape, les points 1) et 2) présentés dans la citation sont intervertis: la première étape consiste à identifier les explications, et la deuxième étape consiste donc à décrire les régularités avec lesquelles sont accomplies les explications. Le chapitre VII porte sur la description de l'organisation séquentielle des explications en classe de langue seconde (reconstruction du problème et description des régularités chez Gülich). Le chapitre VIII porte quant à lui sur les 'méthodes' auxquelles les élèves ont recours pour construire leurs explications, c'est-à-dire sur les ressources linguistiques, discursives et interactionnelles mobilisées par les élèves pour expliquer (description des régularités et des méthodes chez Gülich).

Description des opportunités d'apprentissage: La troisième étape consiste à réfléchir à

d'éventuelles opportunités d'apprentissage associées à la pratique des explications en classe. Il s'agit de dégager les finalités des séquences d'explication sur le plan didactique et de déterminer si la manière dont les séquences d'explication sont mises en œuvre dans les interactions permet d'accomplir ces finalités. Cette étape permet de formuler en clôture quelques implications concrètes des résultats pour l'enseignement des langues secondes (chapitre IX).

Les analyses sont centrées sur les interactions en classe de langue seconde, mais le présent travail propose régulièrement des comparaisons avec les données de langue première. Les analyses sont principalement qualitatives et menées dans la 'mentalité analytique' de l'analyse conversationnelle. Ces analyses sont complétées de quantifications qui ont pour but de rendre visibles certaines tendances générales et d'avoir une vue d'ensemble des collections (la collection des logonymes dans le chapitre VI, la collection des explications dans les chapitre VII). Le tableau ci-dessous, repris de Pallotti (2007), permet de clarifier la manière dont les analyses qualitatives et quantitatives contribuent à l'interprétation des données:

Tableau 7: Axes de l'analyse d'après Pallotti (2007)

Poor interpretation

(description) Rich interpretation 'Theory' Single event Presenting an event: 'X

can happen' Interpreting the event: 'what's going on here?', 'why that now?'

Developing a frame of mind, analytic categories, a descriptive method Collection of

events Identifying a recurrent pattern, a form; possibly, calculating how many instances of it are in the corpus.

What happens in all the episodes of that kind? Identifying a socio- semiotic genre, a practice.

Establishing (classes of) practices and phenomena. Relationships among categories Noticing correlations among descriptive categories, e.g. one practice with another, or with a particular

participation framework, or with certain interactional dynamics.

Explaining correlations with general principles ('when participants do X, it is because of Y') Identifying general explanatory principles, making predictive hypotheses; providing accounts for regularities.56

Note: les zones grisées représentent les zones pour lesquelles la quantification (verbale ou au moyen de chiffres) est pertinente.

L'identification des explications (chapitre VI) aboutit à l'élaboration d'une collection d''événements' (collection of events, 2ème ligne, 1ère colonne). La description des séquences d'explication (chapitre VII)

a lieu sur les plans quantitatif et qualitatif, et correspond à la 2ème ligne du tableau: il s'agit de proposer une description qui permette de décrire toutes les occurrences de la collection, ainsi que de les classer en différentes catégories. La description des ressources (chapitre VIII) se base également sur l'intégralité de la collection et permet de dégager que des ressources sont mobilisées de manière récurrente dans certains contextes. Les ressources ne constituent cependant pas des items quantifiables: elles sont toujours mises en œuvre dans l'interaction de manière contextualisée et de ce fait jamais exactement identiques. On peut dire, au regard de ce tableau, que les explications sont donc abordées en premier lieu comme des 'événements isolés' (single event), qu'il s'agit d'interpréter dans une perspective conversationnaliste ('what's going on here?'; 'why that now?'), ce qui n'interdit pas certains regroupements d'explications similaires (bien entendu, pour autant que la similarité soit démontrée). La description des opportunités d'apprentissage (chapitre IX) implique de mettre en relation les explications avec les formes d'interaction dans lesquelles elles prennent place. Cela correspond dans le tableau à la mise en relation d'une pratique avec un cadre de participation (3ème ligne, 2ème colonne). Cependant, les associations entre ressources mobilisées et formats d'interaction ne sont pas quantifiées au moyen d'analyses statistiques.

56 Traduction:

Interprétation pauvre (description) Interprétation riche 'Théorie' Un seul

événement Présenter un événement: 'X peut se produire'. Interpréter l'événement: 'que se passe-t-il ici?' 'pourquoi ceci maintenant?'

Développer un cadre, des catégories analytiques, une méthode descriptive. Collection

d'événements Identifier une structure récurrente; éventuellement, calculer combien d'occurrences il y a dans le corpus.

Que se passe-t-il dans tous les épisodes de la collection? Identifier un genre socio- sémiotique, une pratique.

Etablir (des classes de) pratiques et de phénomènes. Relations entre

les catégories Etablir des corrélations entre catégories descriptives, p.ex. entre une pratique et une autre, ou entre une pratique et un cadre de participation, ou avec une certaine dynamique interactionnelle.

Expliquer les corrélations avec des principes généraux ('quand les participants font X, c'est parce que Y').

Identifier des principes explicatifs généraux, faire des hypothèses prédictives, rendre compte des régularités. Axe de l'interprétation Ax e de la g én ér al is at io n

Résumé du chapitre

• La présente recherche s'ancre dans un projet sur l'organisation du discours dans l'interaction en classes de français langue première et seconde (cf. 1.).

• La présente recherche vise à décrire les explications en classe de langue seconde, les ressources relatives à la compétence d'explication des élèves, ainsi que les opportunités d'apprentissage pouvant prendre place dans les séquences d'explication (cf. 2.).

• Les principes méthodologiques de la présente recherche sont empruntés à l'analyse conversationnelle et à l'approche holistique (écologique) de l'apprentissage des langues secondes (cf. 3.).

• Les données analysées dans la présente recherche sont 42 périodes scolaires d'interactions en classe de français langue seconde et 12 périodes scolaires d'interactions en classe de français langue première. L'analyse porte centralement sur les classes de langue seconde, les classes de langue première servant de point de comparaison. Les données sont des enregistrements audio et vidéo transcrits intégralement. Seules les activités réunissant l'ensemble des participants sont prises en compte dans les analyses (et non les travaux en groupes) (cf. 4.). • Les analyses sont séparées en trois étapes: identification des explications, description des

explications, description des opportunités d'apprentissage. Elles sont principalement qualitatives mais s'accompagnent parfois de tableaux quantificatifs (cf. 5.).

2

ÈME

PARTIE:

ANALYSES: IDENTIFICATION ET DESCRIPTION DES

SÉQUENCES, DES RESSOURCES ET DES OPPORTUNITÉS

Chapitre VI

Identification des séquences d'explication:

analyse des logonymes expliquer et explication

La première étape d'une analyse des explications en classe de langue implique d'identifier les explications dans les données pour constituer une collection. La présente recherche propose de prendre comme point de départ l'analyse des termes expliquer et explication dans les données, en vue de proposer une identification émique des explications. Cette manière de procéder, bien qu'elle n'ait pas à ma connaissance été utilisée dans le cadre d'études sur l'explication, est déjà considérée comme une piste intéressante dans les travaux du cercle de sémiologie de Neuchâtel au début des années 1980. Selon ces travaux, la présence du "métaterme" expliquer dans un discours authentique est un indice permettant de repérer une explication (cf. Borel, 1981a, b, c; Chesny-Kohler, 1983; Ebel, 1981):

C'est une marque, un lieu où le discours, en même temps qu'il indique ce qu'il prétend être, signale comment il doit être lu et entendu. […] Il est vrai qu'il ne suffit pas de dire [je vais vous expliquer...] pour que ce qui suit soit reçu comme une explication acceptable. Mais par là j'oriente mon discours et le valorise en un sens très précis: non contestée, l'expression je vais vous expliquer donne au développement ainsi introduit un statut d'explication. (Ebel, 1981: 30)

Ces travaux incitent néanmoins à la prudence lors de l'identification des explications dans un corpus donné: "le seul fait d'introduire le verbe 'expliquer' […] n'est pas une assurance que le discours tenu soit effectivement un discours explicatif" (Chesny-Kohler 1983: 68)57. Certaines occurrences du terme

sont considérées "inappropriées" par les auteurs, dans le sens où "les occurrences de termes comme 'expliquer' ne sont pas nécessairement compatibles avec leur contexte" (Borel 1981a: 27). Selon Borel et Chesny-Kohler, le terme expliquer est en effet souvent utilisé pour qualifier un discours d'orientation argumentative, du fait qu'il valorise le discours à venir comme objectif et non polémique. Il est vrai qu'on entend plus souvent "je vais vous expliquer" que "je vais argumenter", ou "vous ne m'avez pas compris, je vais vous réexpliquer" plutôt que "vous n'êtes pas convaincu, je vais ré-argumenter". Pour ces auteures, c'est donc le caractère polémique ou a-polémique qui permet de déterminer si un discours est argumentatif ou explicatif, quel que soit le verbe introducteur utilisé. Cette approche est problématique, car les critères visant à opposer l'explication à l'argumentation sont loin d'être absolus (cf. chapitre I, point 2.3). Mais surtout, en qualifiant d''inappropriés' certains usages du verbe

expliquer, les auteures adoptent une perspective normative et étique de l'explication.

La présente recherche souhaite en revanche adopter une perspective émique et vise à dégager ce qui est catégorisé (annoncé, interprété) par les participants eux-mêmes comme explication, dans la lignée de Grize (1990): "dans la mesure où je ne cherche pas à déterminer la valeur d'une explication, il me suffit de savoir que, pour son auteur tout au moins, telle séquence était une explication" (Grize, 1990: 104). Dans cette perspective, toute catégorisation par un interactant d'un segment de discours comme

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De la même manière que "la présence dans le texte conversationnel d'un terme descriptif comme 'question' ou 'interruption' n'est en rien une condition nécessaire (ni même dans certains cas suffisante) à l'identification d'une question ou d'une interruption" (Kerbrat-Orecchioni, 2005: 83-84).

'explication' est intéressante et valable, pour autant que cette catégorisation soit analysée dans son contexte d'apparition, afin d'observer par exemple si la qualification est remise en question par un participant et négociée dans la suite de l'interaction. Cela ne signifie pas que la présence du verbe

expliquer ou du substantif explication soit une condition nécessaire ou suffisante pour attester de la

présence d'une explication: ces termes peuvent être utilisés pour parler de l'explication et non pour

expliquer, de même qu'on peut expliquer sans avoir recours à un de ces termes. L'analyse des

'logonymes' (Marra & Pallotti, 2006) permet donc non pas d'accéder directement à l'explication, mais d'observer les orientations des participants par rapport à l'explication dans un contexte donné.

Des repères pour l'identification des explications peuvent être dégagés de l'analyse des orientations des participants observées à travers leur utilisation de logonymes. De cette manière, les explications sont identifiées dans une perspective émique, c'est-à-dire qu'elles correspondent au point de vue des acteurs et peuvent être analysées au regard de ces points de vue, du fait que "les conduites humaines et les raisonnements pratiques des êtres humains dépendent des interprétations que ces êtres font des contextes dans lesquels ils (inter-)agissent" (Pekarek, 1999: 33). Dans cette perspective, la classe de langue fonctionne comme un 'écosystème', une communauté (speech community, cf. Seedhouse, 1994: 306), dans laquelle les logonymes peuvent être analysés de manière cohérente, du fait qu'elle se caractérise par "l'usage systématique de certaines routines interactives, la présence d'une étiquette

linguistique pour définir tel ou tel événement communicationnel" (Pallotti, 2002: 175, je mets en

italique). Les termes expliquer et explication peuvent y prendre une signification spécifique, et la description des explications n'est donc pas nécessairement transférable à d'autres contextes d'interaction. Cette absence de transférabilité ne pose pas problème puisque l'explication est dans tous les cas un phénomène contextuellement dépendant.

L'analyse des logonymes présentée dans ce chapitre se rapproche de celle de Fiehler (2007), qui a recensé les occurrences du terme allemand erklären dans un grand corpus informatisé afin d'en dégager empiriquement les usages et significations, ainsi que de celle de Marra & Pallotti (2006), qui ont mené une recherche "ethnosémantique" sur les logonymes en classe de langue pour accéder aux représentations des enseignants et des élèves. Le terme logonyme ainsi que sa définition sont empruntés à ces deux auteurs. Un logonyme est un lexème à fonction métacommunicative, c'est-à- dire qui renvoie à une activité d'utilisation de la langue. Les logonymes comprennent "les verbes à travers lesquels nous exprimons la production et la réception linguistiques" (Marra & Pallotti, 2006: 133), les mots qui désignent "les produits de cette activité" (ibid.) ainsi que "les producteurs et récepteurs de cette activité" (ibid.). Alors que Marra & Pallotti (2006) observent les logonymes dans des entretiens semi-dirigés menés auprès d'enseignants et d'élèves, ils seront ici observés directement dans les leçons enregistrées, afin d'avoir une vision de l'emploi de ces termes in situ.

§

Ce chapitre présente dans un premier temps la liste des logonymes répertoriés dans les données (1.), puis propose une analyse de différentes dimensions du contexte dans lequel les logonymes expliquer et explication apparaissent:

• Contexte syntaxico-sémantique (2.): dans quelle structure syntaxique apparait le logonyme? cette partie porte uniquement sur le verbe expliquer, pouvant apparaître dans des structures syntaxiques diverses.

• Contexte actionnel (3.): dans quel type d'action langagière et à quelle place séquentielle apparait le logonyme? qui en est l'énonciateur?

• Contexte situationnel (4.): dans quel type d'activité et d'épisode apparait le logonyme?

• Objet associé au logonyme (5.): de quelle nature est l'objet qu'il s'agit d'expliquer (explanandum), comment est-il présenté?

L'analyse de ces dimensions permet de dégager des indices sur les caractéristiques des explications en classe et donne des pistes sur les dimensions à prendre en compte pour leur description. L'analyse permet en outre de proposer des repères pour l'identification des explications dans les données (6.). Le chapitre se clôt sur une présentation de la collection des explications constituée sur la base de ces repères.