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3. Interactions en classe de langue et développement de la compétence d'interaction

3.1 De l''authentique' et du 'simulacre' en classe de langue

Les interactions en classe de langue ont pour but l'apprentissage d'une langue "dans un horaire réduit et un rythme contraint par rapport à ce qu'exige l'acquisition naturelle" (Bange, 1992a: 69). L'activité d'enseignement vise à maximiser les processus d'apprentissage de la langue-cible, notamment en mettant en place des activités et formes d'interaction spécifiquement adaptées au niveau des apprenants. Etant donné que l'apprentissage est non seulement le but mais la raison d'être de la classe de langue, on peut la voir comme le lieu d'apprentissage par excellence:

Une des spécificités constitutives de la classe de langue est, tout à la fois, de doser, de sélectionner et de densifier les données proposées au travail des apprenants. Avec un temps d'exposition et de pratique généralement limité, il s'agit en quelque sorte d'enrichir le matériau et les traitements auxquels il donne lieu en classe. Il s'agit aussi de l'ordonner de telle manière, dans son introduction et son recyclage, que sa structuration / restructuration progressive soit – en principe – optimalisée. Il s'agit enfin, par divers modes d'évaluation, d'apprécier et de consolider les progrès dans la connaissance et la maîtrise de la langue apprise. (Coste, 2002: 14)

Paradoxalement, l'enseignement guidé, notamment en contexte scolaire, a fait l'objet de critiques en raison du caractère supposément 'non-authentique' de la communication qui y prend place, et la classe de langue a parfois été décrite comme "le lieu où l'acquisition [a] le moins de chance de se produire" (Coste, 2002: 4). Dans les années 1980, les approches communicatives ont soutenu que la communication en classe devait se rapprocher le plus possible des conversations 'naturelles' (c.-à-d. des interactions non-institutionnelles), afin que les élèves puissent expérimenter des rôles variés dans des discussions aux enjeux véritables. Si la volonté de mettre en place des discussions aux enjeux véritables et permettant aux élèves d'adopter des positions variées dans l'interaction est toujours d'actualité, deux critiques majeures ont depuis été émises face à la volonté des approches communicatives de faire entrer la conversation 'ordinaire' dans les interactions en classe:

• Premièrement, les approches interactionnistes, notamment les recherches sur la communication exolingue, ont permis de relativiser le clivage entre conversations 'naturelles' et 'institutionnelles'. L'établissement d'un 'contrat didactique' entre les interactants, les phénomènes de bifocalisation et les séquences IRE sont présentes en classe mais également en contexte exolingue 'naturel' (de Pietro et al., 1989). La séquence IRE ainsi que les 'fausses' questions se retrouvent également dans les interactions parent-enfant (Seedhouse, 1994, 2004), de même que la focalisation sur les formes linguistiques, notamment à travers l'utilisation ludique du langage (comptines, répétitions, calembours, etc.) (Sullivan, 2000). Enfin, plus généralement, toute pratique langagière, en classe comme en contexte 'naturel', "repose en partie sur les mêmes principes, tels le changement de tours de parole, la gestion conjointe des contenus et des relations sociales, la négociation de problèmes d'intercompréhension, etc." (Pekarek Doehler 2002: 28; cf. aussi Schegloff et al., 2002, p.ex. citation dans le chapitre II, point 2.).

• Deuxièmement, la volonté des approches communicatives d'imiter des échanges 'naturels' à tout prix, notamment en ayant recours à des jeux de rôles et autres simulations, peut conduire justement à faire de la classe un lieu d'interactions 'artificielles', qui feignent ce qu'elles ne sont pas: "le fait est que […] la finalité 'authentique' d'une classe de langue (sinon l'unique, du moins la principale) est bien de permettre l'apprentissage de la L2 et non de faire quelque chose d'autre (dans ce dernier cas, elle cesserait d'être une classe de langue)" (Pallotti: 2002: 185- 186). La langue, les formes et les significations sont donc en classe des objets de communication aussi 'authentiques' que l'établissement d'un diagnostic chez le médecin, l'enregistrement de bagages à l'aéroport, etc. (Coste, 2002; Pekarek, 1999; van Lier, 1988; Walsh, 2006; Watson-Gegeo & Nielsen, 2003). Springer (2002) propose la notion d'authenticité

interne pour exprimer l'idée que l'authenticité n'est pas une valeur absolue mais relative à la

situation d'interaction. Il existe donc dans ce sens une authenticité interne à la classe de langue, comme à toute autre situation d'interaction.

§

La reconnaissance du caractère intrinsèquement authentique des interactions en classe de langue n'implique pas de voir ces interactions comme forcément optimales pour l'apprentissage. Les formes d'interaction en classe sont multiples et variées (Coste, 2002; Markee & Kasper, 2004; cf. aussi les contextes de Seedhouse, 2004, au point 2.3 supra). Il est donc possible que certaines de ces formes permettent de maximiser les processus d'apprentissage et d'autres non. Selon Bange (1992a, 1996, 2006; cf. aussi Nonnon, 1998), les enseignants imposent parfois aux élèves leur conception de l'apprentissage et déterminent seuls des moyens qui doivent permettre de l'activer, "au nom d'un savoir sur les buts et les moyens de l'enseignement, assimilé indûment au savoir-faire de l'apprentissage" (Bange, 2006: 64). Les activités et les formes d'interaction sont alors gérées uniquement par l'enseignant, ce qui selon Bange empêche l'activité cognitive de l'élève de se dérouler de manière autonome et spontanée. Les interactions tendent à prendre la forme d'une transmission d'informations contrôlée par l'enseignant, ce qui laisse peu de place pour la création et le maintien des relations sociales, la construction collective du sens, la coordination entre les interactants, la prise d'initiative de la part des élèves. Dans ces conditions, l'interaction n'est plus qu'un "simulacre d'interlocution" (Bange 2006: 64).

Un autre problème qu'observe Bange dans certaines interactions en classe réside dans une confusion entre niveau communicationnel et niveau métalinguistique: dans des activités censées être focalisées sur des contenus thématiques, certains enseignants s'orientent vers la production de formes correctes comme enjeu principal de l'activité, et "la communication est évaluée en fonction de la correction grammaticale" (Bange, 1992a: 77). Cette confusion peut engendrer une participation peu spontanée de la part des apprenants, qui "se demandent parfois s'ils doivent parler correctement ou vraiment" (Defays, 2003: 22) et finissent par se concentrer davantage sur les formes que sur le développement et l'expression de leurs idées.

Certaines interactions en classes donnent également lieu à ce qui a été décrit comme des procédés de ritualisation excessifs (Lüdi et al., 1999; Pekarek, 1998, 1999): les activités de communication suivent des schémas conventionnels figés qui ne laissent que peu de marge d'action aux élèves. La ritualisation excessive des comportements diminue les opportunités d'apprentissage ainsi que la motivation des élèves, car les conversations sont trop simplistes et n'ont pas d'enjeu réel. Un exemple concret de ce qui pourrait être qualifié de 'procédé de ritualisation excessif' est l'organisation des tours de parole en classe. Van Lier (1988), reprenant Sacks et al. (1974), fait remarquer que dans les conversations ordinaires, l'organisation des tours de parole fournit une motivation intrinsèque pour

l'écoute, sans lien avec l'intérêt ou la politesse. Le participant qui souhaite prendre la parole est obligé d'écouter pour repérer les points de transition possibles dans le discours de son interlocuteur. Or, si les allocations des tours de parole sont prédéfinies dans l'interaction, comme c'est souvent le cas dans les interactions en classe, cette motivation intrinsèque aura tendance à disparaître. Les élèves seront alors moins attentifs à la discussion et aux aspects proprement interactionnels du discours, se contentant de prendre la parole au moment où ils s'entendent nommer par l'enseignant. Une autre conséquence d'un système figé d'allocation des tours est que les élèves ne peuvent pas s'exercer à prendre la parole de manière 'spontanée' (c.-à-d. par auto-sélection), à repérer les points de transition potentiels et à adapter leurs contributions à un contexte séquentiel autre que celui des paires adjacentes question-réponse. Un 'procédé de ritualisation excessif' est donc celui qui fait de la majorité des échanges en classe de langue une suite de séquences IRF. Selon de nombreuses études, le format IRF ne permet pas la gestion distribuée des thèmes et du déroulement de l'interaction, les élèves étant cantonnés au rôle de 'répondants', et par conséquent ne permet pas la mise en œuvre (ni, a fortiori, le développement) de ressources discursives et interactionnelles complexes (Bange, 1992b, 1996; Boyd & Miller Maloof, 2000; Ho, 2007; Kasper & Rose, 2002; Hall & Walsh, 2002; Markee, 2000; Nonnon, 1998; Wells, 1993).

3.2 Formes d'interaction et opportunités de développement de la