La Guyane est un môle de roches cristallines, chargé en son cœur d’or, de fer et de dia‐ mants. « Du point de vue géologique, cette Guyane est aussi une île, un massif distinct de granit et autres roches éruptives, émergé depuis l’époque des Trias » (Reclus, 1895). Elle rassemble des roches précambriennes formées il y a environ 3 400 millions d’années.
1 Université de Paris X Nanterre, département de géographie, Nanterre, France. emmanuel.lezy@u‐paris10.fr
Bouclier des Guyanes
Figure 1 : Le boulier des Guyanes. Source : Lézy E., 2003. La Guyane, un territoire de légendes, en marge de toutes les cartes. Cah. Amer. latines (43) : 39-65, CC BY NC ND
La division du Gondwana les sépara il y a 200 millions d’années de ce qui forme aujour‐ d’hui le bouclier ivoirien et constitue avec elle la chaîne guyano‐éburnéenne.
Le boulier des Guyanes est divisé par l’axe de l’Essequibo ‐ Rio Branco en deux ensembles, coulissant l’un sur l’autre. À l’est, le bloc soulevé a été débarrassé de sa couverture sédi‐ mentaire précambrienne par la puissance érosive de quatre mètres d’eau de pluie par an
chauffée par l’Équateur. Au‐dessous, les môles granitiques 2, peu résistants à l’érosion
chimique, ont été puissamment rabotés. C’est un paysage collinaire qui domine, caractéri‐ sé par des formes dites en « demi‐oranges ». Les altitudes restent faibles mais les points hauts s’élèvent progressivement vers l’ouest, de 250 mètres en Amapá (Serra do Navio) à un peu plus de 1 000 mètres dans les monts Kanuku au sud du Guyana, en passant par les monts Tumuc Humac dont le plus haut (Mitaraka) domine à 690 mètres.
À l’Ouest le bloc affaissé a conservé des pans entiers de sa couverture sédimentaire. Le paysage semble troué par le jaillissement de ces formations gréseuses tabulaires de plus de 1 000 mètres d’épaisseur, les tepuys, qui sont en fait inégalement effondrés (dans le graben du Takutu le plancher sédimentaire est recouvert par 4 500 mètres de sédiments). Ils constituent les sommets les plus élevés de l’Amérique du Sud non‐andine (Pico de la Neblina, 3 014 m). La périphérie de la région est frangée par les plus hautes chutes du monde : Salto Angel (972 m) sur le Churun, ou Kaïeteur Falls (250 m) sur la Potaro River. La forêt tropicale humide qui couvre 90 % de sa superficie laisse apparaître deux trous de savanes au centre, l’une en creux (80 000 km² de savanes intérieures sur le graben), l’autre en relief (70 000 km² de tepuys).
Le bouclier des Guyanes trouve ses limites vers l’ouest et le nord‐ouest en plongeant sous les dépôts provenant de la chaîne des Andes, qui forment les vastes dépressions des Lla‐ nos, vers le sud en disparaissant sous les formations aléozoïques qui comblent la dépres‐ sion de l’Amazone, et vers le nord et le nord‐est le long de la façade atlantique où des dépôts tertiaires et quaternaires d’origine marine ou deltaïque le recouvrent.
2 Phases tectoniques hyléenne (2 770 à 2 400 millions d’années), guyanaise (2 800 à 2 200 MA)
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Il reste pourtant une « île continentale », grâce à une série de « rencontres » entre les cou‐
rants les plus importants de la planète. La « mer d’eau douce » de l’Amazone (75 000 m3/s,
100 000 m3/s en crue) est rabattue à Marajó par le courant équatorial d’est. Ses eaux
brunes ourlent la « côte sauvage » de mangroves inhospitalières. Dans le delta Amacouro,
les eaux de l’Amazone, devenues le puissant « courant des Guyanes » (16 000 m3/s),
s’unissent à celle du « splendide Orénoque » (33 000 m³/s, le second débit du monde,
100 000 m3/s en crue). Un canal merveilleux, qui coule alternativement vers le nord et vers
le sud complète ce dispositif annulaire en mettant en contact les eaux du haut Orénoque et celles du haut Rio Negro. C’est grâce à ce canal du Cassiquiare que la Guyane mérite son nom d’île, par cette fragile réalité qu’elle reste reliée au continent (Lézy, 2000 ; 2003).
El Dorado, l’autre nom du paradis
Bien qu’il ignorât cette liaison improbable, Walter Raleigh en 1596 fit mention de cette ré‐ gion et connut un succès immédiat : « The discovery of the large, rich and beautiful Empire of Guiana, with a relation of the great and golden city of Manoa (which the Spaniards call El Dorado) » (Raleigh, 1993). Cent ans après le rêve d’éden catholique de Colomb, l’Europe du Nord orientait sur la région sa quête d’un refuge protestant. La Guyane de Raleigh inspira l’Utopia de Thomas More. En 1616, d’un même coup de hache, Utopus séparait Abraxa du reste du monde et Jacques Premier envoyait Raleigh rejoindre ses Acéphales. Il ne vit jamais Manoa, « la plus grande ville du monde », au bord du Toponowini, le grand lac salé régnant sur une vaste cuvette agricole, protégée du monde par la forêt et ses peuples sauvages, les Kanibes, les Amazones et les Iwaïpanomas, les fameux hommes sans têtes. Raleigh et sa Guyane périrent de l’absence d’El Dorado. Pourtant, « peut‐être les Indiens qui informèrent Sir Walter Raleigh 300 ans avant (Humboldt et Schomburg) n’inventaient ni n’affabulaient‐ils » (Reynaud Schaeffer et Do Vale, 1997). Le centre de la Guyane, d’où l’on continue d’extraire l’or et le diamant, fut longtemps couvert par un ou plusieurs lacs (Ruellan, 1957 ; Beigbeder, 1959 ; Ab’saber, 1997) et l’on découvrira peut‐ être un jour les tombeaux de Manoa sur l’île de Maracá (Stevenson, 1994 ; Lézy, 2003).
Un fossile colonial
Pas de cité d’or mais la Guyane devint le refuge des protestants « longs souffles et des tard venus » (Chaunu, 1991), chassés par les guerres de religion et attirés par le rêve doré. Elle se loge à l’intersection de l’axe parallèle de la course aux Indes et du méridien de Tordesillas qui partagea les possessions ibériques. Sur le continent, son apparition vient combler un an‐ gle mort entre l’axe nord‐sud de la colonisation espagnole, calé sur l’axe des Andes, et celui de la poussée portugaise remontant le long de l’Amazone les limites de son uti possidetis 3. Les premières installations hollandaises dans les Guyanes datent de 1596, sur l’Essequibo. Dès 1604, le capitaine anglais Leigh tenta sans succès de s’installer sur les bouches de l’Orénoque. La même année, le Français La Ravardière explora les côtes de la Guyane. Il faudra attendre 1630 pour que les Anglais s’installent véritablement à l’embouchure du3 Cela signifie « comme tu as possédé, tu continueras à posséder ». Droit des belligérants d’un
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Suriname, 1643 pour la fondation de Cayenne et 1651 pour la création de la colonie britan‐ nique du Suriname à l’existence éphémère. De 1665 à 1667, en réponse à une attaque anglaise sur les Indes occidentales, une flotte des États de Zélande s’empara de la colonie anglaise du Suriname. À la paix de Breda, en 1667, les Provinces‐Unies conservèrent leur conquête en échange de la Nouvelle‐Amsterdam, qu’ils avaient fondée en 1626 dans l’île de Manhattan. Rapatriée, la Nouvelle‐Amsterdam fut refondée sur la nouvelle possession de la Berbice.
Ce n’est qu’en 1796 que les Anglais reprirent pied sur la côte de Guyane. Ils s’emparèrent alors des colonies de l’Essequibo, de Demerara et de Berbice, puis trois ans plus tard de celle du Suriname. Les colonies furent restituées aux Pays‐Bas lors du traité d’Amiens de 1802, puis réoccupées. Les traités de 1814‒15 rendirent une sorte de jugement de Salo‐ mon, plaçant les colonies de l’Essequibo, de Demerara et de Berbice sous la domination anglaise et restituant celle du Surinam aux Hollandais.
La Guyane française est ainsi l’aïeule des colonies françaises et la dernière rescapée de la fusion des quelques « arpents de neige » de l’empire américain (1763) et des indépen‐ dances africaines et asiatiques (1954−62).