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L’actuel  territoire  du  Venezuela  a  été,  lors  de  la  période  précolombienne,  l’habitat  de  nombreuses populations et cultures, qui ont eu une relation dialectique d’adaptation et de  transformation avec l’environnement pendant plus de 15 000 ans. Jusqu’en 1500 après J.‐ C., la côte Caraïbe a abrité un ensemble de groupes historiquement et culturellement dif‐ férents, au sein d’espaces collectifs de vie qui comprenaient des chasseurs‐cueilleurs ma‐ rins et des agriculteurs aux modes de vie égalitaires, mais aussi des groupes plus hiérarchi‐ sés. Tous ces groupes ont mis en place un paysage culturel, un paysage géographique hu‐ manisé,  dans  le  cadre  duquel  se  sont  développés  des  hameaux  et  des  villages  de  diffé‐ rentes tailles spatiales et démographiques, des sentiers en tant que voies de communica‐ tion, et des modes et des dispositifs de transports terrestre et fluvial. Grâce à leur travail,  ces populations ont modifié le relief naturel avec la construction de terrasses de culture,  de  réservoirs  d’eau  et  de  canaux  d’irrigation  pour  les  plantations,  de  trottoirs  et  de  che‐ mins entre les villages, de monticules et d’aplanissement des terrains pour la construction  des habitations et des centres de peuplement.  

Les  occupations  humaines  de  la  côte  Caraïbe  sont  chronologiquement  liées  à  trois  types  d’environnement : les zones littorales d’anciens estuaires, les plages et les îles océaniques,  et les lagunes du littoral. Dans le premier cas, la relation avec les forêts de mangrove et les  eaux  peu  profondes  de  l’estuaire  ont  donné  des  écosystèmes  très  productifs,  permettant  d’assurer dans la durée des occupations humaines. Dans le deuxième cas, la proximité des  marécages aux eaux salines a permis de combiner une agriculture sèche et, sur les terres  humides, la pêche et la cueillette. Dans le troisième cas, l’existence de systèmes interdépendants 

Côte Caraïbe du Venezuela 183  de communication, de canyons et de cours d’eau a favorisé la pénétration de la mer dans  des lagunes et à l’intérieur des bassins fluviaux. De vastes mangroves se sont ainsi dévelop‐ pées autour desquelles d’importants groupes humains ont pu prospérer grâce à la chasse,  la pêche et l’agriculture, cette dernière s’étant étendue jusqu’au piémont, dans des zones  de confluence entre le littoral et la montagne (Sanoja et Vargas, 1999).  

La  diversification  introduite  par  l’agriculture  a  élargi  le  panorama  culturel  de  ces  groupes  indigènes et a servi de base à l’établissement de nouveaux modèles socio‐environnemen‐ taux qui ont permis la mise en œuvre d’une spécialisation environnementale importante et  une plus grande capacité à établir des relations d’échange avec les écosystèmes. Ce proces‐ sus a été échelonné mais il n’a pas été concomitant de la sélection et de la culture de types  de plantes déterminées. En effet, les cultures ont été déterminées par les conditions agroé‐ cologiques  et  les  modèles  socioculturels  de  chaque  groupe.  Les  groupes  indigènes  de  la  côte  Caraïbe  du  Venezuela  ont  apporté  différentes  réponses  sociales,  technologiques  et  spatiales face aux exigences de subsistance, dans le cadre d’une amélioration multilinéaire  et mesurée de l’efficacité de leurs productions. Tous ont réussi à développer des relations  assez  équilibrées  avec  l’environnement,  orientées  par  des  valeurs  animistes  qui  n’établissaient pas véritablement de différences absolues entre le social et le naturel.  Entre  1500  et  1520  environ,  la  relation  initialement  établie  entre  les  populations  hispa‐ niques et les sociétés indigènes de la côte Caraïbe a été dominée par des activités et des  intérêts commerciaux qui se sont développés dans un cadre d’usurpation (Carvallo et al.,  1990).  Ce  processus  a  eu  de  dramatiques  conséquences  sociales  et  environnementales,  comme la destruction rapide d’importants écosystèmes (en particulier d’huîtres perlières),  une  baisse  accentuée  de  la  démographie  et  une  réduction  progressive  de  la  population  indigène,  ainsi  qu’une  résistance  croissante  des  indigènes.  Cette  résistance  a  été  un  sé‐ rieux  obstacle  à  l’établissement  de  centres  de  peuplement  espagnol,  dont  les  noyaux  de  départ ont été limités et ont pris du retard par rapport à d’autres régions d’Amérique. Les  centres de peuplement hispanique de la zone côtière ont donc été précaires et peu nom‐ breux,  comme  Nueva  Cadix  (de  courte  durée),  Asunción,  Coro  et  Cumaná,  dont  la  dyna‐ mique  de  structuration  et  de  stabilisation  s’est  prolongée  jusqu’en  1570  environ.  Le  lent  développement de ces noyaux, toujours sous la menace de la résistance indigène, est resté  limité  et  précaire  jusqu’à  la  fin  du  XVIIIe  siècle.  Malgré  le  massacre  ou  l’esclavage  d’une 

grande partie des indigènes, les implantations étaient caractérisées par un mode de subsis‐ tance s’appuyant essentiellement sur des pratiques indigènes environnementales de pêche  et d’agriculture tropicale.  Depuis la fin du XVIe siècle, les caractéristiques de l’occupation spatiale et de l’interaction  avec les systèmes locaux de la côte Caraïbe vénézuélienne se sont consolidées sur le long  terme. Le processus s’est ancré aussi bien dans la concentration démographique et les acti‐ vités  économiques  développées  sur  ce  territoire,  que  dans  l’appropriation  des  ressources  naturelles, des bénéfices économiques, sociaux et politiques provenant d’activités d’expor‐ tations agricoles en tant que seule source d’excédents vraiment significatifs. Cette concen‐ tration  était  plus  évidente  sur  l’axe  centre‐nord  de  la  côte  (figure 1)  où  se  trouvaient  les  terres les plus fertiles et où les populations indigènes, plus nombreuses, s’étaient installées  et avaient atteint des niveaux technico‐économiques sophistiqués et diversifiés. Dans cette  région,  l’activité  d’exportations  agricoles,  basée  sur  la  production  de  cacao  et,  dans  une  moindre  mesure,  de  canne  à  sucre  et  de  tabac,  s’est  appuyée  sur  l’hacienda  en  tant  qu’unité  de  production  de  base.  Celle‐ci  a  dominé  d’autres  structures  de  production  plus 

Côte Caraïbe du Venezuela petites et a été associée au renforcement des centres politico‐administratifs, de services et  de fixation d’une importante partie de la classe dominante (Carvallo et al., 1990).   Malgré l’existence du modèle de l’hacienda, la côte orientale a été dominée par une pro‐ duction commerciale familiale. Les exportations agricoles ont surtout concerné la culture  du cacao, jusqu’à la première décennie du XIXe siècle, période où la culture du café s’est  peu à peu imposée, jusque dans les années 1830. La culture du café s’est étendue à la ré‐ gion côtière du centre, dans les gorges et sur les pentes des vallées, où au préalable une  occupation de l’espace et une dynamique agroécologique basée sur le fonctionnement des  haciendas avaient pu se consolider. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les pentes de l’arc monta‐

gneux  de  la  côte  orientale  ont  été  occupées  par  cette  culture,  même  si  elle  a  été  moins  importante que dans les zones précédemment citées. 

La  dynamique  des  exportations  agricoles  et  ses  particularités  concernant  l’appropriation  de l’espace et la relation avec les écosystèmes de la côte Caraïbe ont entraîné des modifi‐ cations importantes du paysage, mais une faible dégradation des sols. Les transformations  de l’environnement et l’intensité des changements liés au paysage ont été variables, con‐ formément à la technologie utilisée pour les différentes cultures et à l’organisation géné‐ rale du processus de production. Les cultures de cacao et de café supposaient, avant tout,  une déforestation sommaire par le feu, qui détruisait une partie de la végétation existante.  Néanmoins, la plantation d’arbres d’ombre, nécessaires à ces cultures, a permis de recons‐ truire un environnement. Il s’agissait d’un remplacement de la forêt et ainsi, dès le début  du XXe siècle, toute la région où se trouvaient ces cultures a été recouverte de forêts se‐ condaires reconstruites. Dans le contexte du modèle de l’hacienda, la culture du café et du  cacao s’est développée dans un cadre renforcé de protection des eaux et de récupération  des sols, ce qui impliquait la préservation de forêts vierges près des sources, ainsi qu’une  sélection et une gestion des zones de cultures vivrières, grâce à des techniques indigènes  basées sur une courte période d’exploitation (d’un à trois ans) et d’une jachère prolongée  (de quinze à vingt ans), jusqu’à ce que l’écosystème se reconstitue avec la formation d’une  nouvelle forêt (Carvallo et al., 1990). 

La  culture  irriguée  de  la  canne  à  sucre  n’a  été  mise  en  œuvre  que  sur  quelques  terres  plates près de la côte Caraïbe, ce qui n’a pas entraîné d’érosion des sols, même si un épui‐ sement progressif de ceux‐ci a été constaté, du fait d’un manque d’engrais et de longues  périodes d’exploitation sur une même surface. Le labourage a été utilisé de façon limitée  dans  cette  région,  ne  touchant  que  la  culture  de  la  canne  à  sucre  et  les  potagers,  n’appauvrissant les sols qu’à une échelle réduite, et ne modifiant le paysage que ponctuel‐ lement. Durant cette période, l’intervention humaine sur le milieu maritime n’a pas eu non  plus de grandes conséquences, la pêche n’étant qu’une activité de subsistance. 

La modification du paysage a été causée par l’augmentation de la concentration de la popu‐ lation et le changement des modèles d’occupation, avec la construction d’habitations et de  services  d’infrastructure,  qui  ont  provoqué  la  disparition  d’un  espace  végétal.  Toutefois,  cela  n’a  affecté  que  des  surfaces  limitées,  surtout  à  cause  des  matériaux  utilisés  et  parce  que l’expansion des villes et des villages de la côte Caraïbe pendant cette période a été rela‐ tivement faible. La plupart  des agglomérations étaient des petits villages qui s’intégraient  au paysage rural. Les villes n’étaient rien d’autre que des concentrations humaines dont les  modes  de  vie  et  les  conditions  matérielles  restaient  marqués  par  la  vie  rurale,  ce  qui  ne  modifiait que très peu l’environnement. Jusque dans les années 1930, la ville s’est adaptée  au  terrain,  sans  vraiment  modifier  la  topographie  ni  faire  évoluer  les  matériaux  utilisés 

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dans les constructions (pisé, torchis, tuile, bois, entre autres). Ils pouvaient donc être réin‐ tégrés  à  l’écosystème  assez  facilement.  L’infrastructure  des  services  a  été  pratiquement  inexistante ou est restée très faible jusqu’à la fin du XIXe siècle (Carvallo et al., 1990). En 

résumé,  nous  pouvons  affirmer  que  la  construction  urbaine  a  davantage  impacté  l’environnement par sa présence même et donc par une faible croissance végétative, que  par ses conséquences. 

En  ce  qui  concerne  les  moyens  et  les  voies  de  communication,  leur  expansion  précaire,  avec peu d’interventions humaines sur le paysage, le relief et l’écosystème, n’a pas eu de  gros effets sur l’environnement. Le transport terrestre et aquatique des biens et des per‐ sonnes s’est développé à partir de la traction animale et du vent. Le chemin de fer n’a été  que peu présent. En comparaison, l’utilisation de ressources pour répondre à la demande  énergétique  a  eu  des  effets  plus  dévastateurs  sur  l’environnement  de  la  côte  Caraïbe.  L’utilisation de bois a entraîné une diminution des zones boisées, surtout à proximité des  centres de peuplement. Toutefois, une faible consommation et le caractère renouvelable  de  cette  ressource  ont  fortement  limité  ses  effets  négatifs.  Grâce  à  l’activité  agricole,  la  force hydraulique a été utilisée. L’hydroélectricité et la vapeur n’ont été que peu utilisées  entre le dernier quart du XIXe siècle et les deux premières décennies du XXe siècle. 

À  partir  des  années  1920,  en  même  temps  que  la  crise  du  modèle  des  exportations  agri‐ coles, la société vénézuélienne a commencé à se transformer, ce processus s’accélérant dès  la  fin  des  années  1940.  Ces  transformations  sont  la  conséquence  du  changement  d’orientation de l’économie vénézuélienne, lié au système capitaliste mondialisé et associé  à une nouvelle dynamique causée par l’exploitation du pétrole et l’action redistributive de  l’État. Ces modifications radicales de l’économie vénézuélienne ont eu d’importantes impli‐ cations,  comme  la  croissance  de  l’offre  d’emploi,  le  développement  du  marché  interne,  l’amélioration  des  communications  et  des  services,  le  développement  et  le  déplacement  soutenus de la population, l’urbanisation accélérée, la mise en place d’une agriculture capi‐ taliste  soumise  au  modèle  pétrolier  et  à  l’industrialisation  de  remplacement  des  années  1950 et 1960. Cet ensemble de transformations s’est appuyé sur une croissance exponen‐ tielle de la demande en ressources naturelles, qui a entraîné de profondes modifications du  paysage et une détérioration progressive de l’environnement de la côte Caraïbe en général.  L’expansion urbaine croissante a surtout eu lieu sur l’axe centre‐nord de la côte et, dans une  moindre mesure, dans les zones pétrolières de l’ouest et sur l’axe Puerto Barcelona ‐ Puerto  La Cruz Cumaná à l’est. Elle a accentué la dépendance liée aux exportations et a déterminé  un  appauvrissement  rapide  des  écosystèmes  avoisinants,  d’où  une  augmentation  de  l’exploitation des ressources naturelles se trouvant dans des zones plus reculées.  

La croissance rapide de la population urbaine a dépassé les capacités des centres de peu‐ plement et n’a pas permis la mise en place de conditions adaptées à la reproduction de ce  nouveau mode de vie. L’environnement urbain s’est donc rapidement détérioré, à mesure  que  les  inégalités  sociales  devenaient  plus  flagrantes.  Avec  l’exploitation  pétrolière  et  l’urbanisation provenant du front d’occupation, la déforestation, les inondations dues aux  crues, la contamination des cours d’eau et de l’air se sont accentuées. L’agriculture capita‐ liste  mécanisée et les  intrants  chimiques qu’elle a apportés  ont entraîné un appauvrisse‐ ment et une pollution des sols et des nappes phréatiques, ainsi qu’un déséquilibre des mi‐ crosystèmes écologiques. Les effets ont été dévastateurs sur la flore et la faune aquatiques  et terrestres. Il en est de même pour l’activité de pêche, surtout la pêche industrielle et,  dans  une  moindre  mesure,  du  tourisme  de  masse,  qui  ont  causé  des  dommages  à 

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l’écosystème marin. Tous ces effets sont devenus évidents dans les années 1960, lorsque le  développement capitaliste s’est développé et consolidé au Venezuela. En définitive, la pé‐ riode  prise en  compte est  celle d’une relation société‐environnement  qui s’est  déséquili‐ brée  de  façon  rapide  et  accentuée,  résultat  d’une  subordination  et  d’une  modification  souvent destructrice du milieu naturel de la côte Caraïbe.