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DYNAMIQUE SOCIO-ENVIRONNEMENTALE DES DERNIÈRES DÉCENNIES

Les principaux problèmes environnementaux du Paraguay concernent a) la forte déforesta‐ tion pour transformer les terres et les destiner à des activités agropastorales, b) la perte de  la biodiversité, avec une réduction alarmante de la faune sylvestre, c) la contamination des  eaux et des sols causée par des rejets industriels et domestiques non traités, et d) la cons‐ truction de barrages, la sédimentation et autres altérations affectant les cours d’eau.  La  problématique  d’intégration  du  pays  dans  une  dynamique  socioéconomique  a  donné  lieu à différents projets de développement.  Du  fait des limitations  climatiques du  Chaco,  l’intensité des changements observés ces dernières années semble être moins importante  que dans la région orientale.  En ce qui concerne la déforestation, Huespe (1995) rapporte que dans la région occiden‐ tale les terres mennonites ont atteint un niveau de déboisement de 45 000 hectares par an  environ, soit une perte de la couverture forestière de 1,25 million d’hectares. Ces popula‐ tions seraient responsables de près de 36 % de la déforestation des 50 dernières années.  En termes de réduction de la couverture forestière dans le Chaco, les données précédentes  représentent 10 % d’un total de 17,5 millions d’hectares. Ce processus de déforestation est  moins important que celui de la région orientale mais il est beaucoup plus significatif pour  le Chaco. En effet, les écosystèmes y sont très fragiles en raison d’une forte incidence de  l’érosion éolienne et de la salinisation des sols. 

Les  caractéristiques  édaphiques  et  climatiques  du  Chaco  central  montrent  les  quelques  endroits où il est possible d’organiser des activités agropastorales, surtout les savanes ar‐ borées  (ou  éparses)  et  quelques  zones  forestières.  La  déforestation  mécanique  et  les  in‐ cendies  des  quelques  forêts  de  la  région  enlèvent  les  couches  superficielles  des  sols  qui  ont un effet tampon par rapport aux couches souterraines salines ; un processus de salini‐ sation des terres a ainsi commencé avec de graves conséquences sur la production agro‐ pastorale. Les effets en sont d’ailleurs visibles dans de nombreuses zones.  Signalons aussi l’implantation d’une usine de tanins sur les berges du Paraguay à la fin du  XIXe siècle. À l’origine, cette industrie forestière secondaire exploitait le quebracho rouge  qui poussait sur de grands domaines acquis par des propriétaires privés (comme celui de  C. Casado de 2 467 277 hectares, l’un des plus grands de l’époque). De plus, il y avait dans  la  région  13  autres  entreprises,  pour  la  plupart  étrangères,  avec  des  propriétés  allant  de  116 000  à  1,5  million  d’hectares  (Huespe,  1995)  et  dont  la  base  de  production  était  l’extraction du tanin, utilisé ensuite dans les tanneries. Ce produit était transporté par le  chemin de fer qui desservait le Chaco. 

Les  activités  des  créoles  paraguayens  étaient  centrées  sur  les  tanneries  mais  aujourd’hui  toutes  les  fabriques  de  tanins  sont  fermées.  Ces  populations  ont  dû  migrer  vers  d’autres  centres du Chaco, voire vers la région orientale, produisant un grand déséquilibre démo‐ graphique. Une partie des anciens ouvriers ont retrouvé une activité après l’achat de terres  par la secte Moon. Cette acquisition a d’ailleurs entraîné des conflits avec les éleveurs, le  clergé et les politiques de la région, même s’il est impossible de conclure à une améliora‐ tion ou à une aggravation de la situation des ex‐ouvriers ; c’est une question de point de  vue sur les investissements de cette secte dans le Chaco. 

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De façon générale, les forêts du Chaco ne renferment pas d’espèces dont le bois est exploi‐ table et ne sont donc pas aptes à la production de bois industriel. Les espèces forestières  précieuses  sont  le  quebracho  rouge,  le  coronillo  (Schinopsis  quebracho‐colorado),  utilisé  dans le bâtiment, et le palo santo dont on extrait l’essence. Néanmoins, étant donné les  caractéristiques de croissance dans un environnement semi‐aride, les bois sont assez den‐ ses et idéaux pour la production de biomasse à des fins énergétiques (bois et/ou charbon).  Jusqu’à  récemment,  le  bois  était  une  source  d’énergie  permettant  la  production  d’électricité dans les colonies mennonites. Ce bois servait par ailleurs dans la fabrication de  briques dans les départements Central, Cordillera et Paraguari. 

La production de charbon végétal destiné à l’entreprise sidérurgique Acepar (aciers para‐ guayens)  a  entraîné  une  forte  déforestation  des  quelques  massifs  forestiers  du  Chaco.  Cette  entreprise  n’a  jamais  mis  en  place  de  grands  plans  de  reforestation.  Ce  n’est  qu’à  partir des années 1990 qu’elle a commencé, de façon modérée, à investir dans des planta‐ tions forestières afin de produire du charbon végétal. 

Paraguay  (1985)  rapporte  que  la  construction  de  la  route  trans‐Chaco  (route  n° 9),  qui  a  débuté en 1970 et a été l’un des travaux d’infrastructure du gouvernement Stroessner, a  eu pour objectif d’améliorer l’intégration nationale. Cette route de 776 kilomètres de long  part d’Asunción en direction du nord‐ouest vers la Bolivie. Elle dessert déjà de nombreuses  localités et, en 2005, 466 kilomètres étaient goudronnés. L’ouverture de nombreuses voies  transversales  a  permis  une  intégration  modérée  du  Chaco ;  ces  nouvelles  infrastructures  étaient  censées  accroître  bien  davantage  le  mouvement  des  personnes  et  des  marchan‐ dises en provenance d’autres régions du Paraguay.  

Par  la  suite,  la  route  goudronnée  reliant  Pozo  Colorado  à  Concepción  (région  orientale)  devait permettre une meilleure dynamique productive et de peuplement, mais son impact  régional a également été modéré en raison des conditions climatiques dans le Chaco. Cette  route d’intégration régionale constitue toutefois une partie des couloirs reliant l’Atlantique  au Pacifique. 

Au  début  des  années  1980,  des  projets  de  production  agricole,  comme  celui  du  jojoba 4 

(Simmondsia  chinenesis),  ont  été  lancés  pour  intégrer  le  Chaco  dans  le  développement  agraire du Paraguay. Cependant, quinze ans après le début des premières plantations qui  ont atteint plus de 4 000 hectares et ont coûté plus de 8 000 000 $US, aucune production  importante n’a été enregistrée. Une des raisons de cet échec pourrait être le manque de  connaissances agronomiques fiables qui auraient permis d’indiquer des variétés adaptées  à la région. De graves problèmes environnementaux sont apparus quand des variétés pro‐ venant  de  basse  Californie  (Mexique),  au  climat  sec,  ont  été  introduites  et  nécessitaient  une irrigation artificielle pour se développer. L’absence de floraison (et donc de fructifica‐ tion)  a  mis  en  évidence  la  médiocrité  des  politiques  de  développement  du  secteur  agri‐ cole, d’autant que de nombreux étrangers avaient investi, séduits par les annonces faites  par le gouvernement (Sánchez, 1997). 

D’après  le  ministère  de  l’Agriculture  et  de  l’Élevage  (2003),  sur  près  de  25 millions  d’hectares  dont  dispose  le  Chaco,  50 %  sont  adaptés  aux  activités  agropastorales.  Il  est  d’ailleurs  la  principale  région  de  production  bovine  avec  2,4 millions  de  têtes  (31 %  de 

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la  production  totale  du  pays).  Par  conséquent,  le  Chaco  est  essentiellement  considéré  comme  une  région  d’élevage  et  cette  activité  a  eu  le  plus  d’impacts  sur  les  écosystèmes  naturels. 

La  production  bovine  a  prédominé  car  la  région  renferme  de  grandes  prairies  naturelles,  idéales pour démarrer une production (élevage et sevrage). Le bétail est ensuite transféré  dans des estancias (grandes exploitations) de la région orientale, comme le Deuxième dé‐ partement  de  San  Pedro,  pour  les  phases  d’engraissement  et  de  finition.  Le  recours  à  de  grandes surfaces d’élevage a certainement affecté en partie la couverture forestière, puis‐ que la capacité d’occupation des terres du Chaco est très faible (une tête pour 30 hectares),  provoquant une déforestation et une transformation des terres en pâturages plantés.  La structure d’occupation et de propriété des terres est assez inégale. L’élevage nécessitant  de grandes surfaces de développement, les propriétés s’étendent habituellement au mini‐ mum  sur  dix  mille  hectares  et  peuvent  atteindre  cent  mille  hectares  (Pappalardo,  1995).  Cette  situation a profondément affecté  les populations indigènes  qui ont perdu des  éten‐ dues  de  terres  considérables  avec  l’installation  des  éleveurs  et  qui  travaillent  de  plus  en  plus fréquemment pour les estancias. Les populations créoles subissent aussi cette inégalité  face à l’accès à la terre, ce qui provoque la formation de classes prolétariennes travaillant  de façon très précaire dans les estancias en tant que saisonniers ruraux. Ces dernières an‐ nées, l’exode rural vers les centres urbains du Chaco, de la zone métropolitaine d’Asunción  et  parfois  vers  des  villes  de  la  région  orientale  a  eu  pour  conséquence  la  formation  de  groupes qui vivent dans des tentes sur le bord des routes ou dans la banlieue des villes.  En 1989, le Paraguay a amorcé un virage vers la démocratie et, une fois encore, les autorités  nationales se sont préoccupées de la question de l’intégration du Chaco dans les projets de  développement du Paraguay. Avec la formation du Marché commun du Sud (Mercosur) en  1991 qui comprenait à l’origine l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay, et qui compte  aujourd’hui de nouveaux pays membres ou associés comme le Chili et la Bolivie, des possi‐ bilités  de  développement  stratégique  d’intégration  régionale  et  nationale  ont  émergé.  Le  Chaco  est  apparu  comme  le  lieu  de  rencontre  idéal  entre  pays  signataires  de  l’accord.  Le  Brésil (principal marché du bloc) et les autres pays membres ont lancé l’étude de deux pro‐ jets qui rapporteraient des bénéfices économiques à ce grand marché régional : a) la voie  fluviale Paraná‐Paraguay pour assurer le transport de passagers et de marchandises, entraî‐ nant  un  nouveau  dynamisme  socioéconomique ;  et  b)  les  couloirs  d’intégration  bi‐ océaniques, pour développer les voies commerciales terrestres inter‐ et extra‐régionales.  Ces deux projets auraient été soumis à une « évaluation d’impact environnemental » qui  aurait  sans  aucun  doute  révélé  de  nombreux  effets  négatifs  si  leur  réalisation  avait  été  menée à terme. Par exemple, le projet d’aménagements fluviaux aurait nécessité de dra‐ guer les fleuves par endroits. Par conséquent, le courant des fleuves aurait été accru, et la  composition et la structure des écosystèmes palustres affluents auraient été modifiées. De  plus, la qualité des eaux consommées en aval aurait été compromise par le trafic des ba‐ teaux  de  moyen  et  gros  tonnages.  Le  Chaco  aurait  été  considérablement  affecté  car  les  quelques cours d’eau qui existent dans la région auraient été drainés de façon plus rapide.  Toutefois,  le  projet  de  connexion  bi‐océanique  a  reçu  un  meilleur  accueil  des  gouver‐ nements  impliqués.  Malgré  des  impacts  environnementaux  négatifs,  ces  derniers  ont  ac‐ cepté ce défi d’intégration régionale terrestre. Une partie des constructions routières qui  traversent  le  Chaco  paraguayen  et  la  Bolivie  fait  partie  de  cette  politique  d’intégration. 

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Le manque  d’une  planification  adaptée,  la  faible  participation  des  communautés  concer‐ nées et les contributions financières insuffisantes des pays impliqués (directement ou indi‐ rectement)  compliquent  encore  ce  projet,  même  s’il  se  met  en  place  progressivement  (Paraguay, 2000). 

La  circulation  des  produits  et  des  personnes  dans  le  Chaco  détermine,  jusqu’à  un  certain  point, l’exode des populations indigènes vers les agglomérations, causant une dégradation  de la situation culturelle et sanitaire, et des problèmes socioéconomiques. Dernièrement,  des cas de trafic de drogue (cocaïne) et de voitures volées depuis la Bolivie se sont produits  fréquemment dans le Chaco paraguayen. La diversité de la faune et de la flore des écosys‐ tèmes  est  aussi  affectée ;  lorsque  les  voyageurs  traversent  la  région,  ils  en  profitent  pour  collecter plantes ou autres qui seront commercialisés ensuite à Asunción ou ailleurs dans la  région orientale, ou qui serviront à la fabrication de remèdes de grand‐mère. L’exemple le  plus emblématique est celui du célèbre rallye du Chaco où, malgré les contrôles et les an‐ nonces médiatisées sur la protection environnementale, il y a toujours des excès.  Le Chaco, avec ses caractéristiques sèches et humides, et une tendance à des températures  élevées avec une saison sèche, n’est pas affecté par de nombreuses maladies d’origine vi‐ rale ou bactérienne, car celles‐ci ne peuvent pas s’y développer. Ainsi, depuis quelques an‐ nées,  des  producteurs  de  fruits  (citriques,  surtout  pamplemoussiers  et  orangers)  et  de  graines de sésame (Sesamum indicum) s’y sont installés : une tendance prometteuse pour  l’avenir. Ces entreprises sont privées et reçoivent des aides du gouvernement. Malheureu‐ sement, le régime des précipitations saisonnières de la région et des températures basses  extrêmes, périodiques dans certains endroits du Chaco, affecte la croissance et la producti‐ vité.  Par  conséquent,  la  continuité  et  le  développement  durable  des  activités  productives  stagnent, ce qui renforce l’opposition au développement agraire du Chaco.  De même, dans la zone nord et nord‐est du Chaco (entre le Brésil et la Bolivie), les écosys‐ tèmes naturels ont subi des altérations. Des éleveurs brésiliens ont acheté de grandes sur‐ faces de terres pour les transformer en pâturages. Cette transformation a eu lieu après une  déforestation mécanisée et la mise en place de pâturages améliorés. L’utilisation du bois et  des quelques forêts existantes a été minimum, la plus grande partie de la biomasse ayant  été  brûlée.  La  faible  valeur  des  terres  (elle  n’atteint  même  pas  100 $US/ha)  ainsi  que  l’incapacité  et,  d’une  certaine  façon,  la  complicité  des  autorités  nationales  et  régionales  par  rapport  au  contrôle  de  l’occupation  de  cette  région  ont  eu  pour  effet  la  dégradation  des écosystèmes naturels, avec de profonds changements dans le paysage. 

Le rideau coupe‐vent est un usage intéressant à observer dans le Chaco. En effet, pour lut‐ ter  contre  le  problème  immédiat  de  l’érosion  éolienne  causée  par  la  déforestation,  des  espèces  exotiques  à  croissance  rapide  ont  été  plantées,  comme  la  Grevillea  robusta  et  l’eucalyptus.  L’avancée  de  dunes  mouvantes  dans  la  région  ouest  du  Chaco  est  préoccu‐ pante car elle est directement liée à la déforestation. Certaines prévisions pessimistes pré‐ voient  la  formation  d’un  grand  désert  dans  le  Chaco,  produit  de  la  déforestation  et  de  l’avancée des dunes. Ces dernières années, parallèlement au problème de la déforestation  du Chaco, quelques initiatives privées de reforestation ont eu lieu, surtout dans la zone du  Chaco central. Les espèces forestières utilisées sont généralement exotiques et adaptées,  comme  la  Melia  azedarach  et  certaines  espèces  d’eucalyptus,  surtout  parce  que  les  es‐ pèces  endémiques  ne  semblent  pas  offrir  beaucoup  de  potentiel  économique  à  court  et  moyen termes. Il s’agit là d’une solution à la récupération de la couverture forestière et à  la production de bois de meubles. 

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Depuis  quelques  années,  l’idée  d’exploiter  du  pétrole  a  amené  des  entreprises  privées  (surtout des multinationales), avec le soutien du gouvernement, à faire des sondages dans  le Chaco. Ce type d’exploitation affecterait considérablement les écosystèmes naturels et  les sociétés humaines de la région. Les économistes, les politiques et les groupes environ‐ nementaux ayant des points de vue différents sur le Chaco, les études d’impacts environ‐ nementaux devront être rigoureuses pour être recevables.  L’ouvrage qui engendrerait le plus de bénéfices au Chaco serait la construction d’un aque‐ duc allant du  fleuve  Paraguay jusqu’au  centre de la  région.  Cet aqueduc minimiserait les  effets  des  sécheresses  périodiques  et  donc  stabiliserait  les  colonies  humaines.  Il  est  pro‐ bable  qu’il  aurait  aussi  des  impacts  négatifs  mais  les  bénéfices  socioéconomiques  de‐ vraient  prévaloir  sur  ceux‐ci.  Toutefois,  le  coût  d’investissement,  très  élevé,  ne  peut  pas  être financé par l’État et n’intéresse pas les entreprises privées.