Pour pouvoir mettre l’accent sur l’état des relations entre la société et l’environnement au sein de l’espace des vallées, il est indispensable d’avoir une perception appropriée de la pression démographique croissante qui, comme dans l’ensemble de la Bolivie, a enregistré un taux de croissance annuelle de 2,74 % entre 1992 et 2001 (INE, 2002). Rappelons que ce taux national de croissance implique un doublement de la population tous les 25 ans environ. La différence entre rural et urbain est très forte, avec par exemple seulement 0,25 % dans le Chuquisaca rural, et près de 5 % à Santa Cruz et de 8 % au Pando, beaucoup plus urbanisés. Le tableau 4 montre la plus forte croissance démographique dans les pro‐ vinces le plus urbanisées entre 1950 et 2001.
Tableau 4 : Évolution de la population urbaine et rurale entre 1950 et 2001
Provinces 1950 2001 Croissance (%)
Larecaja (La Paz) 320 723 68 026 + 108 Mizque (Cochabamba) 19 866 36 181 + 82 Tomina (Chuquisaca) 26 643 37 482 + 40 O’Connor (Tarija) 10 902 19 339 + 77
Source : Bolivie, 1950 ; INE, données internet du recensement de 2001
Cette tendance doit être mise en relation avec le fait que les terres les mieux adaptées à une agriculture intensive durable représentent moins de 3 % de la superficie nationale et qu’elles se trouvent surtout dans les basses terres 8. En ce qui concerne plus spécifique‐
ment l’utilisation agricole des terres dans les départements des vallées, il est possible de comparer, de façon approximative, la situation entre 1978 et 2001, en confrontant les in‐ formations fournies par les Cartes de couverture et d’utilisation actuelle de la terre (ta‐ bleau 5).
8 Pour le ministère du Développement durable et de l’Environnement (MDSMA, 1995), les zones de
Vallées interandines, Bolivie
Tableau 5 : Superficie cultivée en 1978 et 2001 (km²)
Départements 1978 % Total 2001 % Total Variation
Cochabamba 1 822 3,3 3 324 5,9 + 82 %
Chuquisaca 1 313 2,5 2 539 4,9 + 93 %
Tarija 1 408 3,7 1 904 5,0 + 35 %
Sources : Geobol, 1978 ; Superintendance agraire, 2001
D’autre part, différentes études, encore peu systématisées, mettent en relief l’existence d’une série de tendances qui, en fonction des caractéristiques locales (en particulier l’aridité différentielle), indiqueraient des indices croissants de désertification. En effet, et surtout dans les vallées orientales, dans un contexte de probable diminution des précipita‐ tions associée en partie à la déforestation de l’Amazonie (Schulte, 1995), nous assistons aux effets combinés de la destruction de la végétation ligneuse (partiellement native) et herbacée, causée par le surpâturage et une mauvaise gestion des terres agricoles, ce qui entraîne une érosion anthropique pratiquement incontrôlable. Des études ponctuelles permettent d’obtenir une vision assez cohérente des principales tendances en cours dans les vallées interandines.
La destruction de la végétation herbacée et ligneuse est un processus de longue durée et son commencement coïncide probablement avec le peuplement de départ des Andes orientales 9. Actuellement, ses effets sont clairement perceptibles sur les cartes disponibles
de la végétation (par exemple Probona/IGM, 1995). Cette dégradation est la conséquence d’une mise en place de terres agricoles sur des zones marginales, sous la double pression de la croissance démographique et de la perte due à l’érosion de surfaces précédemment cultivées, au surpâturage et à l’utilisation encore très courante du bois comme combus‐ tible (Israel, 2002).
En ce qui concerne ce dernier point, le recensement de 2001 (INE, www.ine.gov.bo) in‐ dique que le pourcentage des foyers qui utilisent le bois pour cuisiner était de 56,2 % à Chuquisaca, 38,4 % à Cochabamba et 35 % à Tarija, soit une forte diminution par rapport à 1992, traduisant très probablement l’épuisement de cette ressource.
Pour ce qui est du surpâturage, des études de cas ont fait apparaître des évidences qui montrent une tendance préoccupante de dégradation des géosystèmes semi‐arides des vallées. Notamment les troupeaux caprins seraient particulièrement destructeurs pour la végétation. Cet élevage serait un facteur majeur de la crise agro‐environnementale d’une communauté de la province de Tomina (Chuquisaca) étudiée par Morales (1992). L’extension de l’érosion, associée à la salinisation (Schulte, 1995), essentiellement anthro‐ pique dans les vallées interandines, est également avancée.
En conclusion, la dégradation croissante de l’environnement des vallées interandines se traduit par la décapitalisation progressive des exploitations rurales, entraînant une diversi‐ fication de plus en plus forte des stratégies socioéconomiques des paysans. Ces derniers
9 Schlaifer (1993) propose d’intéressantes informations sur le thème, même s’il se base sur une
Vallées interandines, Bolivie
111
tendent à transférer la crise des vallées vers les villes boliviennes, d’une part, et dans les zones de colonisation des basses terres 10, d’autre part. Les conséquences sont des pro‐
blèmes sociaux urbains difficiles à gérer, et une déforestation accélérée des forêts tropi‐ cales des basses terres du nord et de l’est du pays.
Toutefois, malgré la gravité de la crise, il n’y a pas de volonté politique de s’attaquer à la dégradation de l’environnement, cas de Cochabamba par exemple (Zimmerer, 1993). La dégradation irréversible des géosystèmes peut même être vue comme une fatalité par les paysans, qui sont plus préoccupés par des aléas climatiques comme la sécheresse ou la grêle, affectant brutalement leurs conditions de vie (Fairbairn, 2001).
Références
Arnade C., 1992. La dramática insurgencia de Bolivia, 6ta ed. Juventud, La Paz, Bolivia Blanes J. et al., 2003. Formación y evolución del espacio nacional. PNUD, La Paz, Bolivia Bolivia, 1953. 1950 Censo demográfico, La Paz, Bolivia Brockington D.L., Sanzetenea R., 1989. Decorated formative period pottery from Cochabamba, Bolivia: Ry‐ dén’s Observation. Ethnos (1‐2): 63‐68 Cortes G., 2000. Partir pour rester. IRD, Paris, FranceCrespo F., 2000. Incidencia de las reformas estructurales sobre la agricultura boliviana. CEPAL, Santiago, Chile
Dandler J., 1983. Sindicalismo en Bolivia. CERES, Cochabamba, Bolivia
Dory D., 1995. La division politico‐administrative de la Bolivie : évolution et caractéristiques. Rev. Belge
Geogr. (1‐2) : 243‐254 Fairbairn J., 2001. El manejo de riesgos ambientales en tres ecoregiones de Tarija : Incidencia y respuestas para la supervivencia. In: Historia, ambiente y sociedad en Tarija, Bolivia (Eds Beck S., Paniagua N., Pres‐ ton D.). UMSA, Univ. Leeds, La Paz, Bolivia, 197‐215 Geobol, 1978. Mapa de cobertura y uso actual de la Tierra + Memoria explicativa. La Paz, Bolivia IGM, 1997. Atlas de Bolivia, 2da Ed. La Paz, Bolivia INE, 2002. Bolivia : Características de la Población. La Paz, Bolivia Israel D., 2002. Fuel choice in developing countries : Evidence from Bolivia. Econ. Dev. Cultural Change, 50 (4): 865‐890 Jimenez E., Gutierrez C.H., 2003. Reconsiderando la « questión agraria » en Bolivia, Estad. Anal. (3): 81‐122 Langer E.D., 1987. Franciscan missions and Chiriguano workers : Colonization, acculturation and Indian labor in Southeastern Bolivia. Americas, 42 (1): 305‐322 MDSMA, 1995. Dossier Estadístico. La Paz, Bolivia Montes de Oca I., 1997. Geografía y recursos naturales de Bolivia, 3a Ed. Edobol, La Paz, Bolivia Morales M., 1992. La crisis de los sistemas de producción y el medio ambiente. El caso de Tomina – Chuqui‐ saca. Ruralter (10): 251‐269
Murra J., 1987. El control vertical de un máximo de pisos ecológicos en la economía de las sociedades andinas. In: La teoría de la complementariedad vertical eco‐simbiótica (Eds Concarco R., Mura J.). Hisbol, La Paz, Bolivia, 29‐85
10 Sans oublier les importants flux migratoires internationaux à partir des vallées interandines.
Vallées interandines, Bolivie
Navarro G., Maldonado M., 2002. Geografía ecológica de Bolivia. Fundación Simón Patiño, Cochabamba, Bolivia Paz D. (Dir.), 1992. Región y desarrollo agrario. Academia Nacional de Ciencias/PL‐480, La Paz, Bolivia PNUD, 2004. Indice de desarrollo humano en los municipios de Bolivia. INE/UDAPE/ASDI, La Paz, Bolivia Presta A.M., 1995. La población de los valles de Tarija, siglo XVI. Aportes para la solución de un enigma et‐ nohistórico en una frontera incáica. In: Ed. Presta A.M. Espacio, Etnías, Frontera (Asur, Sucre): 235‐247 Preston D., Macklin M., Warburton J., 1997. Fewer people, less erosion: The Twentieth Century in Southern Bolivia. Geogr. J., 163 (2): 198‐205 PROBONA/IGM, 1995. Formaciones vegetacionales del área andina de Bolivia (+ Mapa). La Paz, Bolivia Rivera A., 1992. Los terratenientes de Cochabamba. CERES/FACES, Cochabamba, Bolivia Roche M.‐A. et al., 1992. Balance hídrico superficial de Bolivia. PHICAB/ORSTOM, La Paz, Bolivia Rodriguez G., 1991. El regionalismo cochabambino, siglos XIX‐XX. ILDIS/CERES, Cochabamba, Bolivia Saignes T., 1978. De la filiation à la résidence : les ethnies dans les vallées de Larecaja. Annales ESC (5‐6) : 1160‐1181
Saignes T., 1982. Politiques ethniques dans la Bolivie coloniale, XVIe‐XIXe siècles. CNRS, Paris, France, 23‐52
(Coll. Indianité, ethnocide, indigénisme en Amérique latine) Schlaifer M., 1993. Las especies nativas y la deforestación en los Andes. La visión histórica, social y cultural en Cochabamba, Bolivia. Bull. Inst. Fr. Etud. Andines, 22 (2): 585‐610 Schulte A., 1995. Drought or montane desertification? Causes and consequences of soil and forest destruc‐ tion in Bolivia. Nat. Resour. Dev., 41: 85‐91 Superintendencia Agraria, 2001. Mapa de cobertura y uso actual de la Tierra + Memoria explicativa. La Paz, Bolivia Terrazas W., 1982. El deterioro de los valles mesotérmicos. Centro Portales, Cochabamba, Bolivia, 121‐123 (Coll. Ecología y Recursos Naturales en Bolivia) Wachtel N., 1980/1981. Les mitimas dans la vallée de Cochabamba. La politique de colonisation de Huayna Capac. J. Soc. Américanistes, LXVII : 297‐324 Zimmerer K.S., 1993. Soil erosion and social (dis)courses in Cochabamba, Bolivia: Perceiving the nature of environmental degradation. Econ. Geogr., 69 (3): 312‐327
https://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/