Il est facile de comprendre que les vallées interandines ont été le lieu de concentration de la population, aussi bien parce qu’elles permettaient de fournir des produits agricoles in‐ dispensables aux centres de l’économie minière et du pouvoir politico‐administratif, que parce qu’elles étaient des refuges par rapport au système des haciendas, face aux exi‐ gences coloniales de la mita et des impôts.
Concernant l’activité économique, il est possible de distinguer les occupations urbaines, avec une industrie nationale concentrée à 80 % dans les villes de l’axe central, ainsi qu’un large secteur tertiaire très peu productif et qui absorbe une partie de l’exode rural. La pri‐ mauté de Cochabamba dans la zone des vallées interandines est nette, aussi bien par rap‐ port à la concentration des établissements industriels (pour la plupart de petite taille et/ou semi‐artisanaux) que pour ce qui est des activités de services, largement informelles dans le cadre d’un contexte de croissance rapide de la population 4. De plus, dans la zone rurale, sans prendre en compte la population minière qui est très peu nombreuse dans les vallées, la population occupée dans l’agriculture, la chasse et la sylviculture représente, dans les départements totalement ou partiellement occupés par des vallées et conformément aux données du recensement de 2001, les pourcentages indiqués dans le tableau 2.
Tableau 2 : Population agricole active dans l’agriculture, l’élevage, la chasse et la sylviculture
par département (Recensement 2001)
Départements Population agricole (%)
Potosí 47,4 Cochabamba 32,4 La Paz 27,8 Tarija 25,5 Santa Cruz 20,1 * Source : INE, 2002 4 Pour se faire une idée du phénomène, en 1950 la population de Cochabamba/Cercado était de 88 962 habitants. Elle est passée à 517 024 en 2001, soit près de six fois plus.
Vallées interandines, Bolivie
Si nous nous concentrons sur les trois départements renfermant le plus de vallées (Cocha‐ bamba, Chuquisaca, Tarija), il est possible de mettre en évidence une forte diminution de la population travaillant dans l’agriculture et l’élevage entre les deux recensements de 1992 et 2001. Ainsi, dans le cadre d’un contexte national de forte concentration des actifs agricoles qui sont passés de 39,7 %, en 1992, à 29,2 %, en 2001 (INE, 2002), soit une dimi‐ nution de 9,4 % des effectifs, les départements des vallées ont subi une réduction de 23 %, avec même une diminution de la population agricole de 49 % entre ces dates dans le cas de Chuquisaca (Cochabamba ‐ 10 % et Tarija ‐ 14 %) 5. Cette tendance manifeste clairement
la crise de l’agriculture des vallées, où la combinaison de la surpopulation et des petites propriétés ont entraîné un flux permanent de migrants vers le Chapare et l’est bolivien, les villes de l’axe central et l’étranger 6.
Afin d’avoir une vision schématique de la réalité de la petite propriété dans les vallées interandines, nous pouvons prendre quelques exemples de la situation au début des an‐ nées 1990, à partir d’une analyse réalisée par l’Académie nationale des sciences de la Boli‐ vie (tableau 3).
Tableau 3 : Les petites exploitations dans les vallées interandines
Zones agroécologiques Exploitations
Vallées cerrados (La Paz) 65 % de moins de 3 ha
Vallées du nord (Cochabamba et Santa Cruz) 67 % de moins de 3 ha Vallées centrales (Potosí, Nord Chuquisaca) 70 % de moins de 5 ha
Source : Paz, 1992
Ces données purement quantitatives doivent bien évidemment être nuancées étant donné l’espace hétérogène des vallées interandines. Par exemple, cinq hectares se trouvant sur des terres de vallée correctement cultivées produisent probablement plus que 50 hectares situés dans des montagnes semi‐arides et destinées au pâturage. Suite à la Réforme agraire de 1953, dans laquelle la haute vallée de Cochabamba a été l’un des épicentres (Dandler, 1983), il existe une mosaïque de situations locales diverses selon la localisation des vallées, montagnes, voies de communication, centres urbains, mais aussi le climat et la géologie, rendant problématique l’interprétation d’indicateurs de pauvreté à partir du cri‐ tère de vallée 7. Prenant en compte ces contraintes, nous pouvons donc prendre en considération les don‐ nées suivantes en ce qui concerne les revenus agricoles, tout en sachant que ceux‐ci, dans 5 Référence à la population active (de plus de 10 ans). Il ne faut pas les interpréter comme une diminution absolue de la population rurale qui, au contraire, comme nous le verrons par la suite, a augmenté sur la même période (INE, 2002). 6 Il est impossible dans le cadre de ce travail d’approfondir les phénomènes migratoires internes et externes de la Bolivie. Pour mieux comprendre, voir les résultats d’une étude réalisée dans la haute vallée de Cochabamba (Cortes, 2000). 7 Des difficultés analogues apparaissent lorsqu’il s’agit d’analyser les résultats au niveau des municipalités qui ont besoin d’un traitement spécifique pour pouvoir fournir une information en termes de rapport de cause à effet. Voir par exemple PNUD, 2004.
Vallées interandines, Bolivie
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la plupart des cas, ne constituent qu’une partie (variable) de tous les revenus des foyers analysés (Jimenez et Gutierrez, 2003). En 1996, dans les départements avec le plus de val‐ lées, nous avons un revenu mensuel agricole de 26,6 $US à Chuquisaca, 41,5 $US à Cocha‐ bamba et 44,8 $US à Tarija. Pour situer ces valeurs dans le contexte national, il faut mettre l’accent sur le faible rendement de Chuquisaca qui ne dépasse que Potosí (18,04 $US), mais qui est inférieur au département de l’Altiplano d’Oruro (28,3 $US) et de La Paz (27,8 $US), dont la population vit surtout dans l’Altiplano. D’autre part, les revenus agri‐ coles des départements des vallées sont inférieurs d’au moins de moitié par rapport aux départements des basses terres : 88,78 $US à Santa Cruz, 103,47 $US à Beni et 143,2 $US à Pando (données INE de Crespo, 2000).