Sur la côte et dans la sierra du Pérou, de nombreuses civilisations et cultures préinca‐ siques se sont développées pendant 1 400 ans, dont certaines, par leur pouvoir et leur impact, ont influencé de grandes zones du territoire. Après leur chute, elles se sont lan‐ cées dans la fabrication de céramiques rituelles et, avec une étonnante adaptation à l’environnement et une excellente gestion des ressources naturelles, de petits centres régionaux se sont développés. Leurs savoir‐faire ont bénéficié par la suite à la culture inca. Parmi les nombreuses cultures installées sur la côte, citons sur la côte nord les cultures
mochica, vicus et chimú (Lambayeque), sur la côte centrale la culture pachacamac (Lima),
et sur la côte sud les cultures paracas, nazca et chincha. La culture paracas (de 200 av. J.‐C. à 600 apr. J.‐C.) a développé à un haut degré l’art textile. La culture nazca (de 300 av. J.‐C. à 900 apr. J.‐C.) a conçu un système efficace de gestion de l’eau, en construisant des aqueducs souterrains qui fonctionnent d’ailleurs toujours aujourd’hui. La culture chimú (700 apr. J.‐C.) travaillait l’or et d’autres métaux. Elle a par ailleurs construit la plus grande citadelle de terre préincasique de la région : la citadelle Chan Chan à Trujillo. Chacune de ces cultures a développé différentes activités, qu’elles soient agricoles, de pêche, textiles ou autres conformément à son environnement et milieu naturel, sans atteindre un déséquilibre drastique.
La culture inca (de 1200 à 1500 apr. J.‐C.) a été la civilisation la plus importante d’Amérique du Sud. L’organisation économique et la distribution des richesses, ses manifestations artis‐ tiques et son architecture ont impressionné les premiers chroniqueurs.
L’Empire inca a réussi l’intégration des différentes cultures autochtones et a ainsi déve‐ loppé sa propre culture, très dynamique. Son organisation politique et administrative effi‐ cace a permis le contrôle d’une énorme population par la mise en place d’une langue commune et d’une série d’obligations vis‐à‐vis de l’État, de la communauté et de la reli‐ gion. Il a aussi mis en place le principe de réciprocité, créant une cohésion qui s’est tra‐ duite rapidement par une expansion territoriale allant de Pasto en Colombie à Maule au Chili, et du nord‐est de l’Argentine à l’orée de la forêt amazonienne. La conquête et la domination espagnole du Pérou ont commencé en 1532. Elles ont en‐ traîné la confrontation de deux cultures, l’une occidentale, l’autre indigène, et la chute de la culture inca. Les premières années de la conquête ont été secouées par des guerres, la résistance indigène face aux premiers conquistadors, et l’installation de l’autorité espa‐ gnole. Toutefois, à la fin du XVIe siècle, le gouvernement du vice‐roi Toledo a mis en place
une vice‐royauté qui a mis en œuvre pendant près de 300 ans un processus sans précé‐ dent d’exploitation et d’acculturation de la population indigène. L’arrivée des Espagnols au XVIe siècle a développé l’activité minière aux dépens de l’activité agricole, conséquence
de la vision mercantiliste de l’Europe, où les métaux précieux comme l’or et l’argent étaient à la base de la richesse des États.
Région côtière, Pérou
L’économie de la vice‐royauté s’est ainsi appuyée sur l’exploitation des ressources hu‐ maines et naturelles du pays, notamment celles des métaux précieux qui ont contribué à donner du Pérou l’image d’un pays regorgeant de richesses. L’économie était également basée sur d’autres activités comme le commerce, l’agriculture et le textile qui s’est forte‐ ment développé jusqu’au XVIIe siècle. Pendant toute l’histoire de la vice‐royauté, il y eut des soulèvements contre la couronne d’Espagne. L’un des plus connus fut celui organisé par l’Inca Tupac Amaru en 1780. Il se solda par la victoire des Espagnols, anéantissant les espoirs de la population, surtout an‐ dine, et renforçant les intentions de réformes de la couronne au Pérou. Cependant, après la fin tragique de cette rébellion, des mouvements d’émancipation au sein de la vice‐ royauté mirent définitivement fin à la domination espagnole. L’indépendance du Pérou a été déclarée en 1821 et a été renforcée par la défaite des Es‐ pagnols à Ayacucho en 1824. La jeune république est apparue comme un édifice fragile, mais elle a été bien accueillie par les populations créoles et métisses, et sans grandes at‐ tentes par la population indigène. Les caudillos, c’est‐à‐dire les militaires qui s’étaient bat‐ tus pendant la guerre d’indépendance et qui considéraient comme un droit ou un devoir de diriger le Pérou, se sont emparés du pouvoir les premières années ; la guerre entre caudillos a compromis le bon fonctionnement de l’État et a absorbé les ressources néces‐ saires à son développement.
Trois autres types de situations ont par ailleurs joué un rôle fondamental au XIXe siècle. Le
premier concernait l’exploitation du guano des îles. Ce guano provient de l’accumulation des déjections d’oiseaux marins et est utilisé comme fertilisant naturel dans les champs agricoles. À partir de 1840, il a permis à la côte et au Pérou en général de connaître une certaine stabilité économique, politique et sociale, mais cette richesse a été insuffisante et elle a été rapidement épuisée. Le deuxième était relatif à la crise économique des années 1870, qui a entraîné une instabilité politique dans le pays. Enfin, le troisième portait sur l’exploitation du salpêtre, localisé dans l’extrême sud du pays, et a causé une terrible guerre avec le Chili entre 1879 et 1883.
À la fin du XIXe siècle, en raison de la guerre avec le Chili, les activités agricoles, minières et
de pêche ont pratiquement cessé. Au début du XXe siècle, une agriculture bipolaire s’est
installée sur la côte péruvienne avec, d’une part, les grandes haciendas et, d’autre part, les paysans et les petits agriculteurs (de La Cruz, 2005). Dès le dernier tiers du XIXe siècle,
la côte a connu un processus de modernisation, stimulée par les perspectives d’une dy‐ namique agro‐exportatrice de sucre de canne, de coton, et par une main‐d’œuvre consti‐ tuée d’esclaves noirs et de travailleurs libres. La production de sucre la plus importante s’est implantée sur la côte nord et centrale et était destinée à l’exportation.
Les plantations ne se limitaient pas aux cultures signalées ci‐dessus. Elles possédaient des hangars et des ateliers permanents pour effectuer des opérations de transformations élémentaires, comme produire de la mélasse, du sirop de canne et de l’eau‐de‐vie de canne. Des vignobles se sont concentrés sur la côte d’Ica, d’Arequipa, de Moquegua et d’Arica ; la production de raisin était transformée en vin et en eau‐de‐vie (le pisco), desti‐ nés aux marchés des villes et des centres miniers de toute l’Amérique du Sud et du Gua‐ temala. Le coton était surtout produit à Piura, Ica et Arequipa, et sur la côte nord ; il était exporté sous forme de toiles et de tissus.
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Tout au long du XXe siècle, ce panorama a changé de différentes manières. De nom‐
breuses haciendas, stimulées par la croissance des villes et la construction de voies de communication reliant toutes les vallées et les villes de la côte, ont continué à se moderni‐ ser et à diversifier leurs productions, voire à développer certaines industries. La construc‐ tion d’ouvrages d’irrigation, certains de grandes dimensions, a élargi la frontière agricole et amélioré l’arrosage dans des zones déjà cultivées. Un marché du foncier s’est dévelop‐ pé. La main‐d’œuvre temporaire provenant de la sierra a été remplacée par des travail‐ leurs salariés plus stables. Par la suite, l’installation permanente dans les vallées de mil‐ liers de migrants venant de la montagne a entraîné une offre de main‐d’œuvre suffisante qui a contribué à une croissance erratique des zones peuplées.
La réforme agraire mise en place entre 1969 et 1975 (Eguren, 2005) a profondément mo‐ difié l’agriculture côtière. Les haciendas ont disparu et la classe entrepreneuriale agricole a été presque entièrement supprimée. Des coopératives agricoles, dont les membres étaient les travailleurs salariés permanents, se sont installées sur les sites des anciennes haciendas. Toutefois, à la fin des années 1970 et lors des années 1980, la quasi‐totalité des coopératives a été subdivisée entre les associés en parcelles familiales variant en moyenne de trois à six hectares. Aujourd’hui encore les propriétaires de ces parcelles ex‐ ploitent les terres agricoles de la côte et ces multiples petites propriétés contribuent à donner à la région son aspect morcelé.