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Les vieux habits des territoires neufs : « pays » et région

233. Quand le département recycle ses terroirs

24. Les vieux habits des territoires neufs : « pays » et région

Au-delà du département, tous les outils territoriaux n’ont pas l’histoire avec eux. Après la Révolution, la République a continué à découper le territoire national pour mieux en assurer l’administration et le développement. De nouveaux territoires « froids » ont été institutionnalisés sans pour autant refroidir les territoires « chauds » ni même parvenir à enrayer le processus de réchauffement des outils territoriaux révolutionnaires. Je vais m’attarder ici sur deux de ces nouveaux découpages dont les caractéristiques opposées, révèlent plusieurs ambiguïtés et témoignent de tensions entre les différents registres de spatialité de l’acteur politique. Ces

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tensions et paradoxes se manifestent essentiellement dans la tentative explicite ou non de faire revêtir à ces nouvelles entités les vieux habits des territoires « chauds », les recouvrir d’une petite laine culturelle et identitaire pour les réchauffer et remédier ainsi à leur défaut historique de légitimité. Les régions, dans l’ambiguïté de leurs dénominations, et la politique des « Pays », dans sa volonté de réinventer l’histoire locale, illustrent ces relations paradoxales à la fois ambiguës et schizophrènes.

241. L’ambiguïté de la Région : territoire « froid » et noms

« chauds »

Le principe même de la régionalisation repose sur l’idée que les outils territoriaux existants ne sont plus calibrés pour aborder de front la problématique économique en cours de globalisation. Dans sa « géohistoire de la régionalisation », Jean-Marie Miossec (2008) décline avec précision tous les mouvements régionalistes qui ont traversé les siècles. Il transparaît à la lecture que d’une part la Région est régulièrement considérée comme une arme potentielle contre un département obsolète, d’autre part que c’est la dynamique économique qui lui donne corps et légitimité. L’échelle régionale s’impose par l’économie. Aux questions posées par les réticularités économiques, la puissance publique apporte une réponse territoriale, pièce supplémentaire portée au dossier de la prégnance du registre territorial de spatialité des acteurs politiques. Étrangement, ce qui me questionne ici à propos des circonscriptions d’action régionale de 1955, qui préfigurent nos régions actuelles, ne concerne pas le choix des périmètres. En effet, dans la logique économique qui préside à leur découpage, faire en sorte que chaque grande métropole, intronisée par la suite « d’équilibre » (Hautreux, Lecourt, & Rochefort, 1964 cités par Ascher, 2002) 87 pilote sa propre région était sans doute la moins mauvaise solution, surtout si on en croit les circonstances peu glorieuses de leur découpage final réalisé, comme le raconte Jean-Marie Miossec (2008), en une journée, entre technocrates et sans véritable expertise, ni négociation. On retrouve là l’idée de la région polarisée qui était aussi à la base de nombreux projets éphémères qui ont jalonné l’histoire de la République et qu’ont fini par adopter les géographes, avec un certain décalage alors que Vidal de la Blache, en visionnaire, l’avait explicité dans son analyse des régions : « Les villes régionales – à des degrés divers, avec plus ou moins de succès, ces tendances se manifestent d’un bout à l’autre de la France ; et partout c’est dans une sorte de ville-maitresse qu’elles trouvent un point d’appui. » (Vidal de La Blache, 1910 : 838) et mis en œuvre dans « la France de l’Est » (Vidal de la Blache, 1917). On peut citer le singulier projet Belet (Miossec, 2008) en 1923 qui consistait à proposer à chaque département de se rattacher à une des 29 villes proposées au suffrage. Chaque ville obtenant l’adhésion de 3 départements (et un million d’habitants) deviendrait chef-lieu d’une région composée des départements qui l’auraient choisie. Le principe aurait pu être repris dans le débat actuel… Au final, la région polarisée avait en tout cas la cohérence pour elle, puisqu’elle plaçait ainsi un centre dans chacune de ces nouvelles cases… ou presque, car les espaces

87 Pour être tout à fait honnête envers le lecteur, ce rapport est aujourd’hui quasi introuvable et sa trace perdure essentiellement à travers les bibliographies au sein desquelles il est considéré comme incontournable, comme le souligne François Ascher dans son article. En revanche je conseille la lecture complète du numéro de STRATES duquel est issu ce papier. En effet, construit comme un hommage à Michel Rochefort, les entretiens qui sont menés avec le chercheur sont particulièrement intéressants quant à sa posture et les avatars qu’elle recèle.

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métropolisés du Grand Bassin Parisien ne trouvaient pas de centre à la mesure de ceux des régions voisines et à l’ambition économique affichée. Le Poitou-Charentes et son quatuor de villes moyennes, la Picardie et son pauvre binôme, le Centre et la rivalité Orléans-Tours, et « l’entre-deux Ardenno-Champenois » font douter de l’efficacité économique de telles entités et de leur capacité à peser dans l’économie monde, voire européenne ou même simplement nationale. De la même façon, avec deux Normandie, il semblait assez évident, dès le départ, qu’il y en avait au moins une de trop. Il n’est pas étonnant de voir que dans les discussions actuelles ces régions sont considérablement restructurées.

Ce qui m’interroge relève d’une autre mécanique que de celle des ciseaux88. Je me suis toujours demandé pourquoi la République, en créant l’outil régional de manière pourtant descendante, centralisée, avait à ce point renié les principes révolutionnaires en attribuant à certaines de ces entités des dénominations historiques. « Le nom est l’un des attributs du territoire: il le désigne, le situe et devrait même qualifier ou symboliser sa substance, voire son essence » (Giraut et al., 2008 : 98). Dès lors ces choix ne pouvaient qu’engendrer une confusion entre ce qui relevait de l’histoire et des territorialités d’une autre époque et ce qui relevait de l’essence de l’outil créé pour tenter d’embrasser les évolutions de l’économie contemporaine. D’autant que la rhétorique produite par la dénomination est performative (Debarbieux & Poisat, 1999). Les analyses de Gérard-François Dumont (1999) ou de Jean-Marie Miossec (2008) montrent bien que les critères culturels et historiques sont intervenus dans le processus, mais ils n’ont pas dominé au point d’en constituer le fondement. Le malaise culturel est d’autant plus grand lorsque la cohérence de l’outil impose d’exclure Nantes de la Bretagne pour donner une région à Rennes, de fabriquer une Picardie déjà difficile à circonscrire en lui adjoignant des bouts d’Ile-de-France, ou d’évincer la Corrèze de l’Aquitaine pour « doper » le Limousin. Sans compter les arrangements qui ont conduit à scinder la Normandie en une « haute » et une « basse » (notons au passage le paradoxe de l’hybridation entre le mode de dénomination « départementaliste » et l’approche « culturaliste »), et le réveil de bien d’autres conflits de confins ancrés dans les histoires locales. À cela, il faut ajouter les associations partielles, une partie de la Provence avec Alpes ( ?) et Côte d’Azur, les Ardennes françaises avec la Champagne… Pourquoi ne pas avoir préservé la froideur des évocations évasives qui vont parfaitement au Centre, aux Pays de Loire, à Midi-Pyrénées ou à Rhône-Alpes ? On peut y voir une volonté de préchauffer ces territoires pour leur garantir une pérennité, une installation moins abrupte dans le paysage territorial. Ces créations ex nihilo ne s’appuyaient en définitive que sur les deux instances les plus fraîches (politique et économique) et jouer sur le curseur idéologique en insufflant la chaleur d’un nom jouait le rôle de la fée « culture » se penchant sur le berceau de la nouvelle née. Il faut y voir aussi, plus assurément, la survivance d’une société terrienne, enracinée dans la province qui défend ses vieux territoires… contre Paris. L’omniprésence de Jean-François Gravier dans le processus de régionalisation depuis 1942 n’est sans doute pas étrangère à ce mouvement dans l’esprit de la « haine de la ville » (Marchand, 2001). Ces choix, pilotés par le pouvoir central, ont fini par s’inscrire dans l’organisation d’un État déconcentré. « Le plus extraordinaire a été la pérennisation, presque sans la moindre opposition, de ce nouveau découpage… En fait, très vite, l’harmonisation générale des services publics impose que toutes les administrations se moulent dans cette nouvelle configuration (décret de juin 1960)… » (Miossec, 2008 : 399). Ils ont pris

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encore un sens différent avec la décentralisation et la prise en main de ces territoires locaux par des assemblées élues. À partir de là, le processus de réchauffement se met en route. On a fabriqué un blason ou logotype en fonction des choix locaux d’afficher l’histoire ou la modernité (Dumont, 1999) que l’on retrouve comme par enchantement sur les plaques minéralogiques, se partageant l’espace avec le numéro du département comme je l’ai montré plus haut. On a trouvé un slogan, on a promu, vendu, cherché à attirer des habitants, des touristes, des entreprises sur le fondement d’une histoire recomposée et choisie, voire de terroirs englobés, combinés avec une modernité indispensable. L’outil se réchauffe et le discours de réification territoriale se développe avec une efficacité performative parfois douteuse, mais avec une régularité de métronome. Donner à des élus locaux la maîtrise des curseurs de la fabrique territoriale entraîne le jeu idéologique inévitable du réchauffement. Aussi, lorsqu’il est question, au détour d’une rumeur échappée des travaux du comité Balladur sur la réforme des collectivités territoriales de démanteler la Région Picardie, l’âme picarde s’insurge, mobilisant une histoire déconnectée de la raison économique qui avait présidé à sa création. La Picardie avait-elle besoin d’être réifiée en Région pour exister ? Et est-ce la Picardie qu’on assassine quand on recompose l’outil régional ?

Le ton ironique de l’article du journal Libération89 relatant les émotions picardes est en soi une

réponse. La Gascogne, la Guyenne ou le Quercy n’ont pas décroché le Graal institutionnel, mais continuent pourtant de figurer sur l’écharpe de leur Miss France qui reste un indicateur très sérieux de leur survivance et de la chaleur qu’ils dégagent culturellement.

Ces ambiguïtés favorisent les télescopages entre d’une part ce qu’on essaye de construire pour répondre à l’évolution des spatialités, qu’il faut envisager comme potentiellement mouvant, évolutif ; d’autre part ce qui renvoie à nos territorialités perdues, mais encore rêvées, sans doute importantes pour notre équilibre, mais nécessairement décalées aujourd’hui et qu’il est vain, voire dangereux ou contreproductif, de chercher à réifier.

Le problème provient peut-être du paradoxe qui consiste à apporter une réponse territoriale à un problème qui ne l’est pas. La complexification des spatialités conduit à une quête incessante d’un optimum dimensionnel que l’on sait mythique (Ortiz, 1994) et qui pousse à envisager des périmètres toujours plus vastes. La question posée par Jean-Louis Guigou (2007), ancien DATAR, prend ici tout son sens : redécoupage ou coopération interrégionale ? Mais ma réponse diffère de la sienne, car peut-être est-il temps de « faire avec » les découpages existants qui ne sont ni bons ni mauvais puisque la surface, la continuité et l’exhaustivité ne sont plus les clés uniques de nos spatialités ? La solution est sans doute dans le lien au moins « inter »

(Vanier, 2005, 2008), peut-être « trans » (DATAR, 2010)90, tel qu’évoqué dans le second chapitre.

« Ce plaidoyer pour une complexité territoriale évidente et nécessaire, mais à maîtriser, passe donc par la reconnaissance et l’invention d’échelons et de cadres territoriaux politiques subsidiaires, c’est-à-dire qui se substituent aux autres pour des fonctions de régulation potentielle des efforts de développement. Échelons et cadres territoriaux qui osent le « supra » et « l’inter » lorsqu’ils sont nécessaires, et les préfèrent toujours au « para » et à « l’infra » quand il s’agit d’arbitrer. Il en va de la valorisation de la diversité territoriale et d’une certaine garantie contre les risques d’enferment inhérents à la territorialité » (Giraut, 2005 : 296).

89 « La Picardie existe-t-elle ? », article paru dans le journal Libération daté du 27 février 2009

90 Dans les actes de ces rencontres, c’est Nathalie Blanc qui évoque des projets transterritoriaux. Cette expression a aussi été érigée en concept par Nadine Cattan lors des rencontres organisées en octobre 2011 à l’occasion des 30 ans du SET.

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Les comités d’expansion des années 1950 proposaient une alternative réticulaire à la régionalisation, et aujourd’hui, des outils comme la conférence permanente des Pyrénées (CTP) montrent qu’il est possible de raisonner dans « l’inter ». Encore faut-il le comprendre ainsi et ne pas systématiquement rechercher l’identité comme raison. Pour revenir sur la CTP, la mise en scène culturelle rapportée par Gérard-François Dumont (1999) ne fait qu’occulter la raison première de l’intérêt de la chose : l’opportunité géographique d’avoir la chaîne des Pyrénées en partage.

Il est difficile de ne pas évoquer ici le redécoupage régional en discussion après la présentation du projet du gouvernement de réduire le nombre de régions (en 2014), même s’il est en cours de discussion et qu’il est bien difficile aujourd’hui de prévoir ce qu’il adviendra au final. On peut simplement dire qu’il ne prend pas le chemin d’une prise en compte des spatialités contemporaines. À partir d’un objectif comptable, les divers scénarios envisagent des fusions de régions entières dans une perspective d’élargissement et d’économie de moyens. Pour montrer la complexité du problème, il est intéressant de noter les résultats des consultations nationales commandées aux différents instituts de sondage par les organes de presse et les médias régionaux

ou nationaux. Ainsi, un sondage IFOP91 du mois d’avril 2014 montre que 60% des Français

approuvent l’idée d’une réduction du nombre de régions, ce chiffre monte à 63% dans un

sondage IPSOS92 réalisé un mois plus tard. Mais ce dernier sondage fait apparaître que 62% des

91 Sondage IFOP pour le journal Sud-Ouest Dimanche

92 Sondage IPSOS pour France Télévision, Radio France, LCP/Public Sénat, Le Point et France 24. Ce sondage était Figure 10 : résultats du sondage LH2 du 10 avril 2014 pour la Presse régionale et France Bleu

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Français sont favorables à la fusion de leur région avec une région voisine, ce qui contredit un

sondage LH293 réalisé le 10 avril pour lequel cette idée n’est acceptée que par 36% des personnes

interrogées. Ce sondage montre même que globalement les différentes modalités possibles de modifications des régions ne dépassent jamais 39% d’approbation (Figure 10). Ce qui rejoint le

sondage IFOP94 de juin 2014 qui montre que 46% des Français seulement approuvent la nouvelle

carte des régions. Dit autrement, les Français sont d’accord pour que ça bouge, mais ils n’ont aucune idée de comment il faut que ça bouge et sont globalement opposés à tout ce qu’on leur présente à partir du moment où ça les concerne.

Ces différents éléments témoignent d’une déconnexion entre une société en mouvement, une mondialisation qui semble imposer l’action, une redistribution strictement comptable et les questions identitaires qui ne manquent pas de ressurgir derrière des bonnets rouges bretons par exemple pour réchauffer les territoires en construction. Aujourd’hui le débat est inaudible.

Le second outil qui permet d’illustrer cette mécanique est représenté par les « pays » au sens de la LOADT de 1995 et surtout de la LOADDT de 1999.

242. Les « Pays », à la poursuite d’un mythe : retrouver les

territoires « chauds »

Le mouvement qui a conduit à la renaissance des « Pays » est un peu différent. En effet, la loi (LOADT95) fait explicitement référence à l’idée de communauté culturelle, même si cette option n’est pas exclusive : « le développement local […] favorise au sein de pays présentant une cohésion géographique, historique, culturelle, économique et sociale la mise en valeur des potentialités du territoire en s'appuyant sur une forte coopération intercommunale et sur l'initiative et la participation des acteurs locaux »

(LOADDT du 25 juin 1999, article 296). De ce fait, ils portent en eux cette volonté de retrouver le

paradis territorial perdu et s’inscrivent à contre-courant de la globalisation économique. Ils nient les réticularités sociales et se réfugient dans les territoires hérités, louant les territorialités. Ils incarnent à eux seuls la ritournelle territoriale évoquée plus haut.

Pourtant en incitant les « Pays » à s’autodéterminer, à (re)trouver eux-mêmes leur périmètre originel la loi ouvre vers l’alliance choisie et de fait vers les réticularités. Cet esprit plaît particulièrement aux géographes et aux historiens, car d’une part il les renvoie aux découpages de leurs maîtres, vidaliens et épigones, grands descripteurs des territoires ruraux et de leurs territorialités captives du début du XXe siècle ; d’autre part il les place en position d’expert de ces réalités. On va pouvoir ressortir Desfontaines, par exemple, pour enfin construire le « Pays de beaucoup plus global puisqu’il portait sur les élections européennes et comportait un volet (le dernier) sur « la perception de la réforme territoriale ».

93 Sondage LH2 pour la Presse régionale et France Bleu

94 Sondage IFOP pour le Midi Libre

95 Loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire (LOADT dite aussi loi Pasqua) du 4 février 1995 remplacée le 25 juin 1999 par la Loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire (LOADDT, dite aussi loi Voynet).

96 Il est intéressant de noter que le « et » inclusif de l’article 2 se transforme en « ou » potentiellement exclusif dans l’article 25 : « Lorsqu'un territoire présente une cohésion géographique, culturelle, économique ou sociale, il peut être reconnu à l'initiative de communes ou de leurs groupements comme ayant vocation à former un pays » (LOADDT 1999, article 25). Pour compléter cette remarque, il faut souligner que le passage cité de l’article 2 n’existait pas dans la première mouture de la loi en 1995, alors que l’article 25, bien que renommé, existait déjà…

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Serres » en Lot-et-Garonne97, inventer la Bresse-Louhannaise (Bleton-Ruget, 2001, 2004) et plus

globalement ressusciter par réinvention les « petits pays » et la culture chaleureuse des terroirs (Bleton-Ruget et al., 2002). Mais on va pouvoir aussi réifier les territoires vécus que des « experts » pourront faire émerger comme des évidences scientifiquement démontrées. Dans un dernier soubresaut, le territoire, dans toute son épaisseur et sa chaleur, réinterprète sa ritournelle pour faire face à l’hydre de la mondialisation. Ce phénomène correspond, dans le processus de dénomination, à la catégorie des « révélations, constructions » (Giraut et al., 2008) qui participent de la renaissance des territoires par le biais du développement local (Antheaume & Giraut, 2005)

Mais à la cible planétaire théorique de la mondialisation galopante s’est très vite substituée la cible plus classique des territoires « froids », les territoires « outils » dont j’ai parlé plus haut. Les conseillers généraux, qui ont aiguisé leur paranoïa et ont appris à se méfier des innovations, ont très tôt compris que ces « Pays » réinventés étaient une menace pour leur institution. Pilotée par les Conseils Régionaux, la politique des « Pays » était avertissement quant à leur intégrité dans une

attaque conforme à la règle des « 1-3/2-4 »98 déjà évoquée (Giraut, 2005). De plus, en convoquant

l’histoire et la culture les pays étaient susceptibles de transcender leurs limites et endossent une petite laine identitaire propre à les réchauffer. Cette chaleur envers laquelle les départements nourrissent, comme j’ai pu le montrer, un complexe récurrent. De plus, potentiellement ouverte à de nouvelles élites issues de la fameuse et effrayante « société civile », par l’intermédiaire des conseils de développement, cette politique était taillée pour les achever. Certaines passes d’armes dans des assemblées locales ont montré à quel point le risque était grand99. Si on complète ce tableau par le plaidoyer anti-départementaliste et pro-Pays, déjà cité, de Loeiz Laurent (2002) on comprend le danger. Alain Rousset, président du Conseil Régional d’Aquitaine et président de l’association des régions de France, fervent militant de la fin des départements, semble reprendre ce discours. Il a profité de la discussion lancée par le gouvernement au sujet de la réforme territoriale en 2014 pour évoquer à plusieurs reprises la possibilité de relancer les pays pour gérer les compétences dans la proximité.

Vingt ans plus tard, la machine départementale a fait son œuvre et la loi du 16 décembre 2010, portant réforme des collectivités territoriales, a retiré le « Pays » du catalogue des outils territoriaux de développement. On arrête la production et on interrompt le service après-vente.