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423. La peur du désert : les réseaux techniques pour aménager le territoire

Chapitre 4. Réflexivité : retour sur les postures de recherche

« Puis il me confia son terrible secret : chaque fois qu’il écrivait un livre, il était frappé du plus grand des malheurs. Quand il avait épuisé toutes les preuves en faveur de sa thèse, il se croyait obligé de développer également toutes les objections que pourrait faire valoir un adversaire. Il recherchait alors les arguments les plus subtils sous un point de vue contraire, et comme ceux-ci prenaient à son insu racine dans son esprit, il advenait que son ouvrage achevé ses idées s’étaient peu à peu modifiées, et à tel point qu’elles formaient un ensemble de convictions diamétralement opposées à ses opinions antérieures ; mais alors aussi il était assez honnête homme pour brûler le laurier de la gloire littéraire sur l’autel de la vérité, c’est-à-dire pour jeter

bravement son manuscrit au feu. »

(Heine, 1853 : 9)

Je n’imaginais pas terminer cet exercice sans organiser un retour réflexif sur les conditions de production de la recherche qui constitue le fondement de mon propos, sans discuter les postures que j’ai adoptées pour faire émerger les résultats que je vous ai proposés jusque-là. Le positionnement de ce chapitre à la fin de mon texte est discutable, certains trouveront peut-être que la place qui lui est accordée est excessive et qu’un positionnement en annexe aurait suffi. D’autres pourront penser qu’il aurait été mieux placé au début de mon propos, comme le premier étage de la pensée, ou au fil du texte, au fur et à mesure de l’évocation des programmes qui structurent mon argumentation. Sachez que je me suis posé toutes ces questions. Ce questionnement témoigne selon moi de la difficulté de notre science à envisager laisser une place à l’indispensable temps réflexif au moment de l’écriture. Le discours réflexif n’est pas très vendeur en géographie. Les chercheurs ne voient généralement pas forcément l’intérêt d’écrire sur leur posture de recherche. Celle-ci est considérée comme une évidence plus ou moins consciente et renvoie de façon classique à une forme d’éthique sur laquelle il n’est ni besoin de revenir ni besoin d’écrire. Certes il existe des écrits méthodologiques où les chercheurs discutent leurs outils, surtout lorsque ceux-ci sont jugés techniques et parfois taxés d’instruments. Mais il n’est que rarement question de posture. Le géographe et même l’aménageur ne conçoivent pas l’intérêt de livrer les clés de la production de leur pensée.

C’est peut-être cette rareté, cette étrangeté, qui me pousse aujourd’hui à tenter cette formalisation, à proposer un mode d’écrire sur cette question. Pour donner toutes les clés, puisque c’est la règle que je m’impose, je dois raconter ici la genèse de l’idée de ce dernier chapitre. L’idée et l’envie de passer à cette mise en ordre proviennent en fait d’un échec. En 1998 j’avais répondu à un appel à publication de la revue Science de la société qui préparait un numéro sur le thème « production scientifique et demande sociale » (Collectif, 1999). Recalé avec un article encore en chantier, j’avais revu ma copie et proposé une mouture, selon moi plus aboutie, à l’Espace

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Géographique. La réponse de Roger Brunet, bien que négative, était stimulante. Très attaché à ce papier, je le soumettais à quelques collègues réunis dans un petit groupe « clandestin » de la

MSHA que nous avions appelés LIS136. Le groupe fut très réactif et intéressé par mon approche

et le débat très riche autour du papier m’a permis d’aller plus loin. Cette réaction positive, presque chaleureuse, s’explique aussi par l’ouverture de ce groupe à la nécessité de la réflexivité, du réflexe réflexif, jusque dans sa formalisation par une écriture. Le parti pris réflexif de l’ouvrage initié par Christine Chivallon (Chivallon et al., 1999) en témoigne. C’est sans doute ce contexte qui m’a conduit à décréter légitime le développement de ce qui devenait, au fil des échanges, plus qu’un article et qui aujourd’hui structure ce dernier chapitre après avoir inspiré la totalité du volume.

Il ne s’agit pas d’entrer dans le modèle de l’egogéographie développé par Jacques Lévy (1995) dans la lignée des egohistoires (Nora, 1987), même si l’ouvrage de Michel Marié (1989) : « les terres et les mots », compris comme une « autosocioanalyse », constitue pour moi une référence incontournable. J’aspire à autre chose : tenter une formalisation, au sens littéral de mettre en forme, de ma posture de recherche.

J’entends bien la critique de Pascal Ragouet lorsqu’il s’essaye à classer les réponses à l’appel à communication lancé par Christine Chivallon pour le colloque organisé à Bordeaux en 1998 : « Discours scientifiques et contextes culturels : géographies britanniques et françaises à l’épreuve postmoderne ». En évoquant le type « égocentriste », il souligne que « …partir de sa propre expérience pour en faire l’objet de l’analyse présente […] un risque, celui de favoriser au titre de contexte pertinent de la production géographique ce qui a toutes les chances de ne constituer en fait que les conditions locales et fragmentées dans lesquelles on produit quotidiennement » (1999 : 318). D’un autre côté, j’ai conscience que « se raconter cherchant » constitue un risque sérieux de dérive narcissique. Il faut « échapper à la tentation de sacrifier à la réflexivité que l’on pourrait appeler narcissique, non seulement parce qu’elle se limite bien souvent à un retour complaisant du chercheur sur ses propres expériences, mais aussi parce qu’elle est elle même sa fin et ne débouche sur aucun effet pratique. » (Bourdieu, 2001 : 175). Je n’éviterai sans doute pas totalement ces écueils, mais il faut avoir conscience qu’ils me guettent pour atteindre tout de même mon objectif, qui est finalement le même que Pierre Bourdieu « …fournir les instruments de connaissance qui peuvent se retourner contre le sujet de la connaissance, non pour le détruire ou discréditer la connaissance (scientifique), mais au contraire pour la contrôler et la renforcer » (ibid. : 15-16).

Pour réussir ce pari, il faut d’une part dépasser le simple contexte local du laboratoire et travailler dans les plis les plus fins des ajustements tactiques qu’on est amené à faire vis-à-vis de l’objet ; d’autre part, tenter de rendre « utile » cette réflexion. Cette « utilité » est pour moi de plusieurs ordres. Tout d’abord il s’agit d’autoriser la compréhension fine des mécanismes à l’œuvre dans la mise en place des dispositifs de construction d’un objet scientifique. Ensuite elle permet une veille, elle provoque la mise en place d’un « réflexe réflexif » dans une science sociale peu encline à cet effort. Enfin, en deçà et au-delà d’une autosocioanalyse qui reste le propre du sociologue (avec lequel et laquelle on peut néanmoins ruser) ce type de réflexion doit servir à aller plus loin dans ma démarche en permettant aux autres (chercheurs, acteurs…), ceux-là même qui participent de ma propre construction, de s’immiscer dans mon monde comme je m’immisce dans le leur.

136 LIS comme Lost in space. Ce petit groupe avait été initié par Christine Chivallon alors au laboratoire TIDE, et réunissait Thierry Berthet (politiste du CERVEL), Jacqueline Candeau (sociologue du CEMAGREF), Christian Poirier (politiste québécois finissant une thèse à l’IEP Bordeaux) et Guy Di Méo.

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L’expérience réflexive par laquelle je souhaite terminer ce volume repose sur un double questionnement à propos de mon statut de chercheur. Le premier renvoie à la manière dont les discours scientifiques pénètrent le monde de l’action et renforcent la performativité du discours ambiant et du discours politique. L’hypothèse qui traverse ce questionnement est en rapport avec la question territoriale : si le registre de spatialité des acteurs politiques locaux est dominé par la territorialité, ce serait aussi parce qu’un paradigme territorial domine les sciences sociales et notamment la géographie. Ainsi, le chercheur doit sans doute mener une analyse fine de sa responsabilité dans ce processus d’auto-alimentation du discours territorial.

Le second porte plus précisément sur la posture du chercheur. Comment ménager un rapport avec son objet de recherche susceptible d’introduire une proximité, propre à permettre une implication, tout en maintenant une certaine distance lui permettant de ne pas démissionner de son statut de clerc (Caillé, 1993) ? Mon aventure scientifique est une quête permanente de solutions, d’invention de dispositifs cherchant à trouver le bon genre de discours et, par là, la bonne distance à l’objet.

Ce dernier chapitre propose donc d’une part de discuter de la responsabilité du chercheur dans la performativité du discours politique, d’autre part de tenter une formalisation des différentes postures mises en œuvre dans le cadre de ma propre recherche. Il faut lire ces dernières pages comme un retour sur expériences dont l’écriture n’a d’autre ambition que de finir de donner les clés au lecteur. Je m’autorise ce temps réflexif parce que je considère que l’exercice auquel je me soumets ici me le permet et même m’y oblige.

1. La responsabilité des chercheurs et la performativité du

discours politique

« Nous butons ici sur une question

d’autoréférencement qui induit l’intérêt de faire, a posteriori, des modélisations qui ne feraient que confirmer que le territoire ressemble de plus en plus à ce qui avait été prévu. »

(Bonnefoy, 2005 : 92)

L’utilisation générique du concept de territorialité pour dire le rapport des individus et des sociétés à l’espace témoigne à lui seul de la prédominance paradigmatique du territoire dans les sciences sociales. C’est une manière d’évacuer l’idée que ce rapport pourrait être simplement une spatialité, potentiellement multiple, et la territorialité une manifestation particulière de cette spatialité, un de ces registres. Par là on évacue le doute, l’alternative et on postule que le rapport à l’espace est intrinsèquement territorial. Dès que des voix s’élèvent pour enterrer le territoire (Antheaume & Giraut, 2005 ; Badie, 1995 ; Balligand & Maquart, 1990 ; Castells, 1998 ; Rifkin, 2005), une force centripète réaffirme son existence, refaçonne la preuve. Ce retour permanent aux racines n’est pas sans rappeler l’effet de la ritournelle que j’évoquais plus haut dans sa dimension politique. N’existerait-il pas une ritournelle scientifique qui pousserait le chercheur, en particulier le géographe, à s’accrocher au territoire ? Si on va plus loin, la prédominance du registre territorial dans la spatialité des acteurs politiques, n’induit-elle pas une certaine complaisance du géographe envers un concept qu’il a forgé, façonné et poli et qui

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apparaît aujourd’hui comme un « trésor » qui lui permet de s’inscrire durablement dans la société ? Par là, l’auto-alimentation du discours politique et du discours scientifique, ce dernier édulcoré lorsqu’il s’inscrit dans le champ de l’expertise, ne fonctionne-t-elle pas comme une œuvre tautologique (Banzo et al., 2012) interdisant l’innovation scientifique et politique ?

Pourtant l’innovation existe. Territoire et territorialité ont considérablement évolué, j’ai montré plus haut cette intégration d’un degré extrême de complexité confinant parfois à l’éclatement. Mais que reste-t-il de cette complexité scientifique, lorsqu’elle rencontre et se confronte au discours politique ? Que deviennent le doute et la nuance, « propres » du discours scientifique, lorsque celui-ci s’inscrit dans l’expertise dont la caractéristique principale est constituée par la vérité qu’elle assène ? N’existe-t-il pas un risque majeur d’instrumentalisation du discours scientifique pour accompagner, légitimer et asseoir la performativité du discours politique territorialisant ?

La proposition de Martin Vanier, autour du concept d’interterritorialité (Vanier, 2005, 2008) est peut-être l’innovation la plus riche de ces dernières années. Et la posture de l’auteur, à la fois chercheur et consultant, lui donne d’une part un certain crédit, d’autre part l’espoir d’un atterrissage plus efficace dans l’action. Jouer avec l’« inter » peut autoriser une alternative à l’impossible remise en cause du territoire, en permettant aux acteurs de se décomplexer vis-à-vis de son dépassement inéluctable. Mais encore faut-il que ce qui se passe dans l’« inter » ne soit pas compris comme une nouvelle preuve de la nécessité de changer la maille ? Qu’à l’image de l’État dans le dossier intercommunal ou dans celui des réseaux de villes abordés plus haut, on ne retourne pas dans la quête mythique d’un optimum dimensionnel alors même que l’objectif est justement de la dépasser, de décentrer le problème.

Le premier point de ce chapitre s’organise en quatre temps dont le rythme imprime une parabole. Le premier temps porte sur l’innovation scientifique autour du concept de territoire. L’idée est de montrer comment la recherche innove, pousse le concept dans ses retranchements en l’ouvrant, le complexifiant et lui donnant des dimensions insoupçonnées. Les deux temps intermédiaires font état des limites du paradigme et reviennent à la posture. Il sera tout d’abord question de l’instrumentalisation politique du discours scientifique territorialisant, pour ensuite évoquer l’effet de la ritournelle territoriale dans notre science. Le dernier temps reviendra sur l’innovation à travers une discussion autour de l’interterritorialité pour tenter de comprendre ses potentialités, les postures qui permettent de la mettre en lumière voire en œuvre, mais aussi les risques qui la guettent.

11. De la complexification du concept de territoire : posture

de chercheur

Ce nouveau détour par le concept de territoire s’impose pour en comprendre la complexification lorsque le chercheur se place résolument dans une posture scientifique. Dans la science, le territoire en tant que concept est en mouvement, il est impossible de dire ici que c’est un concept fini. Ainsi, je ne me range pas du côté de ses fossoyeurs évoqués plus haut. En effet, les géographes n’ont eu de cesse de le complexifier, de lui apporter des dimensions supplémentaires, de l’utiliser pour comprendre et exprimer de nouveaux phénomènes. Ces

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extensions, si elles ont eu pour effet d’en faire un concept protéiforme, quelque peu vidé de sa substance et difficile à circonscrire, n’en témoignent pas moins d’une science en marche qui renouvelle ses cadres théoriques, une science dans toute sa richesse, celle de la dispute, de la réfutation possible et du doute. Ainsi, de l’acception

quasi éthologique rappelée par Philippe Tizon (1996), à laquelle répondrait une dimension politique univoque et figée, le territoire a acquis de nouvelles dimensions. La matérialité spatiale qui en faisait sa singularité et son ancrage dans la géographie s’est ouverte à d’autres matérialités en se frottant à d’autres sciences. Les territoires du jazz ou ceux des diasporas, déjà évoqués dans le premier chapitre, ont contribué à lui donner une dimension heuristique et à embrasser un large spectre. Par ailleurs, la dimension sociale de son appropriation a lentement glissé vers un collectif beaucoup moins rigide, de la famille au petit groupe voire à la tribu. La pérennité de son histoire longue a laissé la place à des

appropriations éphémères et au mouvement

(Gwiazdzinski, 2012). Les spatialités de groupes de jeunes dans l’espace public (Deville, 2007), d’abonnés de la SNCF dans un wagon (Lanéelle, 2004), de SDF

(Zeneidi-Henry, 2002), sont appréhendées aujourd’hui par le prisme de ce concept de territoire. Le remarquable texte de Jean-Didier Urbain (Figure 26) narrant l’installation d’une famille sur la plage pousse à l’extrême ce glissement en utilisant jusqu’au vocabulaire de la dimension politique, voire militaire, du territoire pour évoquer cette implantation éphémère et anodine (Urbain, 1994). Si on pousse l’idée vers une définition minimaliste qui se limiterait à une matérialité, une appropriation collective et une régulation, bien des phénomènes que l’on nomme réseau deviennent des territoires. Qu’est-ce qu’une mafia, au-delà de sa maîtrise territoriale (Maccaglia, 2004), sinon un collectif régulé et hiérarchisé qui s’approprie un espace social et s’appuie sur des signes de reconnaissance matérialisés ? C’est aussi l’esprit dans lequel j’ai présenté les partis politiques dans le premier chapitre.

Au-delà de ces évolutions qui ne font que jouer avec les caractéristiques du concept, on trouve chez des chercheurs qui s’intéressent au politique une réelle volonté d’apporter de la complexité. Frédéric Giraut ne se contente pas de considérer que le concept de territoire se complexifie, même s’il le montre de façon lumineuse (2005 : 41–48), il développe l’expression de complexité territoriale pour signifier qu’au-delà du concept c’est la société qui complexifie ce qu’elle fait avec le territoire. Et sa quête théorique est « de rendre compte de la complexité territoriale et permettre d’envisager des modalités de régulations et d’articulations internes » (ibid. : 5).

Compris et utilisé dans ces nouvelles dimensions, le territoire devient un concept riche qui permet d’aller très loin. Mais cette dimension heuristique, qui pousse les géographes à

considérer aujourd’hui qu’il existe des « sciences territoriales137 », impose désormais beaucoup de

137 CIST : collège international des sciences territoriales

Figure 26 : extrait de Sur la plage (Urbain, 1994 : 262–267)

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précautions dans son usage. Or ces évolutions dans la sphère scientifique débouchent très vite sur une méprise dès lors que la science se connecte à l’action… dès lors que l’on change de posture. Il est en effet bien difficile de caler cette définition polymorphe et complexe sur la définition vernaculaire, utilisée dans le langage courant par les individus et surtout par les acteurs politiques dans le quotidien de leur action. Sous ce même vocable, qui plus est largement fédérateur, comme j’ai pu le montrer dans le troisième chapitre, chercheurs et acteurs placent des aspirations voire des espérances différentes. Ainsi, la rencontre, lorsqu’elle est suscitée, se fait sur une méprise. Là où le chercheur mettra l’éphémère et le doute d’une construction scientifique en marche et sa complexité intrinsèque, l’acteur politique entendra l’évidence, la pérennité, l’identité collective et

le pouvoir138. La porte est ainsi ouverte à une instrumentalisation du discours scientifique par un

acteur politique de bonne foi, soucieux d’asseoir son discours politique sur des vérités alors même que le chercheur ne lui propose que le doute d’un concept en construction permanente. Aussi, quand le chercheur se transforme en expert du territoire, comme c’est aujourd’hui souvent le cas, il ne peut que se tromper (Certeau, 1990).

12. L’instrumentalisation : changement de posture - quand la

recherche fournit les paroles

Je voudrais ici insister sur la question de la responsabilité du chercheur dans la réalisation de la prophétie territoriale évoquée plus haut. Si la compétence énonciatrice de l’acteur politique donne à son discours un poids susceptible de « réaliser la chose dite » (Merton, 1997), le chercheur détient lui aussi une position sociale qui lui confère une légitimité de parole permettant elle aussi de participer à la performativité de l’énoncé. Mais l’effet de ce discours n’est pas forcément conscient puisqu’il est souvent intégré au discours de l’acteur public dans le but de renforcer la performativité de celui-ci. Ainsi, c’est bien de l’instrumentalisation dont il est question ici et de la responsabilité du chercheur vis-à-vis de ce principe souvent considéré comme inéluctable et duquel il est bien difficile de se prémunir.

Mais cette responsabilité va plus loin, notamment lorsque le chercheur se trouve en position d’expert, position sur laquelle je reviendrai, et que ses préconisations vont donner lieu à des actes dont il n’aura pas forcément à subir les conséquences. Paul Pellissier rappelait, lors de la conclusion du colloque « tropicalités en géographie » organisé à Bordeaux en janvier 2007 (Vélasco-Graciet (dir.), 2008), combien le contexte particulier de la géographie tropicale avait renvoyé au chercheur la responsabilité de ses paroles. L’utilisation des travaux des chercheurs à l’époque coloniale, mais surtout post-coloniale, dans des contextes locaux, africains notamment, où leur position sociale et scientifique leur conférait une autorité immédiate, entraînait une responsabilité très importante. Paul Pellissier insistait sur le fait qu’il fallait être très vigilant « de ne pas préconiser des choses dont on ne subira pas les conséquences parce qu’on aura pris l’avion pour le retour »139. Cette responsabilité historique du chercheur sous ces latitudes témoigne finalement de la

138 J’ai le souvenir d’une remarque d’un préfet des Pyrénées Atlantiques lors d’un colloque organisé à Pau au sujet de la question intercommunale. Celui-ci, découvrant un géographe à la tribune, m’interpelait en aparté pour me confier