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La rationalité avortée : les approximations de l’État

324. La rationalité politique des conseillers généraux

34. La rationalité avortée : les approximations de l’État

La réforme de l’intercommunalité préconisée par la loi du 16 décembre 2010 met en lumière à la fois le sens de la quête et son caractère vain. En effet, le calendrier choisi a conduit les préfets dans une impasse irrationnelle qui décrédibilise totalement les objectifs affichés et démontre par l’absurde la vanité de cette reconstruction. Depuis la parution des données du nouveau recensement, la communauté des géographes attendait avec impatience la publication du redécoupage par l’INSEE des unités urbaines et de leurs corolaires : pôles urbains, couronnes périurbaines et communes multipolarisées. En effet, les unités urbaines sont fondées sur la

112 « On appelle unité urbaine une commune ou un ensemble de communes présentant une zone de bâti continu (pas de coupure de plus de 200 mètres entre deux constructions) qui compte au moins 2 000 habitants » (source INSEE)

113 « Le bassin de vie constitue le plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès aux équipements et services les plus courants. On délimite ses contours en plusieurs étapes. On définit tout d’abord un pôle de services comme une commune ou unité urbaine disposant d’au moins 16 des 31 équipements intermédiaires. Les zones d’influence de chaque pôle de services sont ensuite délimitées en regroupant les communes les plus proches, la proximité se mesurant en temps de trajet, par la route à heure creuse. Ainsi, pour chaque commune et pour chaque équipement non présent sur la commune, on détermine la commune la plus proche proposant cet équipement. Les équipements intermédiaires mais aussi les équipements de proximité sont pris en compte. La méthode ANABEL permet enfin d’agréger par itérations successives les communes et de dessiner le périmètre des bassins de vie comme le plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès aux équipements et services les plus courants. Le zonage en bassins de vie apporte un complément à travers l’analyse de la répartition des équipements et de leur accès » (source INSEE)

114 Avant 2011, le pôle urbain était, pour l’INSEE, une unité urbaine regroupant 5 000 emplois. Depuis 2011, l’INSEE considère que le pôle urbain doit offrir 10 000 emplois mais propose également une hiérarchie avec des moyens pôles urbains (entre 5 000 et 10 000 emplois) et des petits pôles urbains (entre 1 500 et 5 000 emplois)

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continuité du bâti, et étant donné l’étalement urbain qui a marqué la décennie passée, il était attendu que les périmètres des unités urbaines évoluent de façon notable. De la même façon, les nouvelles formes de périurbanisation repérées ces dernières années (Roux & Vanier, 2008) laissaient penser que le seuil de 40% d’actifs travaillant dans une autre commune de l’aire urbaine allait entraîner un déplacement sensible des frontières du périurbain telles qu’elles étaient définies depuis 1999. L’accès récent à certains chiffres de migrations liées au travail laissait entrevoir cette tendance et l’émergence d’une nouvelle image de la France, pour reprendre les termes employés par Roger Brunet (1997) lors de l’introduction de ce zonage.

Ces données étaient d’autant plus attendues que le dernier recensement datait de 1999, soit douze longues années qui comptent beaucoup dans une société de plus en plus mobile où les spatialités sont de plus en plus complexes. Or les nouveaux périmètres des unités urbaines sont

parus le 10 mai 2011115 sur le site de l’INSEE et l’essentiel des documents qui ont été présentés

par les services de l’État lors des réunions préparatoires au SDCI, comme ce fut le cas dans les

Pyrénées-Atlantiques116, faisait référence aux données de 1999. Si le caractère un peu froid de ces

données ne les rend pas forcément pertinentes pour le chercheur qui aime à s’en détacher, elles correspondent parfaitement à la volonté objectivante affichée par les services de l’État. Ainsi, il aurait sans doute été judicieux de faire en sorte de caler le calendrier de la publication de ces données sur celui de la réforme qui en avait besoin. Les préfets auraient sans doute trouvé là des arguments de la raison plus puissants et surtout plus rigoureux face aux stratégies politiques à l’œuvre.

Je me contenterai ici de l’exemple de la partie béarnaise des Pyrénées Atlantiques pour appuyer ma démonstration. Il est en effet particulièrement riche d’enseignements sur les effets de ce retard, qui, combinés aux velléités traditionnellement conservatrices des élus locaux, ont conduit à vider d’une partie de sa cohérence le SDCI finalement proposé au débat. L’analyse des propositions et des discours issus des réunions préliminaires qui ont jalonné les étapes de la construction du schéma permet de mieux cerner les principes qui ont structuré la négociation et de mieux comprendre les raisons pour lesquelles le schéma final est aussi peu ambitieux, du moins dans sa partie urbaine, et traduit l’échec de la raison.

•Comment l’agglomération de Pau a manqué son rendez-vous avec la ville

Le cas palois est intéressant dans la mesure où il révèle un échec dans la tentative de rationalisation qui aurait pu conduire à adosser la communauté d’agglomération (CA) à son unité urbaine. Il n’a jamais été question de la retrouver totalement, car une communauté de communes (CC) puissante et bien structurée au Sud-Est, le long du Gave de Pau (CC Vath Vielha devenue depuis CC du Pays de Nay) la scindait déjà en deux. Mais il semblait possible d’en affiner suffisamment les contours pour s’approcher de la rationalité poursuivie. Il s’agit ici de décomposer en quatre temps et quatre cartes les relations entre, d’une part les EPCI (ceux existants, ceux proposés par le préfet et ceux finalement retenus dans le schéma), d’autre part les limites de l’unité urbaine paloise (dans les définitions de 1999 et de 2011).

115 En ce qui concerne le zonage en aire urbaine, celui-ci n’est annoncé que pour le mois d’octobre.

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Sur la première carte (Figure 18) figurent les EPCI en place et la première proposition présentée en avril par le préfet lors d’une réunion à laquelle les élus avaient répondu présents en

masse117. Cette carte montre une volonté de réduire de façon importante le nombre de structures

puisque dans cette partie du Béarn ce sont pas moins de 9 EPCI qui auraient pu disparaître, essentiellement du fait de fusions d’EPCI entiers. Le seul démembrement envisagé, qui sera la source du problème que je souhaite soulever, concerne la CC Luy-Gabas-Souye et Lees, à l’Est de Pau, pour laquelle il était question qu’une partie intègre la CA Pau-Pyrénées.

117 Cette mobilisation laissait déjà présager les difficultés qui allaient suivre.

Figure 18 : les EPCI à fiscalité propre autour de Pau en 2011 et la proposition de SDCI formulée par le préfet en avril 2011

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Pour comprendre quelle rationalité avait conduit à ce découpage, j’ai, dans un premier

temps, superposé le pôle urbain118 palois dans son périmètre de 1999, celui présenté dans tous les

documents accompagnant cette réunion. Il semble évident (Figure 19) que ces périmètres ont constitué la référence des services de l’État dans la mesure où l’extension de la CA Pau-Pyrénées à l’est limite le démantèlement de la CC Luy-Gabas-Souye et Lees à la partie concernée par le pôle urbain alors qu’à l’ouest le choix a été fait d’intégrer la totalité de la CC Miey de Béarn dont 7 communes appartiennent à l’agglomération morphologique.

118 Selon l’INSEE, le Pôle Urbain est une unité urbaine qui compte plus de 5000 emplois. Le pôle urbain est donc une unité urbaine, l’inverse n’étant pas vrai. Cette dénomination est associée au zonage en aire urbaine, ces cartes ayant été réalisées avant la publication des nouvelles aires urbaines, j’utilise le concept d’unité urbaine pour les données de 2011.

Figure 19 : la proposition de SDCI formulée par le préfet en avril 2011 et les pôles urbains de l’INSEE (définition 1999)

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Maintenant, la superposition des limites de l’unité urbaine de Pau dans sa définition de 2011 (Figure 20) change sensiblement la donne. En effet, dans la partie orientale de l’agglomération ce ne sont plus trois, mais six communes que la proposition aurait pu intégrer et cela aurait donné plus de crédit au démantèlement de la CC Luy-Gabas-Souye et Lees dont les autres communes auraient pu se rattacher à des problématiques plus périurbaines, voire rurales qu’elles partagent avec les EPCI environnants au Nord et au Sud.

Figure 20 : la proposition de SDCI formulée par le préfet en avril 2011, les pôles urbains de l’INSEE dans les périmètres de 1999 et les pôles urbains dans leurs nouveaux périmètres (définition mai 2012)

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Au lieu de cela, le SDCI proposé au débat (Figure 21), renonce aux annexions initiales et manque le rendez-vous avec la ville. Je ne soutiens pas que l’obsolescence des données initialement retenues est à l’origine de ce pas en arrière, les positions des élus concernés avaient déjà rendu fragile l’ambition initiale, comme en témoignent les propos tenus lors de la dernière

réunion présentant le SDCI définitif119. En revanche, il est possible d’imaginer que les arguments

du préfet auraient été plus tranchants s’ils avaient pu être nourris dès le départ par les données actualisées.

Cet exemple montre simplement qu’il est bien difficile de construire un territoire pertinent et cohérent de manière descendante et que l’État, dans sa précipitation, n’a même pas pris le

119 Compte rendu disponible sur le site de la préfecture des Pyrénées Atlantiques : http://www.pyrenees-atlantiques.pref.gouv.fr/sections/actions_de_l_etat/cdci/projet_de_schema_dep9391/downloadFile/attachedFile_1 /Cpt_rendu_Reunion_5_mai_2011.pdf?nocache=1306830574.64

Figure 21 : la proposition de SDCI formulée par le préfet en avril 2011, les pôles urbains de l’INSEE dans les périmètres de 1999, les pôles urbains dans leurs nouveaux périmètres (définition mai 2012) et le SDCI finalement proposé

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temps de réfléchir à une cohérence au moins actualisée. Si on peut s’insurger contre cette erreur d’appréciation, ou en rire, elle ne fait en fait qu’apporter la preuve de la vanité de la quête puisque tous les dix ans la rationalité sera remise en question par les nouveaux chiffres et les nouveaux calculs de l’INSEE. Ce constat devrait conduire les pouvoirs publics à relativiser la quête de l’optimum dimensionnel et prendre le parti d’une approche différente et peut-être revenir aux réticularités suscitées en premier lieu.

35. Comprendre l’intercommunalité comme une réticularité