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Quatrième partie : les résultats

Chapitre 6. Sens et finalités de l’activité dans l’avancée en âge

6.2 Jouer un rôle sur terre

6.2.1 Être utile à l’humanité

Rendre service et aider les autres, que ce soit à travers des activités bénévoles, dans un cadre organisationnel, ou réalisée de façon individuelle, se matérialise dans une série de pratiques, telles qu’étayées au chapitre précédent. Elles témoignent essentiellement d’une forme de contribution au monde qui se manifeste dans le besoin de se sentir utile, de prendre part à l’humanité, quelque chose de plus grand que sa propre vie. Pour les participantes qui ne sont pas impliquées bénévolement au sein d’une organisation, comme Suzanne et Estelle, aider les

autres autour d’elles, « c’est [leur] façon de s’impliquer » socialement. Il y a dans l’entraide et l’altruisme une dimension fondamentale qui fait partie de la vie, selon Suzanne, car « le jour où les gens ne tiendront plus compte des autres autour, il y aura quelque chose qui va être foutu… ». Pour elle, émane une profonde signification dans l’échange « d’humain à humain », que la relation d’aide met en exergue. Il s’agit, en ce sens, de « faire partie d’une communauté et de ne pas être centrée sur son nombril ». Aider c’est non seulement une « question de valeurs », mais c’est aussi un « rôle de citoyenne », endossé depuis le jeune âge, nous confie-t- elle, à l’instar d’Estelle. N’ayant pas d’enfant, cette dernière estime qu’elle a toujours joué un rôle d’aidante, qui est « venu naturellement et [s’est inscrit] dans l’ordre des choses ». Pour elle, consacrer son temps disponible à aider ses proches est une façon d’être engagée, voire de se responsabiliser face aux besoins d’autrui, parce que ces pratiques exigent un effort, comme elle l’explicite :

« Pour moi, c’est un engagement, une contribution aussi, […] mais je ne le fais pas juste quand ça fait mon affaire… Si on aide les gens, il faut les aider quand ils en ont de besoin, […] Je trouve important de faire ça. Passer ma vie à magasiner et m’acheter des sacoches, tu ne peux pas baser une vie là-dessus. […] Moi, ça me donne plus de satisfaction faire ça, je l’ai constaté, […] mais ce n’est pas une fin en soi, ça ne satisfait jamais [les objets matériels]. (Estelle, 62 ans, retraitée de la fonction publique).

Se soucier d’autrui permet d’échapper à la vacuité d’activités associées à l’avoir matériel et ainsi d’avoir le sentiment d’être nécessaire à un autre. D’autres répondantes ont également joué un tel rôle de proche aidante dans leur trajectoire antérieure, notamment auprès de leur mère. Des pratiques de care qui ont aujourd’hui mené Claire à s’impliquer auprès des personnes âgées, en perte d’autonomie ou malades, dans les comités de résidents, notamment dans celui de l’institution qui a hébergé sa mère durant les dernières années de son existence. Ici, l’activité du care s’est déplacée et s’ancre aujourd’hui dans un souci, plus large, de l’autre

en situation de moindre pouvoir, nécessitant protection et défense. Si le sentiment de devoir animait le soin donné à sa mère, ce sont dorénavant les convictions développées au fur et à mesure de son implication dans l’organisation, qui soutiennent aujourd’hui son « investissement » social, c’est-à-dire son engagement envers les aînés « sans voix ». Jetant un regard rétrospectif sur sa trajectoire pour se projeter à aller de l’avant, Claire réitère qu’elle veut continuer « d’être utile à la société » en poursuivant la contribution qu’elle a toujours eue, soit d’être une « éducatrice et une rassembleuse » à l’écoute des autres, capable de les aider, de les valoriser afin de favoriser l’émergence de leur potentiel. Affirmant sa « profonde conviction » en la valeur de tous les humains, elle estime qu’« on serait rendu pas mal plus loin, comme humanité, si on pouvait permettre à chacun d’actualiser sa valeur ».

Pour Suzanne et Estelle, ce sont leurs valeurs personnelles qui initient les pratiques de care, ce sont aussi celles-ci qui soutiennent la participation civique de Claire et la finalité recherchée dans le sentiment d’être utile à l’humanité. Dans le même esprit, Aude s’estime « trop jeune » pour ne penser qu’à elle; sa participation bénévole dans un groupe communautaire pour les aînés isolés apparaît pallier au fait de ne pas avoir de petits-enfants, mais permet également de se sentir partie prenante de la société et d’un groupe en particulier :

« Pour moi, c’est très important de faire partie encore de la société, d’être utile. […] Les gens qui ont des petits-enfants sont utiles pour [les parents]... Moi, je n’en n’ai pas… alors me lever tous les matins puis ne penser qu’à moi… […] ou de ne pas avoir de partage, bien je pense que je ne serais plus en vie. […]. Si je n’avais pas ça [son implication dans son groupe], il y aurait un immense trou dans ma vie. Là, je me sens utile, puis je fais partie d’un groupe ». (Aude, 67 ans, retraitée du domaine de la politique)

Enfin, la prégnance accordée au fait de se sentir utile n’est pas uniquement le lot des répondantes s’activant sous les deux pôles jusqu’ici discutés, soit celui du care mais aussi de la participation civique et bénévole. Il est aussi présent dans celui du travail rémunéré. « J’ai toujours été une personne qui aime accomplir « des choses utiles », avance Anna qui vend un journal de rue. Au-delà de l’aspect pécuniaire, qui reste essentiel à sa survie, vendre les journaux, « ce n’est pas juste travailler pour gagner ma vie… », poursuit-elle, « ça aide les autres, et pour moi, ça plus de valeur de servir un groupe qu’une seule personne, précise cette dernière en faisant référence à son emploi de femme de ménage. Travailler pour une « une cause humanitaire, c’était aussi « un rêve ! » pour notre répondante qui n’avait pas imaginé pouvoir œuvrer en ce sens. En outre, le sentiment d’utilité ressenti face au fait d’être partie prenante d’un projet caritatif la pousse à souhaiter la poursuite de son activité rémunérée aussi « longtemps que possible », tant que la santé et sa mobilité seront au rendez-vous.

À la lumière des récits, l’importance que les répondantes accordent au fait d’être utiles est indissociable de leurs valeurs personnelles, que ce soit pour aider les autres en se définissant comme une « aidante naturelle », ou servir une cause sociale, cette dernière pouvant aussi s’amalgamer avec l’activité rémunérée. Le sentiment d’utilité est ainsi vécu, senti, tant dans les relations interpersonnelles que dans les rapports à une organisation.