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Des femmes en marche : repousser les maux du corps et de l’âme

Quatrième partie : les résultats

Chapitre 5. Pôles et figures de l’activité dans le vieillir

5.2 Le souci de soi : l’activité physique

5.2.2 Des femmes en marche : repousser les maux du corps et de l’âme

Différentes activités physiques sont intégrées dans la routine du quotidien des femmes interrogées, qu’il s’agisse de faire de la natation/aquaforme, du chi-chong, du vélo, du pilates, etc. Une majorité de témoignages met l’accent sur la marche, une activité accomplie en milieu urbain ou dans diverses régions du Québec et, même, du monde, pour celles qui ont les conditions (matérielles et de santé) pour voyager à l’étranger. Elles marchent pour « être et rester » en santé, mais aussi pour le plaisir et pour maintenir un bien-être, tant intérieur qu’extérieur. Dans cette perspective, la marche représente une activité « thérapeutique », comme l’évoque Françoise, surtout lorsqu’elle et son mari s’établissent plusieurs mois dans leur demeure secondaire en France; elle peut marcher pendant six heures avec des amies. Habitant en région rurale lorsqu’elle est au Québec, la cueillette de champignons et la promenade du chien sont un « bon prétexte » pour faire des marches quotidiennes. En continuité avec son caractère thérapeutique, la marche représente même un garde-fou pour le maintien de la santé mentale, évoque Francine, et ce, même si celle-ci réalise ses exercices tous les matins depuis 30 ans :

« Quand j’ai fait ma dépression, je m’en suis sortie par la marche parce que j’aime beaucoup marcher, […] même l’hiver, je marche pour aller au travail. En plus, […] au lieu de me morfondre sur ma détresse [à ce moment-là], j’ai décidé de participer à la marche pour le cancer du sein, 60 km en deux jours. Je me suis entraînée pour ça […], c’était une expérience vraiment enrichissante ». (Francine, 67 ans, travailleuse en garderie)

Aude et Loraine ont toujours fait de la marche. Même en perdant la vue, Loraine a réalisé le chemin de Compostelle, alors qu’Aude a fait des marches-pèlerinages dans divers endroits du Québec. Rappelant qu’elle a toujours eu « besoin de bouger », elle puise sa motivation pour

continuer à faire de l’exercice physique en prenant l’exemple sur des amis plus âgés, toujours actifs physiquement en dépit des soucis de santé, car l’important est « de ne pas s’arrêter », « de continuer pareil ». À l’inverse, sa mère représente un contremodèle :

« Ma mère est restée dans sa maison jusqu’à sa mort, […] je ne veux pas vieillir comme elle. Elle pesait deux cent livres, elle était dans son lazyboy, puis elle écoutait la télévision, puis elle mangeait des tartes…Je ne veux pas vieillir de même. J’ai trop de vie en dedans de moi. […] Cette année, ça me fait de la peine de ne pas faire de pèlerinage, c’est un deuil, mais je suis capable de l’expliquer, et j’ai encore mes jambes, je suis encore en forme et je ne me suis pas écrasée ». (Aude, 67 ans, retraitée du domaine de la politique)

La mobilité pour faire de la marche, et non seulement pour se déplacer, même si elle peut être à l’occasion entachée par un souci de santé sporadique, demeure primordiale dans les pratiques conduisant à se définir comme étant active. Michelle se fait ainsi un devoir, beau temps, mauvais temps, d’aller marcher une heure par jour, occasionnellement avec des amies pour de plus longues marches. Elle considère cette activité comme étant « plate », comparativement à celles qu’elle faisait antérieurement (course, jeux de ballon, etc.). Elle regrette ainsi sa condition physique d’antan et tente d’accepter ses nouvelles incapacités liées au vieillissement physique; elle s’efforce ainsi de faire ses « deux, trois kilomètres tous les jours ». Souffrant de polyarthrite, Michelle avoue avoir été prise de court par ce mal soudain; « Je ne m’y attendais tellement pas », dit-elle, « le vieillissement, c’est douloureux, ça fait mal partout, mais il ne faut pas s’arrêter à ça », insiste-t-elle. Michelle doit ainsi réorganiser ses activités physiques pour se rabattre, à son grand dam, sur une activité qu’elle juge « moins active », en opposition avec celles qu’elle considérait « vraiment actives ». Mais peu importe la nature de l’activité physique en tant que telle, l’essentiel, c’est de mettre le corps à l’épreuve

de la souffrance, voire même de la subvertir en continuant l’activité afin de « rester le plus performante possible ».

Cette même logique apparaît aussi dans les témoignages d’autres répondantes, et ce, même si la pratique d’activités physiques n’était pas coutumière dans leur trajectoire antérieure, pour diverses raisons (la fatigue liée au travail, à la monoparentalité, le fait de ne pas avoir été socialisée à aimer l’activité physique). L’activité physique demeure ainsi une pratique récente dans le parcours de vie de certaines participantes mais, au regard du maintien de la santé, elle revêt dorénavant une importance cruciale. Aux prises toutes deux avec des maladies chroniques, pour Pauline et Odette, l’activité physique est devenue « indispensable » pour amoindrir les maux du corps et maintenir un bien-être physique et un équilibre psychique. Non négociable, elle reste prioritaire dans l’échelle des activités quotidiennes. Sur le plan cognitif, elle est pressentie comme une source d’énergie et, face à l’adversité, elle devient un rempart contre la dépression et le laisser-aller. C’est dans cet esprit que Pauline parle de l’importance de « se donner des coups de pied », même quand l’énergie n’est pas nécessairement présente pour aller à l’aquaforme et, de ce fait, de « ne pas rester couchée, car il n’y rien de pire de toute façon quand tu es malade ». Les efforts ainsi consentis dans le « rester en forme le plus possible », visent à éviter « la marchette à 70 ans », alors que pour Odette, la question de l’activité quotidienne apparaît davantage comme une question de survie :

« L’activité physique, à l’école primaire, les filles [en] étaient exemptées parce qu’ils trouvaient que ça ne convenait pas… […] On n’a pas appris à aimer ça. J’ai appris ça sur le tard, après [la maladie], mais c’est l’activité physique qui m’a aidée à me sortir de la dépression. À partir de là, j’ai compris à quel point c’était important, c’était indispensable. […]. Ça fait partie de mon quotidien […] et c’est là pour rester, car j’ai vraiment travaillé fort sur ma santé pour finir de sortir la tête de l’eau, […] c’est

important pour moi d’avoir ce temps-là [d’exercice], parce qu’autrement ça m’inquiète si je peux pas faire ça ». (Odette, 63 ans, retraitée du secteur manufacturier)

Tout comme les précédentes répondantes, pour Christine, l’activité physique est aussi objectivée comme une nécessité pour maintenir une bonne santé, mais son récit contient une dimension d’obligation et de devoir – et non d’intérêt, voire même de plaisir que les autres participantes (re)trouvent dans le fait d’activer physiquement le corps. Femme de carrière très occupée même à la retraite, elle pose ainsi l’exercice comme un « choix » contraint, une option qu’elle endosse comme un rapport de force pour éviter les rencontres médicales:

« Je ne suis pas sportive, je hais ça pour mourir. Mais j’essaie d’en faire. Comme là [pour l’entrevue], je ne suis pas venue en auto pour essayer de marcher un peu, […] parce que sinon, je passe tout mon temps à l’hôpital. Donc, j’ai le choix, j’aime mieux le premier que le deuxième, ça ne me prend pas de tant de temps que ça, mais il faut l’inclure dans l’horaire ». (Christine, 63 ans, retraitée du monde des affaires)

Dans le même ordre d’idées, Estelle précise aussi ne pas « être motivée par les activités de style gymnase », mais elle promène son chien et s’estime active physiquement lorsqu’elle prend soin des enfants d’un proche ami. Elle fait l’analogie avec « les femmes au foyer qui restaient en forme parce qu’elles faisaient du ménage », à l’époque où ces dernières n’avaient pas encore investi massivement le marché de l’emploi. Pour elle, « c’est un peu du même ordre »; elle s’estime ainsi active physiquement, car elle « ne reste pas sur son divan à regarder la télé ». En somme, si environ le quart des répondantes s’obligent à « bouger » pour des raisons de santé ou encore pour sortir de la sphère privée (par exemple, marcher pour faire ses courses, promener le chien), les autres répondantes établissent différentes stratégies pour faire de l’exercice : soit en aménageant leur horaire quotidien de façon à se préserver du temps pour

marcher, faire de la randonnée, aller au gym, autrement dit, pour « prendre soin de soi », comme l’évoque Marie-Andrée.