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Quatrième partie : les résultats

Chapitre 5. Pôles et figures de l’activité dans le vieillir

5.1. Le souci des autres : des pratiques de care

5.1.2 L’engagement dans la grand-parentalité

Les répondantes, qui sont en majorité grands-mères (13 sur 20), font preuve d’un ensemble de pratiques de care envers leurs enfants et, plus particulièrement, envers leurs petits-enfants. Évidemment, leur fréquence et leur nature varient selon l’âge des petits-enfants, mais aussi en

fonction de leurs rapports à la grand-maternité et du lien qu’elles souhaitent tisser avec ces derniers. Elles visent entre autres à offrir un soutien aux parents, dans certains cas, indéfectible et « prioritaire » sur toutes autres activités, en vue de les aider et les soutenir dans l’exercice de leur parentalité; par exemple : déplacer les petits-enfants entre la maison et l’école ou la garderie, cuisiner des repas, les sortir, les divertir et les garder pour laisser du temps vacant aux parents, etc. Cet engagement dans une grand-parentalité de soutien, au sein de laquelle la dimension relationnelle et affective demeure omniprésente, émane notamment de valeurs, de croyances face à l’institution de la famille comme étant à la base du lien social :

« Pour moi, ça fait partie d’une valeur, les grands-parents sont là pour que les jeunes puissent se retrouver comme couple, c’est important dans la vie, c’est un soutien au couple... Et avec la petite, […] je suis contente, car je veux avoir une belle relation avec ma petite-fille. […] Pour moi, le rôle de grand-mère, c’est essentiel ». (Françoise, retraitée du secteur de l’enseignement, 64 ans).

« Je trouve que les jeunes d’aujourd’hui, ils ont besoin de soutien. […] C’est la base de la société, la famille, il faut prendre soin…pour moi, c’est très important. Je dis à tous mes engagements : ‘mes petits-enfants sont prioritaires. S’ils ont besoin de moi, je vous mets de côté’, puis je trouve que les liens se sont créés parce qu’on est présent, mon mari et moi ». (Marie-Andrée, retraitée du secteur de l’enseignement, 64 ans).

Pour quelques femmes, en sus de leurs petits-enfants « de sang », elles sont devenues des « belles-grands-mères », soit par l’entremise du conjoint de fait ou encore, par l’alliance de leur fils avec une partenaire ayant déjà un enfant. De la même façon qu’est abordée la parentalité dans le champ de la famille, nos résultats témoignent d’une grand-parentalité contemporaine qui se décline en termes similaires : d’une part, nous sommes en présence d’une grand-parentalité biologique où le rapport grands-mères/petits-enfants s’inscrit dans la filiation généalogique. D’autre part, nous observons une grand-parentalité sociale pour les

répondantes devenues des « belles-grands-mères ». Plus précisément, elles se positionnent comme grand-mère, à la fois sur les plans psychique, social et matériel, face à leurs « beaux petits-enfants », de la même façon qu’elles le font avec les autres, « les vrais ». En l’occurrence, ce sont leurs pratiques de la vie quotidienne qui donnent corps à leur grand- parentalité, laquelle est construite sur la prérogative accordée aux rapports affectifs, et non pas à l’empreinte généalogique. Pauline rappelle que ses beaux petits-enfants « prennent la même place [dans sa vie] que les siens, car l’amour, ça ne se mesure pas ». Elle considère ainsi avoir « quatre petits-enfants qu’[elle] aime tous pareil ». Dans certains cas, un lien singulier se tisse aussi avec les « beaux petits-enfants » :

« M., c’est la fille d’AM, mais elle n’est pas de mon fils. Je suis très, très près d’elle. […] Quand elle a une vacance scolaire, elle veut venir à la maison parce que je fais plein de choses avec elle. […] Elle n’est pas de mon sang, mais je l’aime tellement, on a quelque chose qui nous unit, c’est beau ». (Loraine, 63 ans, retraitée du domaine de l’enseignement)

En l’occurrence, les pratiques de care s’instaurent à travers le rapport affectif, lequel transcende les autres rapports (biologique et généalogique). Et inversement, c’est l’affectif qui permet la consolidation et la pérennité des pratiques de care, car elles sont sous-tendues par le désir de développer une relation durable et significative avec les petits-enfants. Cette relation apporte aux répondantes plaisir et bonheur, car les pratiques ne sont pas appréhendées comme une contrainte, ou sentiment de pesanteur, en opposition à ce que peuvent vivre les répondantes agissant comme proches aidantes. Dans cette perspective, les pratiques visant à offrir présence, attention, amour et soutien aux enfants et petits-enfants sont aussi tributaires de la conception qu’entretiennent les répondantes vis-à-vis leur rôle de grand-mère. Néanmoins, leur prévalence et la fréquence des activités réalisées avec les petits-enfants

varient dans leur vie quotidienne en fonction de divers facteurs, relevant tant de leurs propres trajectoires et expériences que de celles de leurs enfants. Par exemple, pour Marie et Catherine les pratiques de care ont été très soutenues pendant l’enfance de leurs petits-enfants; pour l’une, elles continuent toujours de faire partie intégrante de sa vie, alors que pour l’autre, elles occupent aujourd’hui une place plus périphérique, mais toujours significative dans le maintien d’un lien :

« Je les ai toujours eus [mes petits-fils], ma fille était toujours chez nous. […] Mais là, je ne les garde pas comme tel, à l’âge où ils sont rendues (rires), je les fais dîner durant la semaine et ils viennent ici tous les jours après l’école […] ». (Marie, 60 ans, aide sociale).

« J’ai beaucoup gardé les enfants quand ils étaient petits. J’appelle ça de la garde partagée. Puis, je les ai perdus de vue pendant un moment parce que je n’étais plus capable… […]. Mais là, [à la retraite] j’ai du temps, ça me fait plaisir d’être l’administratrice de ma fille pour les rendez-vous des enfants, […] parce que ça me permet d’avoir une relation avec mes petits-fils ». (Catherine, retraitée du domaine de la vente et des services, 65 ans)

Finalement, si toutes les grands-mères interrogées conçoivent leur rôle dans une perspective similaire (accompagnement, écoute, affection, soutien), la distance géographique de leurs enfants peut faire en sorte de limiter les pratiques de care envers leurs petits-enfants. Dans le cas d’Odette, ayant une mobilité réduite, le déménagement prochain de sa fille est ainsi appréhendé : « Je vais trouver ça un peu dur de les perdre parce que s’ils déménagent sur la Rive-Sud ou à Laval, ça va être plus difficile pour moi d’y aller », mentionne-t-elle. Ayant toujours vécu à quelques 100 kilomètres de ses petits-enfants, les pratiques de soutien de Carole ont toujours été discontinues et adaptées en fonction de la distance géographique. Néanmoins, dans les cas d’urgence, elle et son mari se mobilisent rapidement pour aller prêter main-forte à leur fils et à leur belle-fille.

Les récits révèlent ainsi que les modalités de l’engagement grand-maternel sont variables selon les contextes, engendrant conséquemment des pratiques de care qui colorent différemment l’activité du quotidien des répondantes. Plus précisément, ces pratiques deviennent malléables, car elles s’adaptent aux réalités des parents et aux besoins des petits- enfants. Finalement, il est important de souligner que les trajectoires de vie des répondantes ne semblent pas avoir ici une influence notable sur l’engagement grand-maternel : que les répondantes aient travaillé ou non dans le domaine public, qu’elles soient socialement impliquées ou non et qu’elles soient en couple ou célibataires, ces facteurs ne semblent pas entraver la conception de leur rôle grand-parental et leur engagement. Ce qui varie cependant, c’est l’ampleur que prend le pôle du care dans les activités du quotidien au regard d’autres pôles d’activités. Nous en discuterons en conclusion de ce chapitre.