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Quatrième partie : les résultats

Chapitre 6. Sens et finalités de l’activité dans l’avancée en âge

6.3 L’agir citoyen : donner, contribuer, combattre

Racontant leur trajectoire et celle de congénères, issues de la génération des baby-boomers, ayant exercé différentes professions nécessitant un certain engagement social (des enseignantes, des travailleuses sociales, etc.), Loraine et Claire considèrent difficilement, après leur sortie de carrière, de vaquer à des occupations essentiellement oisives, axées sur le divertissement et les loisirs. Estimant « qu’on a un rôle à jouer jusqu’à la fin », la perspective d’une retraite remplie essentiellement de loisirs apparaît à Claire comme un « vide », une existence où il « manque quelque chose »; il importe ainsi, selon Loraine, de se questionner sur son apport à la société dans l’avancée en âge :

« Qu’est-ce que tu laisses quand tu vas mourir ? Que va-t-on écrire sur ton épitaphe ? Que tu es allé jouer au golf ? Qu’est-ce que tu as apporté à la société ? J’ai reçu beaucoup, c’est le temps que je donne. […] C’est une philosophie de vie de se dire pendant que tu passes ton temps sur la terre, tu vas faire de quoi avec ce temps-là […], car accumuler des possessions, ça donne rien de toute façon… ». (Loraine, 63 ans, retraitée de l’enseignement)

Se déclarant « un peu anticapitaliste », elle affirme qu’elle sera « toujours passionnée par les droits des femmes », qu’elle cherchera sans cesse à sensibiliser sa communauté aux besoins des gens plus démunis, et ce, « jusqu’à son dernier souffle ». À l’instar de cette dernière, ce sont aussi les valeurs de justice sociale et de bien commun qui forment la trame de fond sur laquelle s’édifie l’engagement social de Marie-Andrée mais, plus encore, l’ensemble de son rapport à l’autre et ses relations au monde. C’est sur le socle de sa foi qu’elle véhicule ses valeurs humanistes, de tolérance, de respect des différences et de réciprocité. Ce sont pour elle des valeurs qui font partie de la citoyenneté, car « défendre la justice sociale, c’est un engagement ». Sa foi, sa spiritualité religieuse, ses valeurs, sa citoyenneté, « tout est relié »

pour elle. Ainsi, l’ensemble de ses activités, que ce soit prendre soin de ses petits-enfants, s’impliquer au sein d’associations religieuses et de mouvements sociaux, d’avoir été déléguée syndicale avant sa sortie de carrière, toutes ces pratiques renvoient au souci de l’autre. « Penser aux autres, c’est un engagement citoyen pour le bien commun d’autres individus. Pas moi, moi, moi, car […] être heureuse toute seule, j’ai de la misère avec ça ».

Cependant, pour rendre tangible cette implication citoyenne pour un monde meilleur, « il faut s’engager parce que la justice sociale ne vient jamais toute seule », rappelle Claire. Le collectif reste nécessaire pour continuer le combat contre les inégalités sociales, car c’est « ensemble que ça peut changer » conclut-elle. Sensibiliser les gens aux enjeux sociaux pour qu’ils s’impliquent nécessite des efforts, il faut « aller les chercher, car tout le monde est débordé, surtout avec des enfants », avoue Christine en exemplifiant son propos par une série de gestes posés dans son quartier pour éviter la fermeture d’un cinéma local, décrier l’ouverture d’un Loblaws, aider la reconstruction d’une cordonnerie, etc. C’est important « de s’impliquer pour faire bouger les choses », ajoute-t-elle, car il s’agit d’un rôle citoyen de faire en sorte que la communauté dans laquelle on vit « bouillonne » et reste un « milieu de vie dynamique ». Estimant dommage le fait que plusieurs personnes ne voient malheureusement pas l’intérêt d’avoir une forme de participation civique, pour Christine, il importe de « donner au suivant », de redonner ce qu’on a reçu comme personne privilégiée dans la vie, surtout après la sortie de carrière :

« On a plus de temps [à la retraite]. Une partie de notre temps, je trouve qu’on doit obligatoirement le retourner à la société. Surtout si on a réussi, je considère qu’il faut redonner. C’est pour ça que je donne du temps comme à [telle et telle autre organisation] […] et mon dieu, c’est juste normal que je fasse ça! […]. Je trouve que c’est important. Moi, j’ai beaucoup reçu de la vie. Il y a des gens qui ont été moins

chanceux que moi, qui sont seuls et isolés… ». (Christine, 63 ans, retraitée du monde de la finance).

Redonner à la société, c’est aussi ce qui anime en partie l’agir bénévole d’Aude, mais non pas parce qu’elle est nantie, au contraire, puisqu’en raison de ses « déboires financiers », elle habite aujourd’hui dans une coopérative et reçoit le supplément de revenu garanti. Se sentant ainsi un peu honteuse devant cette allocation qu’elle dit « ne pas mériter », ses activités bénévoles lui permettent d’avoir « l’impression que ce qu’[elle] reçoit, elle travaille pour » cela. Ce que le « gouvernement lui donne », ajoute-t-elle, « c’est comme si je redonne à la société au centuple ». Travailler pour redonner rencontre aussi la signification que donne Estelle à son activité rémunérée puisque son emploi à temps partiel « sert entièrement à ça ». « Je le redonne, c’est une bonne raison pour travailler » mentionne-t-elle en évoquant qu’elle a « travaillé toute sa vie pour des raisons extérieures », alors maintenant aider un proche ami financièrement, cela a du sens pour elle. « Je ne pourrais pas être assise chez nous en mangeant du caviar tout en pensant que quelqu’un à côté a de la misère à boucler ses fins de mois. Tant que je peux le faire, je vais le faire », nous assure-t-elle.

Finalement, au-delà du don (de son temps, de son argent), il y aussi pour Christine l’idée de contribuer socialement « selon nos compétences », c’est-à-dire par une implication bénévole qui s’inscrit dans la continuité de l’accomplissement de soi, à l’instar du monde du travail. À la retraite, il lui importe donc de continuer à « relever certains défis professionnels », même s’ils sont de plus petites envergures que ceux jadis rencontrés. Mais elle aime « avoir un impact sur le fonctionnement d’une entreprise », car, au final, ce qui la pousse à l’action

bénévole et sociale, « c’est de faire des choses où tu as de la réalisation personnelle, qui te font aller le cerveau […] et où il y a un résultat tangible ».

En définitive, redonner par l’activité liée à la participation civique ou bénévole est posé comme un impératif social, un devoir de citoyenneté, sinon même une obligation pour les répondantes qui bénéficient d’une position statutaire privilégiée, non seulement en termes de ressources matérielles, mais aussi symboliques. Dans ce registre, l’apport à la communauté et, en cela, le sentiment d’appartenance, motivent l’action individuelle, sociale ou sociopolitique, laquelle est alimentée par des valeurs de justice sociale, de partage du bien commun et de la richesse, ainsi que celles liées au don. Également, la notion de réalisation de soi, qui incite aussi à l’implication sociale, rappelle l’importance de la poursuite de pratiques significatives, après la sortie de carrière, afin de garder vivant le sentiment d’avoir une influence dans une sphère d’action précise et dans sa communauté. Enfin, l’engagement social, à l’instar de l’importance accordée au sentiment d’utilité, permet d’échapper à la dérive d’une vie centrée exclusivement sur les loisirs et le plaisir pour soi, là où il y a, pour les répondantes, une perte de sens face à l’existence.