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Deuxième partie

Chapitre 2. Le cadre théorico-conceptuel

2.3 L’analyse critique du discours

Comme son nom l’indique, cette approche met l’accent sur l’étude des discours en relation avec la société (Faiclough et al. 2011). Faisant un pas de côté avec les études axées sur la linguistique, elle se penche plus particulièrement sur la façon dont les relations de pouvoir, à travers les discours, influencent la construction sociale des situations, des expériences individuelles et des problèmes sociaux (Rudman, 2013). Ainsi, les discours ne sont pas simplement appréhendés comme des textes qui décrivent un phénomène, mais plutôt comme une forme d’action sociale qui façonne la manière dont se construit, par exemple, le genre ou le vieillissement dans un contexte sociohistorique donné (Ibid). Compte tenu de leurs effets structurants sur la façon dont les gens et les groupes se définissent et agissent, Faiclough et al. (2011) en parlent comme des formes de « pratiques sociales » :

« CDA sees discourse – language use in speech and writing – as a form of “social practice”. Describing discourse as social practice implies a dialectical relationship between a particular discursive event and the situation(s), institution(s), and social structure(s) which frame it: the discursive event is shaped by them, but it also shapes them. That is, discourse is socially constitutive as well as socially conditioned; it constitutes situations, objects of knowledge, and the social identities of and relationships between people and groups of people (p.358) ».

Même si les discours ne déterminent pas en soi les actions et les pensées des individus – soit la façon dont agissent et pensent les personnes, les rapports de pouvoir, incorporés dans les productions discursives, ont quant à eux un effet tangible sur l’agir et la manière de se penser comme individu, ou encore de définir une situation, un contexte précis. Dans cette perspective, les rapports de pouvoir, constitutifs des discours, expliquent adéquatement comment, ou pourquoi, certains discours s’érigent comme dominants, alors que d’autres restent périphériques ou marginalisés (Rudman, 2013). Prenant acte de l’historicité des discours et, ce faisant de leurs caractères contextuels et culturels, la « CDA focalise ainsi sur la façon dont les discours sont promulgués, confirmés, légitimés, reproduits, ou défiés dans les rapports de pouvoir et de domination circulant dans la société » (Van Dijk, 2001 : 353, traduction libre). Maintenant en outre l’apport « critique » du cadre gérontologique et féministe explicité précédemment, la CDA met en exergue les rapports de pouvoir qui sont véhiculés à travers les discours, lesquels participent à la formation des idéologies et des problèmes sociaux. Par l’intermédiaire de ce processus, se formatent aussi des schèmes discursifs communs et des pratiques sociales qui informent l’action individuelle du quotidien et, in fine, façonnent la réalité sociale des individus.

de l’État, des sciences) (Van Dijk, 2001). Pour répondre à nos objectifs de recherche, nous ne pouvons faire l’économie d’une analyse contextuelle du discours politique normatif dans lequel le vieillissement est dorénavant abordé. Dans le contexte contemporain, le référentiel du vieillissement actif, au Québec et dans les instances internationales, produit un discours positif sur l’avancée en âge en promouvant notamment le « vieillir jeune », en santé, actif et socialement engagé et autonome (Rudman, 2013; 2015; van Dyk, 2014). Les gérontologues critiques appréhendent ce discours sur le vieillissement comme un « ensemble d’idées, de pratiques et de croyances lesquelles, réunies, produisent une vision globale de la société » (Powell et Chamberlain, 2012 : 93, traduction libre). Cet ensemble d’idées et de pratiques diffusent ainsi un « reflet contemporain d’un problème social donné et du groupe d’individus visé » (Grenier, 2012 : 63, traduction libre). Par conséquent, il s’avère essentiel, selon nous, d’adopter un regard critique face au discours politique dominant sur le vieillissement, au regard de paradigmes discursifs sur la vieillesse qui ont changé dans le temps, lesquels définissent, voire normalisent l’avancée en âge et le groupe des personnes aînées :

« This is a tremendous move away from a narrative of dependency and evidences a progressive refinement of the question of ageing and the nature of the “opportunity” it presents. We are told a story of autonomous older people, actively involved in their communities, achieving joy through the return of work and voluntary activities ». (Biggs, 2012 : 97)

Dès lors, le « vieux » et la « vieille » d’autrefois ne sont plus appréhendés comme des « boulets » pour la société, des êtres oisifs et inactifs, car le discours sur l’activation du vieillissement pose les personnes aînées comme des citoyens au plein potentiel, ayant les capacités de choisir leurs activités, mais en privilégiant un mode de vie actif afin de bien vieillir (Van Dyk, 2014 ; Bigg, 2001). Une approche critique du discours politique permet

ainsi d’être attentive aux rapports de pouvoir, compris dans le discours dominant, qui ont traversé le temps et façonné les visions du vieillissement et les catégories d’âge. Ces rapports de pouvoir participent de plus à la (re)construction des dynamiques relatives aux rapports sociaux, dont les rapports de sexe. Ces derniers agissent, non seulement sur les réalités matérielles (ex. la division sexuelle du travail), mais aussi dans l’univers discursif, plus précisément, dans l’idéologie véhiculée à travers le discours politique : « As belief systems, ideologies are competing world views that reflect the social position and structural advantages of their adherents. All political and economic regimes use ideology as the discourse with to communicate and impose a reflection of the dominant social relations » (Estes, 2003: 230).

Précisons finalement que si les dimensions subjectives et interpersonnelles liées à la construction du sens ne peuvent être éludées au profit d’analyses exclusivement structurelles, elles « doivent néanmoins être complétées par une analyse critique des formations systémiques légitimées généralement dans la vie quotidienne, parce qu’elles en soutiennent et facilitent ses aspects importants, comme la communication, le travail, le revenu, le care » (Baars et Phillipson, 2013 : 20, traduction libre). Ces formations systémiques, construites notamment dans les dynamiques relatives aux rapports sociaux (d’âge, de « race », de classe), ne peuvent faire abstraction des dynamiques liées aux rapports sociaux de sexe, posés ici comme catégorie d’analyse structurant les phénomènes sociaux étudiés. En outre, sans pour autant évacuer la parole et l’agentivité des femmes, nous sommes d’avis que l’activité du vieillir est à situer au sein de relations de pouvoir historicisées et contextualisées dans les pratiques discursives dominantes sur le vieillissement.

En conclusion, notre recherche souhaite apporter un éclairage sur les expériences de la citoyenneté « vécue » et active des femmes dans l’avancée en âge à travers l’activité quotidienne et la façon dont elles « performent » - mettent en acte - leurs pratiques « actives » au quotidien. Le cadre théorico-conceptuel développé permet de concevoir autant l’expérience de la citoyenneté que celle du vieillissement comme des constructions sociales, objectivées à travers les discours qui agissent sur les pratiques et leurs significations. Des pratiques aussi produites dans un espace temps, dans un contexte sociohistorique, culturel et politique donné, où se jouent et se rejouent, tant sur les plans macro et micro, des rapports de pouvoir, privilèges et oppressions.