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Troisième partie

Chapitre 3. Le cadre méthodologique

3.9 Les limites de l’étude

« Une recherche n’est jamais achevée » en elle-même puisque la complexité du réel est inépuisable, nous dit Jeffrey (2004: 125). De fait, par-delà le potentiel de nos travaux, à la fois concernant leur « fécondité » (Ibid), pour en inspirer d’autres, et leur « transférabilité » (Goyer, 2004; Sylvain, 2008) à d’autres contextes similaires, quatre principales limites sont identifiées. Sur le plan méthodologique, lorsque nous avons envisagé l’utilisation de la

méthode des récits de vie, au début de notre projet, nous avons pensé qu’il serait possible de revoir les participantes une seconde fois pour leur partager les récits restitués. Nous souhaitions ainsi faire appel aux capacités réflexives des répondantes face aux récits reconstruits (à la fois par elles et par la chercheure). Ce second ou méta regard sur sa propre histoire aurait probablement permis d’enrichir encore davantage le matériau. Toutefois, a

posteriori, vu le temps mis à traiter le matériau, en raison de l’ampleur du corpus ainsi que des

procédés d’analyse laborieux utilisés, retourner sur le terrain en sollicitant une deuxième fois les répondantes pour un tel exercice réflexif s’est avéré impossible selon notre échéancier doctoral. À cet égard, des considérations pragmatiques, d’ordre professionnel et personnel, ont nécessité de mettre un terme à nos travaux, et de produire cette thèse, à l’intérieur d’une période de cinq ans.

Cette limite en interpelle une autre, soit la question de l’interprétation des données et la subjectivité de la chercheure. Si cette question s’applique en réalité à l’ensemble de la recherche qualitative, elle s’avère particulièrement pertinente en ce qui a trait à la méthode des récits de vie. Comme le rappelle Pires (1997 : 193), « la recherche d’un discours ‘vrai’, exempt de biais et à l’abri de toutes influences contextuelles », se rattache à des « conceptions positivistes de la science ». Dans la perspective critique que nous endossons, nous prenons comme postulat qu’il s’avère impossible d’avoir accès au réel, à une vérité ontologique de la réalité sociale. Il ne s’agit donc pas de rendre compte de la réalité objective, mais bien du sens donné aux événements vécus, et ce, dans un contexte de production et d’énonciation donné. Par voie de conséquence, nous estimons que les biais potentiels dans notre recherche résident plutôt dans la relation interviewée-intervieweuse :

« Les interventions, les attitudes et les caractéristiques de l’intervieweur sont susceptibles de marquer les propos de l’interviewé. De même, la perception qu’a l’intervieweur de la position sociale de l’interviewé peut également influer sur ses reparties et, plus globalement, sur la nature de ses interprétations ». (Pires, 1997 : 195).

D’autre part, malgré les efforts mis pour obtenir un échantillon très diversifié, force est de constater, a posteriori, lors de l’analyse des données, que les critères d’échantillonnage choisis n’ont permis que partiellement l’obtention d’un échantillon présentant des « écarts maximaux ». Plus précisément, les caractéristiques établies n’ont pu assurer une intégration satisfaisante des femmes défavorisées. À cet égard, le tableau sociodémographique, présenté au chapitre suivant, montre que sept répondantes (sur 20) détiennent un diplôme d’études secondaires ou pas du tout et que six ont un revenu annuel de 26 000 $ et moins. Toutefois, en raison du capital social cumulé tout au long de la trajectoire, seulement deux d’entre elles vivent aujourd’hui dans des conditions de vie très précaires (près du seuil de pauvreté). Puisque tous résultats de recherche sont conditionnés en amont par la nature de l’échantillon, nous nous sommes ainsi retrouvée, d’une certaine façon, captive de notre échantillon. Autrement dit, au moment de l’analyse de l’activité quotidienne et de ses rapports à la citoyenneté, il s’est avéré ardu d’analyser en profondeur l’impact des rapports de classe. En somme, malgré la diversité des trajectoires des femmes, l’échantillon reste relativement homogène. Cette homogénéité apparaît d’autant plus notable puisque seules des femmes blanches ont été interrogées; le critère de recrutement d’être née au Québec a certainement réduit les possibilités de rencontrer des femmes racisées mais, d’un autre côté, il a été posé afin de rencontrer des femmes ayant vécu sous un même « effet » générationnel, soit la Révolution tranquille et les changements sociaux de cette époque. Dans cet ordre d’idées, concernant les catégories de genre socialement et politiquement construites, la présente

recherche laisse de côté, la conception de l’activité dans le vieillir, son sens et ses liens avec la citoyenneté active sur une population d’hommes aînés. La même réflexion s’applique également aux populations aînées immigrantes ou d’origines ethnoculturelles variées.

Finalement, la dernière limite que nous identifions est plutôt d’ordre théorique, c’est-à-dire qu’elle concerne le choix de notre posture et grille d’analyse du phénomène étudié. Rappelons à cet égard que les considérations théorico-conceptuelles empruntées orientent toujours le regard de la chercheure sur certains phénomènes, au détriment d’autres. Les propos de Ray illustrent avec éloquence ces enjeux entourant les limites d’un cadre épistémologique critique :

« Critical theories stand in opposition to established ways of knowing and making knowledge, focusing on what missing, ignored, and denied in them. Gerontology needs theory to construct the meaning, but it also needs critical theory to remind us that all theories are partial, that other meaning are always possible, that meaning-making itself in an exercice of power and authority, and that we promote some meaning at the expense of others ». (Ray, 2003 : 34)

Chapitre 4. Contexte, profils et récits des répondantes

Avant d’entrer au cœur des résultats de la thèse, ce court chapitre propose d’abord une synthèse du contexte sociohistorique dans lequel s’inscrivent les récits de vie réalisés. Ensuite, nous détaillons le profil sociodémographique des répondantes, lequel a résulté de la méthode d’échantillonnage explicitée plus haut. Nous terminons ce chapitre en présentant cinq restitutions « types » de récits de vie.

4.1 Le contexte sociohistorique de la production narrative

Nées entre 1943 et 1953, toutes les répondantes appartiennent à la génération du « baby- boom », une génération sociale aux conditions et modes de vie jusque-là inédits, comparativement aux générations antérieures. Sous la toile de fond d’une Révolution

tranquille, elles ont ainsi connu un contexte social très différent de celui de leurs parents et

grands-parents (Gauthier, 2003; Attias-Donfut, 2000). Au Québec, et ailleurs dans le monde, révolutions, mouvements d’émancipation et Fronts de libération (des femmes, des Noirs, des Algériens, des Québécois, etc.) représentent en réalité des « événements fondateurs » qui marquent le « temps historique » (Mauger, 2009) dans lequel prennent forme les récits de vie recueillis.

Les mutations au Québec ont donc été nombreuses, à commencer par la « double transformation » du monde du travail et de la famille (Attias-Donfut, 2009) : entrée massive des femmes sur le marché du travail, amenant ainsi la féminisation du marché de l’emploi,