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Les enfants : de l’amour sincère comme lien ontologique à la vie

Quatrième partie : les résultats

Chapitre 6. Sens et finalités de l’activité dans l’avancée en âge

6.1 Les enfants : de l’amour sincère comme lien ontologique à la vie

« Mes fils, c’est ma richesse, je ne pourrais pas me passer d’eux, […] j’ai besoin de leur amour ». Proche de ses enfants, Pauline évoque être privilégiée d’avoir de belles relations avec ces fils et avec ses petits-enfants. Comme d’autres répondantes très actives dans le pôle de

care, leurs pratiques expriment non seulement le désir de maintenir « un lien afin de ne pas

perdre de vue » les proches descendants, mais plus encore, à un besoin ontologique, intrinsèque à leur être, d’affection filiale vécue dans la réciprocité et la mutualité. Des rapports familiaux « indissociables de mon bonheur et de mon équilibre », confie en ce sens Suzanne, en racontant à quel point la naissance de son petit-fils a eu aussi un impact considérable dans son bien-être quotidien, dans « sa vie assez linéaire », loin de « l’apothéose ». Ses activités hebdomadaires et celles de soin réalisées avec son petit-fils lui permettent de toucher,

d’approcher cette « authenticité » qu’elle recherche dans ses relations interpersonnelles, car « la venue d’un enfant, c’est comme un départ, quelque chose de neuf, […] c’est de l’amour vraiment, sans rien de toxique ».

Dans cette logique, Michelle, qui renoue avec sa famille depuis son retour du Nord, estime avoir des relations véritables avec ses petits-enfants, dénuées de tous préjugés. Ils se découvrent et apprennent à se connaître mutuellement; ils la prennent « comme elle est », ce qui n’est pas nécessairement le cas de son fils et de sa belle-fille, précise-t-elle. Des « relations vraies » qui « passent maintenant avant toute autre chose ». Bien qu’elle souhaite faire davantage partie de la vie de ses petits-enfants, elle n’endosse néanmoins pas un rôle de grand- maternage aussi saillant et prédominant dans les activités de la vie quotidienne, que Suzanne et quelques autres participantes. Pourtant, de la même façon que ces dernières, sans les liens avec sa famille dans ce moment charnière, elle serait une « âme sans cœur », vide d’affectivité, sans port d’attache. Ce lien d’amour immanent à la vie ramène à l’essentiel, aux « choses vraies », en opposition aux artifices et faux-semblants de la société. Dans cette logique, Suzanne caractérise les rapports à ses enfants et son petit-fils comme « son fil d’or » qui la maintient dans le monde :

« Mes enfants et mon petit-fils, ils font vraiment partie de mon bonheur […] ça me ramène à quelque chose qui est vrai […]. C’est mon fil d’or, c’est ce que j’ai de plus beau. Le fil magique qui te relie à ton cœur, à ton désir de toujours poursuivre, de communiquer avec les autres. Si je n’avais pas ça, je te jure, je serais vraiment comme une cellule oubliée, […] je pense que le goût de vivre ne serait plus là. » (Suzanne, 60 ans, artiste-peintre)

Par-delà le besoin d’ancrage dans le giron familial, les relations aux enfants et petits-enfants véhiculent, en l’occurrence, un rapport au monde qui prend forme d’abord dans le domaine de

l’intime, à savoir dans cet engagement grand-maternel. « Si les garçons n’étaient pas là, qu’est-ce que je ferais, hein ? Tu sais, ce sont mes hommes, mes petits-hommes » évoque Marie illustrant par-là l’importance d’avoir cette promiscuité quotidienne avec ses petits-fils pour donner un sens à sa vie et à sa continuité. « Avoir des enfants, c’est une raison de vivre ! », s’exprime en ce sens Françoise, relatant une conversation tenue avec son fils. Les enfants, c’est « le premier engagement dans la vie, plus que le travail […], si mes enfants n’étaient pas là, je n’aurai pas réalisé ma vie », poursuit-elle. Maintenant retraitée, sa descendance représente ainsi « son projet de retraite ». C’est avec la même intensité qu’Odette révèle que ses « filles ont toujours été sa raison de vivre, […] son plus grand succès que […], même la maladie n’est pas venue au bout de ça ! », clame-t-elle en faisant référence à la force de leur relation mère-fille, qui a participé à l’amélioration de sa santé. Sensible au déménagement de l’une d’elle et de son éloignement géographique avec sa petite-fille, elle sait qu’elle devra combler ce « vide laissé » et tenter de « se construire une vie en dehors de la possibilité de voir ses enfants ».

Cette idée du vide créé par le départ des enfants de la maison ou de leur éloignement géographique résonne aussi dans le récit de Francine qui voit rarement son petit-fils adolescent. Adorant les enfants, ses pratiques de care, au contraire des répondantes ci-dessus, ne se cristallisent pas dans les engagements familiaux, qu’ils soient constants ou plus discontinus, mais à travers le pôle du travail. Accomplissant toujours un métier du care à 67 ans, son activité comme éducatrice d’enfants revêt cependant une signification similaire à celles des répondantes précédentes, particulièrement dans la logique cet amour sincère avec les enfants, qui se déploie dans un ici et maintenant :

« Bon, je ne le vois pas souvent [mon petit-fils] mais je me paye la traite à tous les jours avec les bébés à la garderie. […] J’ai souvent dit que ma mission sur la terre, c’est d’aimer les enfants, je suis venue ici pour les enfants. Quand je suis en contact avec eux, je suis sur un nuage, […] c’est une grande famille, c’est de l’amour pur les enfants, et c’est un bon exemple de [l’importance de] l’instant présent ». (Francine, 67 ans, éducatrice en garderie)

Ainsi, les raisons qui animent l’agir quotidien de Francine, soit celui de rester en emploi, et celui des répondantes engagées au sein de pratiques de care intrafamilial, se matérialisent dans les relations aux enfants, ce qu’elles procurent comme émotion (joie, bonheur, amour) et représentent sur le plan relationnel et symbolique (authenticité, pureté, immédiateté du lien social). Toutefois, lorsque celles-ci s’inscrivent dans la filiation générationnelle, marquant au surplus la continuité généalogique, les relations intergénérationnelles intrafamiliales représentent « le haut de pyramide », pour reprendre les mots de Suzanne. Pourtant, rappelle Pauline, « c’est une responsabilité de mettre des enfants au monde » : en dépit de l’affectivité et du plaisir qu’ils nourrissent au quotidien, c’est des « gros sacrifices ». En ce sens pour elle, comme pour la majorité des répondantes, qu’elles soient très engagées dans le care ou non, avoir eu des enfants, en faire des « citoyens responsables » et des « bons parents », c’est davantage qu’une fierté, c’est une forme de contribution sociale. Ce qui diffère cependant, c’est lorsque le soin et la présence à la descendance constituent un pôle prédominant dans les activités quotidiennes. La disponibilité indéfectible offerte à la proche parentèle représente, en réalité, la « plus grande contribution » de Pauline et d’autres comme Françoise; toutes deux prenant en haute considération la responsabilité d’être grand-mère.

En résumé, les relations aux enfants apparaissent ainsi être irréductibles aux autres dimensions relationnelles de la vie, en raison de cette essence de l’affect, dépouillée de toute velléité que

peut révéler l’humain en relation. C’est cet amour sincère qui donne vie au pôle du care et anime les pratiques de soin des répondantes engagées au sein de la fratrie. Il n’est pas, par ailleurs, exclusif au domaine intrafamilial, car il représente également, pour une répondante travaillant auprès des enfants, le socle sur lequel s’enracine son maintien dans l’activité rémunérée.