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Ambiguïtés, résistances et tensions autour d’une trame discursive dominante

Quatrième partie : les résultats

Chapitre 7. Ambiguïtés, résistances et tensions autour d’une trame discursive dominante

Au regard des chapitres précédents, nos avons montré que travailler plus longtemps, participer socialement à la vie communautaire, assurer le soin, l’aide et le soutien aux proches dans les fratries, et enfin, se maintenir en bonne santé le plus longtemps possible via l’activité physique s’érigent comme des pratiques qui composent, non seulement l’activité quotidienne des participantes, mais qui construisent aussi leur vieillir « actif ». Nous pouvons dès lors constater que les répondantes intériorisent en grande partie le discours normatif sur le vieillir actif au Québec. Par exemple, il ne fait plus nul doute, pour ces dernières, qu’il y a une forte corrélation entre l’activité physique et la santé dans l’avancée en âge.

Cette dernière section vise, quant à elle, à étudier différentes logiques qui traduisent des ambiguïtés, tensions et résistances qui s’insèrent dans la trame narrative des répondantes au regard de ce discours normatif du vieillissement actif. La première logique présentée rend compte de résistances quant à l’adhérence à certains pôles d’activités, particulièrement celui de la participation civique et bénévole, ainsi que du travail. La seconde révèle des tensions entre ce que l’on voudrait faire pour être « réellement active » et la réalité quotidienne vécue qui rend un vieillir actif normatif difficilement possible. La dernière logique décrite s’insère plutôt dans une perspective de désirabilité sociale qui dévoile de l’ambiguïté face aux pratiques définies comme actives. En conclusion, nous synthétisons l’analyse réalisée, parachevons les finalités de l’action quotidienne qui ont été élaborées dans le chapitre précédent et, le cas échéant, les quêtes existentielles qui les sous-tendent.

7.1 Une logique de résistance

« J’ai assez donné » est un adage récurrent dans les témoignages de femmes, qui illustre avec acuité leur résistance face à certains pôles d’activités. Le premier qui est réfuté est celui de la participation civique et bénévole : plusieurs ne souhaitent pas s’impliquer au sein de ce type d'activités après la sortie de carrière. Ces formes d’engagement sont appréhendées comme un investissement qui viendra « trop » aspirer le temps libéré par la fin de l’activité professionnelle. L’univers de l’emploi a souvent été vécu comme un monde de « deadlines », de performance, associé à un trop plein de stress vécu, sinon de fatigue accumulée. Par voie de conséquence, la vie active d’avant la sortie d’emploi, et souvent le rythme effréné engendré par les dynamiques de l’articulation famille et travail, sont posés comme des arguments pour refuser de s’engager au sein d’associations, ou de pratiques bénévoles, surtout dans un cadre organisé. « Dans mon travail, je n’ai pas eu peur de donner mon temps, […] de rester plus longtemps le soir, à l’écoute des gens », raconte Pauline depuis à la retraite, « j’ai décidé de garder mes énergies pour moi […], j’ai déjà donné et je n’ai pas assez de temps pour aller en donner » ajoute-t-elle. Se considérant comme une femme active, mais qui doit prendre soin de sa santé en raison de sa maladie chronique, elle nous confie qu’elle pourrait probablement « en faire plus », mais souhaite aller à son rythme et, surtout, de ne plus être assujettie à faire quoi que ce soit : « c’est ça que j’aime à la retraite, […] rien ne devient une obligation. La seule obligation que j’ai dans la vie, c’est de manger pour vivre! ». Pour Pauline, la retraite représente, en réalité, le moment pour profiter de sa deuxième union, s’estimant « chanceuse » d’avoir eu l’occasion de « refaire sa vie dans la cinquantaine »; les activités de loisirs avec son conjoint et celles de care prodiguées à ses petits-enfants représentent en fait ses priorités de vie et projets d’avenir. Dans cette perspective, le récit de Michelle sur ses activités du

quotidien sont aussi mises en relation avec cette idée que « la retraite, ça sert à faire des choses qu’on aime ». Pour illustrer son propos, elle nous prend à partie :

« Comme toi, tu as eu ta semaine à Montréal. Puis là, c’est samedi, tu continues à travailler. […] Moi, je ne veux plus de ces affaires-là. Je veux prendre le temps. Toi, tu es encore dans un cadre, tu n’as pas le choix, tu es obligée de faire ça. Mais prendre sa retraite, c’est sortir de ce cadre-là, qui demande quand même énormément d’énergie. […] Et j’en ai fait du bénévolat toute ma vie, je ne veux plus rien savoir…». (Michelle, 67 ans, retraitée du secteur de la santé).

Réfractaire à toutes activités bénévoles qui rappellent de près ou de loin le milieu de la santé, elle ne rejette cependant pas tous types d’activités communautaires, mais sa priorité consiste à « refaire ses racines » dans sa ville d’accueil. Rappelons que le retour en milieu urbain, au moment de l’entrée dans la retraite, constitue pour Michelle une transition biographique importante, provoquant « un choc ». Par voie de conséquence, en revenant dans une ville plus ou moins familière, Michèle a l’impression d’avoir perdu « ses racines »; elle ne savait plus « qui elle était » à son retour en ville, elle, une ex-infirmière arrivée du Grand Nord, « la Blanche que tout le monde connaissait là-bas », mais une inconnue dans ce nouveau lieu où elle « n’est plus rien », seulement Michèle, une femme qui a vieilli, « aux cheveux blancs ». Elle se questionne sur son rôle à jouer comme « femme de 67 ans ayant une expérience de vie et quelque chose à donner », mais ne sait pas précisément quoi. Elle ressent ainsi la nécessité de développer des liens sociaux, mais à son rythme. Ayant récemment reçu une offre d’emploi à temps partiel d’un maraîcher, elle pense que de travailler dans un marché public pourrait répondre au besoin de se sentir davantage partie prenante de la communauté, nous confie-t-elle. Elle préfère ainsi travailler que de s’impliquer dans l’action bénévole, elle ne voit pas nécessairement comme une pratique pouvant créer du lien social, mais plutôt comme étant liée uniquement au don (de soi, de son temps), ce qu’elle réfute avec vigueur. En