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Quatrième partie : les résultats

Chapitre 5. Pôles et figures de l’activité dans le vieillir

5.1. Le souci des autres : des pratiques de care

5.1.3 La sollicitude appliquée au quotidien

Dans ce dernier cas de figure analysant l’activité par le pôle du care, certains récits rendent compte de pratiques quotidiennes, de « petits gestes » divers qu’accomplissent les répondantes et qui témoignent de leur engagement et de leur sollicitude envers un autre. À la différence des répondantes se percevant comme une proche aidante, elles décrivent leurs pratiques dans une perspective « de rendre service ». « Offrir mes services aux autres quand je peux aider, ça fait partie de ma nature », déclare Nicole, artiste peintre. Qu’il s’agisse de sa proche amie qu’elle visite à l’hôpital, ou de rendre service à d’autres personnes qu’elle connaît, « ça fait partie de sa façon de vivre » et cela influence l’organisation de ses temps sociaux comme travailleuse autonome. En ce sens, les activités de care ne sont pas déployées de façon constante dans le

temps, ni avec la même intensité; elles s’ajustent aux besoins de la personne aidée, « dépannée », et peuvent ainsi jouer sur divers registres du care. Estelle exemplifie aussi cette dimension de l’aide à l’autre qui l’occupe hebdomadairement:

« [Parlant de l’aide qu’elle apporte à un ami en reconduisant ses enfants à l’école] Si je me suis engagée, c’est pour les enfants au départ…Et aider les autres, c’est comme si c’était built-in [construit], j’ai fait ça depuis que je suis jeune, mais là, je peux arrêter, ce n’est pas la même chose, c’est consciemment que je m’engage là-dedans, c’est un choix ». (Estelle, 62 ans, retraitée de la fonction publique)

En l’occurrence, les pratiques de care ne visent pas à combler un besoin personnel, une carence dans les activités quotidiennes, elles ne sont non plus pas tant soutenues par l’affect dans la relation au proche (comparativement aux pratiques grand-parentales). De même, elles ne sont pas appréhendées comme une contrainte, à l’instar de l’agir comme proche aidante où s’imbriquent le sentiment d’obligation et la dimension affective, mais bien comme un choix, rationnellement fait pour être en consonance cognitive avec la vision du monde entretenue, et ce, même si l’activité de care exercée exige un certain effort, comme le rappelle également Christine, offrant de l’aide occasionnelle à sa grand-tante qui habite en périphérie de la région montréalaise :

« Des fois, ça ne fait pas du tout mon affaire de descendre là, mais […] je vais m’occuper d’elle un peu. […]. C’est sûr que dans cette relation, je ne reçois pas beaucoup. Mais ça me fait plaisir de le faire, c’est un peu la normalité des choses. […] Même si elle n’a pas été vraiment importante dans ma vie. […] Au fond, c’est comme la chaîne de la vie, avec les plus vieux, puis les plus petits. […] Je trouve que c’est naturel. Avant, tout le monde était ensemble et c’était normal de s’aider ». (Christine, 63 ans, retraitée du domaine de la finance)

À l’inverse, les pratiques de soin et de sollicitude réalisées par Marie, à l’égard de deux femmes aînées handicapées, sont animées par l’affectivité relationnelle. Régulièrement, elle

les reçoit chez elle, elles jouent aux cartes et vont au bingo. Elle les aide aussi pour leurs besoins quotidiens (toilette, cuisine, etc.). « J’adore ça ! », s’exclame-t-elle en ajoutant « [qu’elle] les aime, [que] ça fait 30 ans qu’[elle] les connaît ». Qui plus est, elle comprend leur situation puisqu’elle a, elle aussi, été très malade. Enfin, le récit de Marie-Andrée met en exergue une autre dynamique de sollicitude du quotidien : l’aide apportée à l’autre ne vise pas seulement le proche et l’entourage; elle s’étend aux voisinages et même inconnus, aux gens croisés au hasard dans les activités du quotidien. Pour illustrer son propos sur la sollicitude et l’aide portées à autrui, elle raconte le soutien apporté à un jeune homme en détresse, qu’elle croisait à l’occasion dans son quartier, mais qu’elle connaissait à peine. Ce dernier a sonné chez elle durant la nuit pour demander de l’aide :

« Une nuit, ce jeune homme, que je connaissais comme ça, […] est venu sonner à 3 heures du matin ici. Il était ivre puis il a dit : ‘Je viens sonner pour ne pas me suicider’. On lui a ouvert la porte...et on a parlé jusqu’à 7 heures du matin, […]. Puis là, j’ai dit : ‘je te garde à coucher, je ne veux pas que tu repartes chez toi tout seul’. […] Je lui ai tenu la main pendant une heure […] puis il s’est endormi. […] J’ai encore des contacts avec lui, puis il va bien, mais il est revenu deux autres fois au courant de la nuit ». (Marie-Andrée, 64 ans, retraitée du secteur de l’enseignement)

Elle ajoute qu’il ne s’agit pas seulement de « donner du service aux autres », mais de faire en sorte que « les gens autour de soi », même ceux rencontrés au hasard, « se sentent importants, donc il s’agit de les remettre debout ». Avoir le souci de l’autre transcende ici l’instrumentalité

a priori contenue dans l’idée du « rendre service ». Plus encore, il apparaît sous-tendu par une

forme de sollicitude qui s’étendrait à l’entièreté de la communauté, un peu à l’image d’une communauté de soin (care’community). Enfin, dans ce dernier cas de figure, les pratiques de

care des répondantes, ces « petits gestes » du quotidien, restent tributaires des représentations

mettre en œuvre ces pratiques d’attention et de soin envers autrui. Nous en discuterons plus en détail au chapitre suivant.

En résumé, ces trois cas de figure décrits, soit les soins donnés comme proche aidant, l’engagement au sein de pratiques grands-parentales et, enfin, la sollicitude des petits gestes, composent le pôle d’activité du care. À la fois disposition, attitude de sollicitude et d’engagement envers autrui, le care devient surtout ici objet de pratiques qui « activent » le quotidien des répondantes dans l’avancée en âge. Notons finalement que quelles que soit les figures de care endossées, le statut socioéconomique ne semble pas influencer l’importance de ce pôle dans la vie des répondantes, ni le temps qu’elles y consacrent. C’est davantage le fait d’investir d’autres pôles d’activités qui intervient dans la répartition des temps sociaux. Nous nous attarderons avec plus de précisions aux dynamiques du care au chapitre huit, dans le cadre de notre discussion sur la citoyenneté sociale des répondantes.