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Troisième partie

Chapitre 3. Le cadre méthodologique

3.7 Méthode d’analyse des données

3.7.1 L’analyse verticale des récits

Après que toutes les entrevues aient été enregistrées et transcrites intégralement, la première étape a consisté à la « lecture flottante », en vue d’entrer en contact avec le matériau, par l’écoute ou la relecture des verbatim, afin de laisser émerger les impressions, les hypothèses théoriques ou encore les techniques d’analyse qui pourraient être mises en place (Barbin, 1998). La deuxième étape, plus complexe, avait pour objectif la déconstruction et reconstruction des données (Paillé et Muchielli, 2012). Elle se décline en trois temps distincts. Dans un premier temps, dans un gabarit construit sous forme de tableau pour insérer le verbatim, nous avons réalisé une codification de chaque récit, à la lumière des « différents ordres de réalités » évoqués par Bertaux (2010 : 74) : soit la réalité historico-empirique qui comprend les faits, les événements, les épisodes structurels du récit localisé dans un espace

spatio-temporel précis. Le second niveau de « codage » représente la « réalité discursive », soit le discours tel qu’il se produit ce jour-là dans la rencontre avec l’interlocutrice : ce sont les thèses, les arguments, les propositions qui donnent les significations au récit. Enfin, le dernier niveau renvoie à la réflexivité du sujet sur son propre récit : c’est la « réalité psychique et sémantique », à savoir ce que le sujet retire, dans une « totalité réflexive », de ses expériences de vie, de sa trajectoire; autrement dit, le méta regard qu’il pose sur son existence. Ainsi, un peu à l’image d’une analyse structurale, nous avons découpé tout le verbatim de chaque récit sous forme de segments, nommés comme suit : RE (réalité empirique); RD (réalité discursive) et RF (réalité réflexive). Le tableau I (voir l’annexe 1) illustre l’exercice de codage réalisé à cette étape-ci.

Dans un deuxième temps, nous avons extirpé des verbatim ainsi codés tous les segments relatifs aux faits (RE - réalité empirique) afin de restituer diachroniquement, dans un autre document, la trame de la vie quotidienne dans laquelle s’organise l’action et se déploient les pratiques concrètes. Ainsi, en conservant la verticalité de chaque témoignage, nous avons reconstruit un récit concernant essentiellement la description de l’organisation quotidienne, les activités et les contextes dans lesquels elles prennent forme. Ces récits restitués – nous en présentons cinq au chapitre suivant – révèlent aussi les transitions biographiques des répondantes (notamment la sortie de carrière) ainsi que des moments marquants dans leur trajectoire respective (par exemple, la naissance des petits-enfants).

Dans un troisième temps, nous nous sommes penchée sur les deux autres types segments codés qui se rapportaient aux niveaux discursif et réflexif des récits. Traités de façon

concomitante, ces deux types de segments ont aussi été extraits du verbatim codé (RD - réalité discursive et RF - réalité réflexive), et classés sous des grandes rubriques58. Souhaitant ordonner le corpus segmenté pour le reconstruire, cinq rubriques ont été fabriquées. Les trois premières rubriques créées renvoient aux « mondes sociaux » (Bertaux, 2010) des répondantes, à savoir l’univers du privé-domestique, l’univers familial et l’univers social. Les arguments, les explicitations, les raisons, etc., sous-jacentes aux pratiques racontées et relatifs à chacun de ces mondes sociaux, y ont été répartis. Les deux autres rubriques mises sur pied concernent la construction des univers de sens des répondantes, afin de permettre « l’analyse de la structuration symbolique du monde proposé par le discours en question » (Keller, 2007 : 299). Elles se rapportent respectivement à la résonnance des pratiques jugées actives du quotidien ainsi qu’au sentiment d’appartenance et apport (rôle, place ou contribution) à la société. Ces dernières rubriques ont donc permis de ranger les segments relatifs aux significations subjectives d’être active, les finalités de l’action et leurs liens quant au sentiment d’appartenance et de contribution à la société. Finalement, en procédant à cet exercice, une sixième rubrique a émergé du matériau, soit celle de la retraite-vieillissement. Le tableau II, présenté ci-dessous (et aussi en annexe 2), schématise les six rubriques construites au regard des axes narratifs mobilisés dans les récits et des objectifs de la recherche.

58 Paillé et Muchielli (2012 : 18-19) définissent une rubrique comme suit : « (…) renvoie à ce dont il est question

dans l’extrait tiré du corpus [ou du verbatim] mais ne renseigne en aucune façon sur ce qui a été dit à ce propos. La rubrique permet d’étiqueter un extrait, d’indiquer que le répondant aborde ce sujet dans l’entretien […] et de procéder à un premier classement dans des fiches, des documents, etc. ». Cette précision s’impose puisque les termes rubriques et catégories sont souvent confondus dans les descriptions méthodologiques.

Tableau II. Reconstruction des données : Mise en forme de la trame discursive et réflexive des récits

La nature des pratiques et les contextes d’activités : travail, famille, loisirs, bénévolat, etc. Les pratiques jugées actives et les conceptions d’être une « femme active » Sens et signification des pratiques de la vie quotidienne Sentiment d’appartenance, rôle et contribution à la communauté ou à la société

1. Étudier la nature des pratiques dites

actives accomplies dans la vie quotidienne, à savoir dans quelle mesure les participantes se considèrent comme des femmes actives 2. Comprendre le sens et les significations des activités accomplies dans la vie quotidienne au regard de la construction d’un sentiment d’appartenance à la société 3. Identifier et analyser les zones de tensions,

d’ambiguïtés ou de

résistances entre le discours dominant sur le vieillir actif au Québec et les

constructions empiriques des femmes du vieillir actif et de leurs rapports à la citoyenneté « vécue »

Dimensions discursives de restitution des récits – la mise en intrigue

1. Les évènements marquants de la trajectoire (catégorie émergente) - La retraite : une catégorie de situation commune (Bertaux)

- Vieillir : réflexions psychiques; métaregard sur cette période de vie dans la trajectoire

2. L’univers du privé/domestique

- Activités accomplies dans le privé - Dans la cellule conjugale

- Comme proche aidante, le cas échéant, etc. 3. L’univers familial

- Les relations familiales et intergénérationnelles - Rôle et sens de la grand-maternité

4. L’univers social - Le réseau social

- Les activités de loisirs/sportives

- Les activités bénévoles/de participation civique 5. Résonnance des pratiques décrites comme actives

- Quel sens? Quelle signification ?

6. Sentiment d’appartenance et apport à la société

- Lien entre sens des pratiques et place, rôle ou contribution à la société

En somme, cette étape de condensation de données (Miles et Huberman, 2003) nous a permis d’obtenir une lecture riche, en profondeur, de chacun des récits et, en cela, à trouver la cohérence interne des discours (Savoie-Zajc, 2007), c’est-à-dire ce qui est central et

Axes de narration dans les récits

Objectifs de la chercheure

périphérique, contradictoire, récurrent, etc. Ce faisant, a émergé une analyse dialogique des récits, révélant la nature des messages produits dans le discours et la description des contenus ainsi que la recherche du sens signifié par les actrices, et ce, à la lumière d’un contexte donné de production. À cette étape-ci, nous avions atteint les deux premiers niveaux d’inférence analytique recherchés, soit ceux de l’ordre de la description des pratiques et de la compréhension du sens de l’action.