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Troisième partie

Chapitre 3. Le cadre méthodologique

3.4 La procédure de collecte des données

3.4.3 Le déroulement des récits de vie

L’entrevue récit de vie se caractérise davantage par une technique d’entretien non dirigé (Demazière, 2011; Bertaux, 2010), alors que le récit centré sur l’activité nécessite généralement une technique d’entrevue semi-dirigée (Bruchez et al., 2007). Pour notre part, nous nous sommes inspirée des deux types d’entretien, c’est-à-dire qu’empruntant à la méthode biographique dans une visée descriptive, nous avons surtout opté pour une attitude non directive, mais avons joué, selon le déroulement du récit, et de sa construction à travers la relation dialogique, un rôle de « guide », en utilisant quelques questions caractérisant un entretien sur le « faire »,55 et d’autres, visant à étayer les contextes d’action dans lesquels se déroule la narration afin d’enrichir les descriptions discursives (Bertaux, 2010). Comme le proposent Olivier et Tremblay (2000) lors d’entrevues non dirigées, nous nous sommes laissée porter par le rythme impulsé par les sujets, jouant un rôle minimal dans le contrôle de l’entrevue, notamment durant sa première partie. Ouvrant l’entretien par une question d’introduction qui offre l’opportunité à l’interlocutrice de prendre la direction souhaitée – « Pouvez-vous me raconter à quoi vous vous occupez au courant d’une semaine ? » – l’objectif était de se « laisser instruire » par les récits avant de se « les approprier » (Paillé et Muchielli, 2012 : 141). Plusieurs répondantes ont ainsi décrit précisément un horaire « type » d’une journée, passant d’une activité à une autre, alors que d’autres ont choisi d’évoquer, sur une sorte de registre thématique de l’activité du quotidien, divers univers de pratiques (par exemple, ce qui concerne les enfants et les petits-enfants d’abord et ensuite, les activités de participation civique ou bénévole, etc.). Lorsque les répondantes marquaient une finalité dans

55 Par exemple, une question typique inspirée du texte de Bunchez et al. (2007) : « Si je dois vous remplacer

leurs phrases ou propos (comme pour signifier qu’elles attendaient une prochaine question), nous avons surtout guidé la poursuite des récits autour du « comment » et du « en quoi » ceci ou cela est important, fait sens dans la vie quotidienne et l’avancée en âge.

La deuxième partie de l’entretien visait davantage sur le caractère, l’importance, de ces activités du quotidien dans le vieillissement, au regard de leurs propres conceptions, et de sa résonnance dans leurs réalités sociales. Souvent, cela a permis d’ouvrir les récits sur leurs rôles ou leurs contributions dans la communauté; sinon, dans une logique interactive et à partir de ce qui avait été raconté, nous relancions les participantes sur ce registre du sens de l’action. En nous dirigeant vers la conclusion de l’entrevue, nous revenions, au besoin, sur certaines dimensions peu élaborées ou encore, qui n’avaient pas été discutées jusque-là. Vingt entrevues ont ainsi été conduites dans cette perspective d’entonnoir, laissant d’abord toute la latitude possible aux interlocutrices de se raconter puis, graduellement, tout en se faisant porter par la trame discursive, en recentrant doucement les entretiens sur les dimensions construites au regard des objectifs de recherche. Soulignons qu’un canevas d’entrevue a d’abord été construit. Ce guide, comme ce nom l’indique, a plutôt servi à nous offrir un cadre a priori pour accompagner les récits mais, au cours des entretiens, les sous-questions se sont surtout développées dans la relation dialogisante et, en ce sens, comme le rappelle Kauffman (2004), à partir des propos des femmes interviewées.

Nous l’avons mentionné, les récits visaient la narration de l’agir dans le moment présent. Néanmoins, pour se raconter dans l’ici et maintenant, les répondantes ont rappelé plusieurs

épisodes de la trajectoire antérieure (par exemple, la sortie de carrière, leur vie active liée aux mondes du travail et de la famille, leur divorce, etc.). Par ces allers-retours entre le passé et le présent, nous avons eu accès à des épisodes cruciaux de la vie individuelle de ces femmes, à des moments charnières donnant lieu à des transitions biographiques singulières, lesquelles ont influencé l’activité d’aujourd’hui ou, encore, le sens des pratiques investies. S’étirant sur des périodes de temps assez variables, les entrevues ont duré entre deux et quatre heures56 et, en

moyenne, plusieurs répondantes ont poursuivi avec entrain leur récit pendant deux heures et demie, trois heures consécutives. Parfois, des questions d’ordre personnel nous ont été posées (ex. : si nous avions des enfants, un chien...), ce qui a contribué à maintenir le fil de leur narration, tout en construisant un espace où les répondantes se sont senties à l’aise de dévoiler leur vie ou une partie de celle-ci. En revanche, pour certaines répondantes, il fut difficile de se raconter, car elles considéraient que leur vie quotidienne était composée de « peu », de « petits riens ». Or, il est possible que ces participantes, devant les représentations de sens commun véhiculant des images de personnes aînées qui se « réalisent encore », accomplissent de « grandes-choses » (voyages autour du monde, se lancent en politique, etc.), évaluent leurs actions quotidiennes au regard de ces images positives de « l’âge d’or ». Conséquemment, l’action quotidienne peut apparaître banale à raconter si on ne considère pas avoir fait ou « faire de sa vie une œuvre éclatante », selon l’expression métaphorique de Foucault (citée dans Mozère (2004: 12). Ardu également d’accéder à l’univers de sens des actions de ces quelques répondantes, non pas parce qu’elles manquent de réflexivité, mais surtout, nous en faisons l’hypothèse, parce que leurs trajectoires ont été marquées par des conditions de vie pénibles (la maladie, la pauvreté, la solitude, etc.). En ce sens, lorsque les ressources

symboliques ont été construites dans l’adversité, au cours de la trajectoire, faire preuve d’introspection sur les finalités de l’agir dans l’avancée en âge peut apparaître comme une dimension à laquelle on s’est peu attardé, voire impertinente, parce que les pratiques sont orientées vers la survie (sur les plans matériel et psychologique). Il fut ainsi nécessaire de réduire au maximum la longueur des questions, de les départir de toute complexité et, surtout, de trouver les bons mots et la bonne distance pour favoriser la poursuite du récit et privilégier « la souveraineté première de l’[actrice] » sur sa narration (Paillé et Muchielli, 2012). Cet exercice peut, de prime abord, apparaître simple, mais ô combien éprouvant dans certains cas pour la chercheure en quête de bonnes réponses, répondant aux objectifs fixés. La stratégie privilégiée fut d’éviter d’interrompre la narration, peu importe le chemin que prenait le récit, en reformulant des questions en boucle, mais plutôt d’essayer de se laisser imprégner par la construction du récit et, ce faisant, de saisir les occasions « de relance » qu’offrait la relation dialogisante dans le temps.

En terminant, précisons que la plupart des entrevues ont été conduites dans l’environnement naturel des répondantes, chez elles. Nous avons eu accès à une richesse de détails insoupçonnés en raison de la générosité des répondantes, de leur accueil et surtout, nous le croyons, de la relation de confiance que nous sommes en mesure d’établir rapidement en situation d’entrevue. Plusieurs participantes, hors enregistrement, nous ont fait visiter leur maison, montré des albums-photos de la famille ou d’événements importants pour elles; une répondante nous a même invitée à souper après l’entrevue. Tous nos sentiments, impressions, réflexions, etc. ont aussi été consignés, après les entrevues, dans un journal de bord, lequel nous a permis d’enrichir nos analyses ultérieures.