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Quatrième partie : les résultats

Chapitre 6. Sens et finalités de l’activité dans l’avancée en âge

6.2 Jouer un rôle sur terre

6.2.2 Transmettre une part de so

« Les jeunes ont besoin de modèles significatifs » ! La transmission intergénérationnelle retentit en écho dans plusieurs récits, sous la forme d’un rôle notamment à jouer auprès des jeunes afin de les « inspirer ». Suzanne parle en ce sens de son expérience de voyage en

Afrique, là où le bagage expérientiel des personnes aînées est « précieux » et valorisé. Elle considère que son travail de peintre lui permet de « transmettre un peu d’elle-même » par le biais de ces toiles, tout comme elle transmet l’esprit de créativité, de jeu et de découverte à son petit-fils. De fait, pour les grands-mères interrogées ayant des pratiques de care soutenues, la transmission intergénérationnelle réalisée auprès de leurs descendants est une dimension cruciale et inhérente à leurs pratiques grands-parentales. « Partout où l’on passe, il faut s’arranger pour laisser de belles vagues derrière notre bateau », rappelle Loraine pour signifier que toute action réalisée laisse des traces. Comme legs, elle souhaiterait que ses petits-enfants « perpétuent le don de soi pour les autres », comme elle le promeut tant auprès de sa famille que dans son action militante auprès des femmes et au sein de sa municipalité.

Militante aussi passionnée pour les droits des femmes, Chantale évoque « être un relais » pour la génération suivante, par l’intermédiaire de son travail d’écrivaine et de formatrice à temps partiel. Se rappeler des luttes féministes d’hier est essentiel pour « être aux aguets par rapport à ce qui se passe maintenant […]. L’histoire, c’est important pour la compréhension des choses », lance-t-elle. Mais il y plus. Transmettre et léguer, c’est le moteur de son activité quotidienne, liée à la participation civique :

« Je n’ai pas d’enfant […] pour moi, c’est important de laisser des traces […] de léguer et de transmettre ce qu’on a appris depuis des années comme compétence ou comme expertise. Et moi, je vois beaucoup ma place dans la société comme ça. Être un relais, un pont avec les jeunes. […] Je dirais que c’est ça qui donne un sens [à ce que je fais]. J’aurais bien de la misère à être ici dans ma grosse maison à ne rien faire ». (Chantale, 67 ans, retraitée de la fonction publique)

Ajoutant que « c’est un devoir » pour les gens de sa génération d’ériger des « ponts » intergénérationnels, ses propos rencontrent ceux de Claire, à l’effet que les personnes de son

âge ont une responsabilité auprès des générations suivantes. Qui plus est, à la retraite, ce n’est pas le temps de jeter la serviette puis de se dire : « j’ai fini ma vie active! », clame-t-elle « car ce n’est pas vrai que la retraite, c’est la fin puis que c’est [fait] juste pour se récréer ». Affichant un certain découragement pour les personnes aînées qui « démissionnent », c’est-à- dire qui ne sont pas investies dans la société, elle se console en se disant qu’au moins, plusieurs sont engagées auprès de leurs petits-enfants. Pour elle, grand-mère aussi, « c’est important de rester branchée sur notre communauté puis d’apporter ce qu’on peut apporter, chacun à notre manière, selon nos bagages et ce que nous sommes ». Au même diapason, Marie-Andrée estime que les valeurs transmises par ses parents ont fait d’elle la personne qu’elle est aujourd’hui; conséquemment, transmettre ce qu’elle a reçu, « c’est important pour que ça ne meurt pas ». C’est dans cet esprit qu’il importe « de préparer une relève », dit-elle en parlant de sa génération qui s’est battue contre les injustices, l’exploitation et de meilleures conditions de vie. Elle estime que les jeunes doivent continuer la lutte sociale, mais elle demeure « prête à se battre avec eux ».

Dans le même ordre d’idées, « faire du mentorat » s’actualise de différentes manières selon les individus. Pour Hélène, professeure universitaire, il y a dans son travail d’enseignement, non seulement de la transmission de connaissances, mais aussi de « plaisir », « de façon de penser », de « positivisme » face au monde. Tu sais, nous confie-t-elle, « j’étais tellement heureuse au bac que je vais tout faire pour que mes étudiants reçoivent ce bonheur ». Contribuer à leur formation et avoir formé certains d’entre eux devenus aujourd’hui professeurs, c’est en outre un « apport » indéniable pour elle, c’est une « stimulation sociale et intellectuelle précieuse » qui lui donne un « sentiment de satisfaction ». Elle compare en

quelque sorte son cheminement dans le milieu académique à une « œuvre », au sens d’une forme de contribution construite au fil des ans et des apprentissages, car « le travail de prof, c’est vraiment la construction d’une vie ». C’est dans cette optique que la fin de carrière n’est pas envisagée puisque l’activité professionnelle est appréhendée comme « une raison de vivre » : « J’aurais, pour le moment, du mal à concevoir comment je trouverais un sens, une valeur à ma vie, une fois à la retraite », relate-t-elle. Dans cette optique, les loisirs n’ont qu’une valeur limitée; ils ne peuvent constituer en eux-mêmes un sens à l’existence; cette idée qui rejoint d’ailleurs les récits des participantes plus haut, par exemple, celui de Claire qui aurait « sans doute gardé un travail à temps partiel » si elle n’était pas engagée dans le milieu communautaire et celui de la santé. « Être en vacances pour le restant de ses jours, ça n’a pas de bon sens » !!!

En résumé, la transmission intergénérationnelle apparaît fondamentale dans la finalité de l’agir qui traverse les pôles du care, de la participation civique et bénévole ainsi que du travail rémunéré. Car au-delà de ce qui est transmis aux générations précédentes, que ce soit des connaissances professionnelles ou celles de la vie quotidienne, des compétences, des valeurs, etc., l’acte de transmettre revêt un sens ontologique; il est partie intégrante de l’être en action, engagé dans une pratique significative qui permet la continuité de soi (dans ses dimensions professionnelle, personnelle et identitaire) et l’ancrage dans le monde social.