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Quatrième partie : les résultats

Chapitre 5. Pôles et figures de l’activité dans le vieillir

5.5 Sommaire et conclusion

Les quatre pôles dessinés répertorient les pratiques du quotidien qui renvoient au fait de se percevoir comme étant active et en exposent les pratiques corolaires. Par-delà l’aspect linéaire qui ressort probablement à la suite de leur description respective, ceux-ci ne sont évidemment pas irréductibles les uns face aux autres. La plupart des répondantes cumulent au moins deux pôles d’activités sous lesquels elles définissent des pratiques dites actives. Mais ces femmes, logeant sous un ou divers pôles dominants qu’ont-elles de commun, de singulier ? Tels ou tels autres pôles, ou leurs combinaisons, regroupent-t-ils un profil similaire, différent ou pluriel de femmes eu égard à leur situation socioéconomique ou leurs caractéristiques biographiques ? Quelles trajectoires édifient des figures d’activités protéiformes ou, au contraire, plutôt uniformes ?

Le pôle du care est de loin celui qui présente un portrait des plus variés de femmes aux horizons divers. Les pratiques de care sont de fait multiples et ont été scindées sous trois cas de figure pour davantage d’intelligibilité. Si une minorité de femmes agissent quotidiennement comme proche aidante au moment des entretiens, elles ont été cependant une majorité à évoquer qu’elles ont pris soin de leur mère avant leur décès. Elles sont également majoritaires, parmi les répondantes, à démontrer des pratiques de (grand) maternage, même si leur intensité est variable. À cet égard, quatre facteurs conditionnent la teneur de l’action déployée dans les pratiques de grand-parentalité des répondantes : 1) les valeurs aux égards à l’institution de la famille; 2) la reconnaissance subjective de leur responsabilité et rôle grand-parental; 3) la

conjoncture socio-familiale dans laquelle évoluent les petits-enfants, notamment la monoparentalité de la mère et, en ce sens, les besoins d’aide formulés; et 4) la proximité géographique des petits-enfants. Conséquemment, ces facteurs modulent davantage l’activité et le temps consacré aux descendants, que le statut socioéconomique, par exemple. Ainsi, sous l’ensemble des figures de care proposées, se dessine un profil de femmes aux conditions de vie très précaires, d’autres issues de la large classe moyenne et de milieux nantis. Des femmes très scolarisées (études universitaires supérieures) aux femmes n’ayant pas de diplômes d’études secondaires, habitant dans la métropole, dans une ville de région ou en milieu rural. Même l’état de santé ne semble pas influencer l’ardeur mise dans le labeur de soin accompli auprès des proches, car certaines répondantes présentant des conditions de santé ou de mobilité amoindries montrent des pratiques de care soutenues dans le temps.

En revanche, est-il légitime de croire que l’activité quotidienne de femmes plus défavorisées sur le plan socioéconomique, ayant une descendance, se décline essentiellement sous le pôle du care comparativement à celles des classes moyennes à supérieures ? Si de fait leurs pratiques se rangent quasi exclusivement sous le pôle du care, des répondantes de la classe moyenne inférieure à supérieure, certaines scolarisées, d’autres moins, combinent aussi ces deux pôles dominants, à la différence près que pour ces dernières s’ajoutent le pôle de l’activité physique. Globalement, ce pôle est absent dans la vie des femmes défavorisées, qu’elles soient en santé ou non. En réalité, faire de l’exercice physique est une pratique largement associée à la représentation identitaire d’être « une femme active ». Dans les récits, elle reste déterminée par : 1) les habitudes de vie sportives de la trajectoire antérieure qui se maintiennent dans le temps; 2) par la sortie de carrière, laquelle libère du temps et permet

l’intégration des activités physiques durant la journée; 3) la diminution substantielle des obligations familiales suite au départ des enfants de la maison; et 4) la prise de conscience et l’intériorisation des discours publics à l’effet que l’exercice est primordial pour vieillir en santé.

Le pôle de la participation civique et bénévole rassemble quant à lui à la fois des militantes soucieuses des questions de justice sociale et de droits humains, lesquelles occupent des positions statutaires plutôt homogènes, comparativement à celles, plus diversifiées, des répondantes dont l’activité bénévole est tournée vers le domaine caritatif ou religieux. Pour les premières, il s’agit de ces héritières d’un capital socioculturel de l’engagement social; leur profil laisse voir des femmes de classe moyenne à supérieure, détendant au moins un diplôme universitaire, ayant eu une activité professionnelle toute leur vie, mariées ou en couple, habitant la région montréalaise et sa périphérie. Être actives pour ces répondantes, c’est être en phase avec les enjeux sociopolitiques contemporains. Par leurs pratiques à caractère politique, elles manifestent le désir de se poser comme sujet agissant, sujet pensant et engagé dans l’action sociale.

Quant aux secondes, leur très petit nombre ne permet pas d’esquisser un quelconque profil. Ce qui varie cependant entre les deux groupes, c’est plutôt les significations qui animent l’action quotidienne et le sens attribué à l’agir – ce qui sera détaillé dans le chapitre suivant –, par exemple, cette idée d’avoir un lieu d’ancrage dans la sphère publique, impliquant aussi le besoin de sortir du domaine privé et de créer du lien social. Néanmoins, pour toutes ces

répondantes déployant des pratiques polymorphes de participation civique et bénévole, le temps consacré à ces pratiques a varié dans le parcours de vie. Ces variations s’expliquent, d’une part, en fonction de l’activité professionnelle d’avant la retraite et de son articulation avec les obligations familiales, le cas échéant et, d’autre part, au regard de l’importance et du sens que revêt l’engagement social tout au cours de la vie. Par-delà ces fluctuations, pour toutes ces répondantes engagées dans ce pôle, vieillir activement reste étroitement lié à leurs pratiques de participation civique et bénévoles. Toutefois, en dépit de leur engagement indéfectible dans leur secteur respectif, et d’agendas souvent « débordants », ce type d’activités peut être mis de côté temporairement au profit du prendre soin de ses petits-enfants. Ainsi, le pôle du care prend une place prépondérante dans l’action coutumière, même chez les militantes de longue date: « Je dis à tous mes engagements, mes petits-enfants sont prioritaires » (Marie-Andrée); « Quand elle est avec moi [ma petite-fille], les implications, je mets ça de côté » (Loraine); « Alors, si je mets un ordre de grandeur [entre mes petits-enfants et mes engagements], […] il y a des circonstances de la vie qui font que tu dois faire des choix et [...] comme grand-mère, ça passe avant le reste » (Claire).

Finalement, la plupart des femmes retraitées apprécient cette période de vie, en raison principalement de l’absence de contraintes professionnelles et de stress, jadis vécus sur le marché du travail. Quelques répondantes continuent par ailleurs leur emploi car elles ne souhaitant pas prendre leur retraite. Le pôle du travail apparaît ainsi comme dominant dans leur quotidien, mais, pour certaines, il s’imbrique aussi à celui de l’activité physique et au pôle du care. Pour ces dernières répondantes travailleuses, combinant différents pôles, l’identité professionnelle s’enchevêtre intimement avec l’identité personnelle; elle fait intrinsèquement

partie du soi pour ces répondantes qui occupent des professions aux statuts divers sur le plan du prestige social. De plus, maintenir leur emploi dans l’avancée en âge reste aussi possible car celui-ci nécessitent un travail de l’esprit et de création, et non pas un travail manuel ou ouvrier, forcément plus difficile sur le corps vieillissant. Toutefois, le cas d’Anna, rappelle que la poursuite de l’emploi rémunéré, même si ce dernier est exigeant physiquement, demeure obligatoire en raison de la situation de pauvreté vécue tout au long du parcours de vie. Il s’agit d’un cas négatif au regard de la réalité des autres répondantes qui se maintiennent en emploi parce qu’elles aiment leur travail, et non pas à des fins économiques.

En conclusion, les figures de l’activité sont multidimensionnelles. Les divers pôles d’activités, qui s’imbriquent dans la matérialité tangible du quotidien, permettent de mieux cerner la teneur et la tonalité des pratiques considérées comme étant actives dans le vieillir au quotidien. Toutefois, une dimension métaphorique est aussi présente dans les récits : être active dans l’avancée en âge, c’est l’antithèse de l’immobilité; c’est « être dans le mouvement », « continuer d’avancer », de « bouger pour ne pas stagner », etc. Ainsi, pour plusieurs, les pratiques « actives » apparaissent surtout définies dans leur instrumentalité (le faire, l’action). À cette dimension, se greffe collatéralement un rapport identitaire : être active fait partie intégrante du bien vieillir ; en étant active, on demeure « jeune de cœur ». On avance certes en âge, mais on ne « vieillit pas »; le sentiment « d’être vieille » est ainsi subverti par les pratiques que l’on estime actives dans son vieillissement.

Chapitre 6. Sens et finalités de l’activité dans l’avancée en âge

Dans la suite du chapitre précédent, le présent s’attardera à expliciter les significations et le sens des pratiques mises en œuvre dans la vie quotidienne. Il s’agira de cerner la finalité de l’activité qui est poursuivie dans l’avancée en âge, laquelle a été répertoriée sous divers pôles plus haut. Afin d’offrir un portrait détaillé du sens que revêt l’activité composite des répondantes et pour en distinguer les logiques internes, voire les quêtes existentielles poursuivies, plusieurs thèmes ont été ressortis. En catégorisant ainsi les finalités de l’agir, nous montrerons qu’elles sont diverses et non réductibles à un seul pôle. C’est ce que nous mettrons en lumière dans les sections suivantes et résumerons en conclusion.

6.1 Les enfants : de l’amour sincère comme lien ontologique à la vie

« Mes fils, c’est ma richesse, je ne pourrais pas me passer d’eux, […] j’ai besoin de leur amour ». Proche de ses enfants, Pauline évoque être privilégiée d’avoir de belles relations avec ces fils et avec ses petits-enfants. Comme d’autres répondantes très actives dans le pôle de

care, leurs pratiques expriment non seulement le désir de maintenir « un lien afin de ne pas

perdre de vue » les proches descendants, mais plus encore, à un besoin ontologique, intrinsèque à leur être, d’affection filiale vécue dans la réciprocité et la mutualité. Des rapports familiaux « indissociables de mon bonheur et de mon équilibre », confie en ce sens Suzanne, en racontant à quel point la naissance de son petit-fils a eu aussi un impact considérable dans son bien-être quotidien, dans « sa vie assez linéaire », loin de « l’apothéose ». Ses activités hebdomadaires et celles de soin réalisées avec son petit-fils lui permettent de toucher,