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Quatrième partie : les résultats

Chapitre 6. Sens et finalités de l’activité dans l’avancée en âge

6.4 Le lien social comme moteur de l’activité

« Je serais incapable d’avoir une vie inactive [parce que] j’ai besoin des autres, j’ai besoin d’être en relation interpersonnelle ». Loraine illustre d’entrée de jeu l’adéquation que plusieurs répondantes font entre la prépondérance accordée aux relations interpersonnelles et sociales dans leur vie et l’idée d’être active dans l’avancée en âge. Dans cette perspective, c’est en

initiant un mouvement de mise en action, s’inscrire à un cours, s’impliquer dans un organisme, faire un voyage, etc. que l’on rencontre des gens, des amis, etc., relate Aude. Il faut être « audacieuse », mettre ses peurs de côté pour « être capable de rentrer en relation avec l’autre », renchérit Loraine. Autrement, c’est le repli sur soi, la stagnation de la vie, car le sens de l’existence « c’est le partage » avec d’autres, que ce soit dans le cadre d’une activité de loisir, de militance, de travail, etc.

Parlant de son travail à temps partiel, Estelle accorde à celui-ci une importance considérable puisqu’il sert à redonner, comme nous l’avons évoqué plus haut, mais aussi à rester dans la « vie active », car elle rencontre des gens de tous âge, discute avec « le public », et certains clients sont même devenus des amis. « C’est ça la vie », clame-t-elle à son tour, lorsqu’« on est active, on rencontre du monde » ! Pour Anna, ne possédant pas de réseau social en dehors de son emploi comme camelot de rue, les liens sociaux sont rendus ici possibles grâce à son travail de vente avec le public. « J’aime vraiment être en contact avec les gens […], communiquer…échanger…je m’intéresse aux personnes », raconte cette dernière pour expliquer pourquoi elle ne souhaite pas arrêter cette activité même dans le grand âge. Pour d’autres répondantes ayant un large réseau social, c’est une nécessité « d’avoir des familles politiques et sociales ». C’est en ce sens que Chantale désigne le mouvement des femmes comme étant « sa famille », un réseau dans lequel elle trouve des personnes qui ont « des affinités communes » avec elle mais, plus encore, comme un mouvement qui « fait partie de son identité ». Il s’agit d’un ancrage certes, comme d’autres l’ont évoqué, mais l’implication de longue date permet le développement de relations significatives et leur pérennité dans le temps. « C’est une question de racines », ajoute celle-ci qui « serait du genre à [se] mettre

bénévole dans n’importe quel groupe pour échapper à l’isolement ». L’idée de « racines » est récurrente dans les récits, comme dans celui de Michelle, laquelle évoque avoir perdu les siennes parce qu’elle a travaillé vingt ans dans le Grand Nord du Québec. N’ayant pas beaucoup de contacts sociaux dans la ville d’accueil choisie pour sa retraite, elle a néanmoins l’impression d’avoir retrouvé une partie de ses racines au contact de personnes proches. Rebâtir son ancrage parmi les siens, en créant le lien avec ses petits-enfants et avec ses anciennes amies, c’est ce qui anime son action quotidienne, notamment par le pôle du care et du loisir.

Rappelant sa situation d’enfant unique, le récit de Christine traduit la centralité qu’elle accorde à « sa cour », c’est-à-dire à son réseau qui lui offre une « diversité de contacts ». C’est une grande richesse, selon elle, puisqu’elle peut partager des intérêts communs. Et c’est sur la base de ce partage d’intérêts, lequel ramène à l’avant-plan la dimension relationnelle, que se construit, entre autres, son « vieillir actif » autour de la participation civique ainsi que les loisirs :

« J’ai des gens autour de moi avec qui je partage des intérêts, […] des gens avec qui je vais parler politique et philosophie ou d’art, de lectures, d’expositions, etc. […] Quand je me suis impliquée [dans tel organisme] […], les 2 filles qui étaient avec moi, on s’est revues au moins 4 fois. […] on avait des points communs et on continue à les développer. […] Les choses, les objets sont des concepts qui valent rien, si les gens ne sont pas là pour en faire prendre conscience. […] Mais il faut alimenter ces liens-là si on veut être capable d’avoir des interactions intéressantes ». (Christine, 63 ans, retraitée du monde de la finance).

« Tout est relié », résume ainsi Marie-Andrée pour expliciter les fondements de son action pour la justice sociale, qui vise à apporter plus de bonheur aux siens et à l’ensemble de la

société, car pour elle, « l’être humain, c’est un être de relation, et c’est ça qui prime et est important, la relation ».

Finalement, créer du lien social devient ainsi possible par l’entremise des pratiques actives et, dans un effet de boucle, développer et se maintenir dans le lien social agit à son tour comme levier permettant cette action, tous pôles confondus. Car tant le pôle du travail, que celui du

care ou celui de la participation civique et bénévole, mettent en scène des espaces de

sociabilité permettant la rencontre d’autrui, des rapports intergénérationnels et, plus globalement, la création de divers liens sociaux. Ces liens prennent forme dans une simple relation « d’humain à humain » n’impliquant pas nécessairement de la proximité, et par des relations affectives ou de promiscuité au sein de la fratrie, d’un réseau organisationnel ou social.

6.5 Sommaire et conclusion

Le sens octroyé à chacun des pôles est pluriel et, dans cette multiplicité des significations composant leur agir « actif », des finalités de l’action analogues se retrouvent dans divers pôles d’activités. En d’autres mots, ce qui incite, par exemple, le déploiement des pratiques de

care et leur donne une valeur idéelle ou s’érige comme fondement identitaire, peut également

constituer l’essence de l’agir de la participation civique et bénévole. Ce sommaire analytique propose ainsi un regard transversal sur les finalités et les quêtes existentielles qui croisent les pôles discutés dans ce chapitre : celui du care, de l’activité rémunérée, de la participation civique et bénévole et de l’activité physique. Nous abordons, d’entrée de jeu, et isolément des

autres pôles, celui de l’activité physique pour les raisons suivantes : d’abord, ce qui meut l’activité physique rend compte de considérations, voire de finalités matérielles et instrumentales, se résumant dans être/rester/vieillir en santé mises en relief au chapitre cinq. Précisons, à cet égard, que si, pour les répondantes concernées, le fait de participer sur le plan civique a été désigné comme des pratiques qui contribuent aussi au maintien d’une bonne santé (physique et mentale), il s’agit là d’un usufruit, amené par les pratiques d’engagement et non d’une finalité en soi. C’est dans cette perspective que nous appréhendons les pratiques sportives sous un pôle pragmatique auquel ne se rattache pas réellement de profondes quêtes de sens, mais plutôt une logique impérative en matière de bien vieillir, en restant autonome et en santé le plus longtemps possible. Un discours intériorisé et des pratiques tangibles concernant l’activité dans le vieillir qui rencontre, sans contredit, le discours dominant de l’État quant à l’importance de vieillir en santé et, pour ce faire, de maintenir des activités physiques.

D’abord, l’activité multiforme qui se décline sous ces pôles revêt une signification holistique qui s’exprime dans le dénominateur commun de « donner un sens à la vie ». Or, il s’agit là d’un premier niveau d’appréhension de l’expérience vécue puisque des logiques plus fines, discutées dans ce chapitre, étayent cette prémisse à l’effet que les pôles d’activité du care, du travail rémunéré et de la participation civique et bénévole offrent un sens à l’existence. En premier lieu, trois logiques de sens sont partagées et constituent l’essence de l’expérience vécue sous ces trois pôles d’activités. Nous les résumons comme suit : 1) la transmission du bagage expérientiel (aux congénères et aux générations suivantes); 2) le don de soi (de son temps, de ses acquis, et de ses avoirs pour le proche et, ou la société); et 3) l’enracinement

dans le lien social, édifiant des relations sociales et humaines significatives dans l’avancée en âge. Ce sont là les trois constituants existentiels qui apparaissent communs aux pratiques de

care, de participation civique et bénévole, et à celles de l’activité professionnelle.

En deuxième lieu, d’autres finalités d’action dégagées dénotent un caractère bicéphale, renvoyant ainsi à deux pôles. À cet égard, ce que nous avons désigné comme de l’amour sincère, éprouvé dans les relations aux enfants, détermine l’agir des pratiques de grand- parentalité (pôle du care), mais aussi celles du maintien en emploi dans l’avancée en âge (pôle travail). De même, ce sont les valeurs sociales et familiales d’une part et, d’autre part, l’importance accordée au sentiment d’utilité au monde qui conditionnent la conscience de l’agir pour les pôles de la participation civique et bénévole, ainsi que du care. En troisième lieu, la finalité de la sollicitude anime singulièrement le pôle du care. En dernier lieu, redonner son héritage symbolique et matériel, et la nécessité d’avoir un apport à la vie en société (en combattant les inégalités, mettant à profit son potentiel, et en participant aux actions sociales pour le mieux-être de sa communauté) constituent les finalités de l’action entourant la participation civique et bénévole.

En conclusion, c’est sous cet ensemble de finalités qui irrigue les vaisseaux pluriels de l’agir « actif » que se matérialisent les trois pôles discutés. Mais il y a plus. En amont de ces finalités, des quêtes existentielles se dessinent aussi de l’analyse des résultats. Nous en distinguons trois pour le moment : la première quête identifiée s’exprime dans l’ancrage identitaire et l’intégration sociale au monde. Rassemblant les trois pôles discutés plus haut, ce besoin d’ancrage dans le monde social rencontre le sens octroyé aux finalités d’être utile, de

donner/redonner, de contribuer à sa communauté, de transmettre et de maintenir le lien social. La deuxième que nous avons identifiée s’articule autour du don de soi; elle se manifeste dans les pôles du care et de la participation civique et bénévole, englobant aussi les notions de sens, telles qu’être utile aux autres et à la société, redonner, préserver le lien social, auxquels s’ajoutent les valeurs sociales et familiales, comme carburant créateur de l’action. Enfin, la quête de l’authenticité, la troisième, est pour l’instant principalement construite autour du pôle du care par l’intermédiaire de relations sincères, de partage et de don de soi, lesquelles relient ontologiquement les individus dans une forme « d’essence » de l’humanité. Dans le chapitre qui suit, en mettant en perspective les zones de tension entre un référentiel normatif et la dimension subjective de l’activité dans le vieillir, nous verrons, au final, si d’autres finalités d’action et quêtes sous-jacentes émergent à travers les données.

Chapitre 7. Ambiguïtés, résistances et tensions autour d’une trame