• Aucun résultat trouvé

1 L’armée royale : anatomie d’une institution

C) Usure des effectifs

Malgré les difficultés rencontrées par le camp royal, l’armée royale n’est pas détruite lors de la guerre. Il n’en est pas de même pour les individus qui la composent. Bien que plusieurs commandants de premier plan de l’armée disparaissent lors du conflit comme La Hunnaudaye, Yves du Liscoët, La Tremblaye ou le baron du Pont, nous nous intéresserons ici aux pertes subies par l’armée dans sa totalité. Par perte, nous entendons tout individu qui ne sert plus dans l’armée pour quelque raison que ce soit. Malheureusement, nous ne pouvons fournir que des estimations, réalisées à partir des comptes de l’extraordinaire de la guerre pour la période 1593- 1595.

1) La désertion

La désertion ne semble pas uniforme dans l’armée. Ainsi en 1590, « les troupes de Normandie [récemment levées] désertoient tous les jours, quelques efforts que fissent de Molac et de Ruqueville pour contenir le soldat dans le devoir. »204 Elle est très probablement la

204 THOU, Histoire Universelle…, op.cit., t.7, p. 677.

56

principale cause d’usure de l’armée. La désertion apparaît comme étant particulièrement concentrée sur les premières semaines de service, car « l’ont scait assez, que pour douze cens qui doivent estre un régiment, il ne s’y en trouve pas deux cens. Néantmoins, il faut trouver de quoy payer les garnisons et autres gens de guerre. »205

La désertion est un phénomène rampant dans toutes les armées du conflit, mais elle est particulièrement perceptible dans l’armée espagnole.206 En effet, nous disposons de montres de l’effectif total du corps expéditionnaire. Les soldats espagnols bénéficient, ou sont victimes, en fonction de la perspective de l’observateur, de tous les facteurs qui facilitent la désertion.

La plupart des unités de l’armée n’opèrent pas avec la totalité de leur effectif opérationnel. Après analyse des nombreux rôles de montres des comptes de l’extraordinaire des guerres, nous sommes parvenus à une estimation, tout à fait discutable cependant, et dont le degré de fiabilité est faible à cause des passe-volants que nous ne pouvons forcément déceler. En effet, les payes sont très irrégulières, et le temps requis pour un homme pour s’engager, puis déserter est largement inférieur au temps requis pour réaliser une nouvelle montre, surtout en été. Il semblerait que chez les arquebusiers à pied, et les autres fantassins, la désertion soit équivalente à environ 20% ou 30% des effectifs, en fonction de la quantité de recrues. Chez les unités temporaires, mais plus onéreuses comme les arquebusiers à cheval ou les chevau-légers, la désertion est nettement plus faible, de l’ordre de 10% à 15%. Enfin, chez les salades, les arquebusiers à cheval de la garde, et les gendarmes, elle est certainement inférieure à 10%, voire 5%.

2) La maladie

Lors du siège de Crozon, « Il mourut un grand nombre de soldats en ce siège, non tant par les mains de l’ennemi que des froidures, malaises et pauvreté. »207 La maladie, comme dans les autres conflits antérieurs à la première guerre mondiale, est la première cause de mortalité au sein de l’armée, même lors des épisodes les plus violents comme le siège de Crozon. Il est plausible que la majorité, peut-être 65% des hommes décédés lors du siège aient été tués par les diverses maladies qui circulent dans le camp et les tranchées royales.

205 PICHART, « Journal », in Le journal de Jean Pichart…, op.cit., p. 116. 206 Voir annexe 11.

207 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 205-206.

57

La maladie peut également empêcher des opérations d’avoir lieu, puisqu’en réduisant les effectifs opérationnels, elle paralyse les unités, voire une armée toute entière. C’est ce qui se passe lorsque Bremansany, gouverneur de Châtillon projette d’attaquer Fougères en 1591 avec une partie du corps expéditionnaire anglais. Il doit abandonner son plan à cause des maladies qui ravagent les rangs de ses alliés.208 La maladie handicape les armées de deux façons : elle

tue des soldats, mais ceux qui ne sont pas morts ne sont pas aptes au combat pour autant et doivent être laissés en sûreté et supportés. Les pertes sur les combattants sont gênantes, mais elles ne sont pas les plus dommageables pour l’armée.

Des officiers sont également touchés. Un cas particulièrement problématique pour l’armée d’Aumont a lieu lorsque Damien Lescuyer meurt à Morlaix en octobre 1594.209 Conformément à la procédure, ses papiers sont mis sous scellés, mais une partie est indispensable pour garantir le paiement de l’armée d’Aumont. Les paiements des soldes d’au moins une partie de l’armée de campagne sont donc retardés par cet évènement. La maladie pose également des risques sur les plus hauts chefs militaires. Lors du siège de Crozon, le maréchal d’Aumont lui-même tombe malade.210 Septuagénaire, ses chances de survie et de guérison ne sont pas garanties, surtout dans l’environnement hostile que constitue la presqu’île de Crozon.

3) Les combats

Tous les combattants n’ont pas les mêmes chances de mourir lors du combat. Les cavaliers sont généralement les plus chanceux. Quant à l’infanterie, « ne parlons pas des fantassins […] : ce sont eux qui vont mourir. »211 Ce constat, devenu classique, de Duby sur la bataille de Bouvines, est tout à fait valable lors des guerres de la Ligue. Le soldat a des chances non négligeables de mourir au combat, mais il court aussi des risques une fois le combat achevé. Le prisonnier étant choisi, le soldat ne présente pas d’intérêt, et il risque donc d’être exécuté au lieu d’être relâché.

Les capitaines et autres officiers sont généralement capturés et rançonnés au lieu d’être tués. Leurs chances de survie augmentent donc mécaniquement. Champsavoy est ainsi capturé au

208 MONTMARTIN, « Mémoires… », in Histoire ecclésiastique…, op.cit., p. ccxciii. 209 HAMON, « Payer pour la guerre… », in Les modalités de paiement, op.cit., p. 19. 210 THOU, Histoire Universelle…, op.cit., t.8, p. 520.

211 DUBY, Georges, Le dimanche de Bouvines (réed.), Paris, Gallimard, 2008, p. 27.

58

combat de Loudéac, pour la seconde fois depuis le début du conflit, et à nouveau rançonné.212

Lors des combats, ils ont également plus de chances de survie. Les officiers ne combattent pas en première ligne, ce qui rend les tirs de mousqueterie moins dangereux. La prudence reste cependant importante : La Noue et La Tremblaye reçurent tous deux des blessures mortelles lors des sièges de Lamballe (1591) et du Plessis-Bertrand (1597). Yves de Liscoët fut quant à lui tué au siège de Crozon par une sortie espagnole à coup de piques.

Les pertes en combat sont relativement faibles par rapport à la maladie. Cependant, même lors des opérations militaires, les pertes sont généralement assez faibles. Les seules fois où l’armée royale perd une quantité significative d’hommes sont à Crozon,213 et lors de la bataille de Craon. Pourtant, à Craon, la majorité de l’armée survécut puis fut placée en garnison. Même là, les morts au combat ne sont pas estimables avec fiabilité. Les estimations des chroniqueurs, couplées à l’absence de registres sur les pertes rendent toute considération des plus hasardeuses.

1.2 Répartition

La réussite de l’armée dépend en partie de la capacité des commandants les plus importants à obtenir des résultats nets sur une zone d’opérations avec le minimum de pertes possibles, tout en infligeant le plus de dégâts possibles au camp adverse. Nous nous intéresserons donc aux méthodes employées. Celles-ci ne se comprennent cependant que dans leur contexte, aussi faut- il analyser les problèmes rencontrés dans leur mise en œuvre tant sur un plan théorique que pratique.

I)

Les missions de l’armée

L’armée a pour vocation intrinsèque de gagner des guerres. Dans notre cas, cet objectif est imprécis pour classifier les différentes opérations de l’armée. Celles-ci visent à reprendre le contrôle du terrain breton, et à en éliminer les ennemis du roi.

212 RAISON DU CLEUZIOU, « Journal de François Grignart… », op.cit., p. 74. 213 Voir annexe 17.

59