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1 L’armée royale : anatomie d’une institution

C) L’armée de campagne

Les armées pendant les guerres de Religion ont suscité un intérêt dès le XIXème siècle162, et ont connu un renouveau avec les travaux de James WOOD163. Dans notre cas, nous avons constaté la coexistence de deux types d’armées de campagne. D’une part, une armée qui correspond aux armées étudiée par James WOOD, et d’autre part des opérations de faible envergure, menées dans une optique de petite guerre. C’est l’armée dite régulière que nous étudierons d’abord, celle-ci ayant laissée davantage de sources, tant sur ses actions que sur son organisation.

1) Fonctions opérationnelles

L’armée de campagne a pour but de mener les campagnes militaires qui doivent donner la victoire au parti du roi. Nous allons classer les missions purement militaires qu’elle accomplit au cours de la guerre. La guerre de la Ligue est avant tout une guerre de sièges lorsque l’on se focalise sur les armées principales, celles qui font l’objet des Histoires Universelles, et de la plupart des chroniqueurs.164 Les campagnes, dès 1589 sont rythmées par les sièges. Pour cette année-là, l’attention est d’abord fixée sur Vitré, puis Ploërmel, Malestroit et Brest. Les méthodes d’attaque des places fortes ont déjà été détaillées dans un autre mémoire récent, nous n’éprouvons donc pas de besoin de revenir sur les aspects tactiques des sièges.165

Les régiments qui composent l’armée en campagne sont des unités combattantes et tactiques. Les engagements frontaux de grande envergure sont assez fréquents au début de la guerre. Aux alentours d’Auray en 1590, de violentes escarmouches ont lieu après la prise d’Hennebont alors que Dombes cherche à livrer bataille à un Mercœur qui se dérobe. L’année suivante, la situation se reproduit au Marc’hallac’h, mais cette fois sous la forme d’une vraie bataille.166 Les premiers engagements sont indécis, puis les armées rompent les rangs sans avoir obtenu de résultats. Ce

162 LA BARRE DUPARCQ, Edouard, L’Art militaire pendant les Guerres de Religion, Paris, Ch. Tanera, 1864. 163 WOOD, James, The King's Army. Warfare, soldiers, and society during the Wars of Religion in France, 1562- 1576, Cambridge, CUP, 1996.

164 DE THOU, Histoire universelle…, op.cit., t. 8, p. 327. 165 TAUPIN, Combattre au temps de la Ligue…, op.cit. 166 DE THOU, Histoire universelle…, op.cit., t. 7, p. 5-6.

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n’est qu’en 1592 qu’une bataille a lieu, à Craon dans le Maine. La bataille est un désastre pour les royaux qui doivent se mettre sur la défensive.

Lorsque le maréchal d’Aumont arrive en Bretagne, Mercœur est en train d’attaquer Moncontour et semble être sur le point de prendre la place. Le maréchal fait marcher ses troupes bretonnes avec les renforts qu’il amène avec lui, sa marche contraint Mercœur à respecter la trêve générale de 1593. Le prince de Dombes avait déjà réalisé une opération du même type en 1589, en faisant lever le siège de Vitré en août par sa simple entrée en Bretagne,167 alors que la ville était assiégée depuis mars. L’armée complète n’est toutefois pas forcément nécessaire pour décourager une force assaillante. Ce ne sont que quelques centaines d’hommes qui battent le lieutenant de Mercœur Saint-Laurent à Loudéac, Saint-Brieuc ou au Plessis-Bertrand plus tard dans la guerre.

2) Organisation

L’armée en campagne a une organisation assez bien définie. Commençons par les combattants. Les unités d’infanterie sont organisées en régiments qui portent le nom de leur mestre de camp. A l’intérieur des régiments se trouvent des compagnies, généralement quatre ou cinq par régiment.168 Les unités de cavalerie sont elles aussi organisées en compagnies, mais

l’escadron n’est pas encore adopté comme cadre d’organisation. Notons à ce point que les régiments ne sont pas tous en campagne, et ceux qui le sont ne le sont pas forcément en même temps.169 Les unités sont payées sur dix mois de 35 ou 36 jours.170 Nous avons tenté en vain d’établit un calendrier de ces mois comptables, mais malgré des durées de services récurrentes, celui-ci conserve une certaine plasticité que nous n’avons pu surmonter.

Les rôles non-combattants comportent deux services intégrés à l’armée : les services des vivres, et ceux de l’artillerie.171 En plus de ces services, nous y incluons les officiers de finances chargés de payer les troupes, le haut-commandement et les officiers de l’armée. L’administration des vivres a pour but de faire parvenir le pain de munition aux soldats. Pour cela, le commissaire général des vivres, le baron de Villars établit des contrats avec des

167 LE GOFF, La Ligue en Bretagne…, op.cit., p. 95.

168 AD35, C2913, f° 65-67. Le régiment du baron de Molac en compte 6 en 1594.

169 Voir notamment AD35, C3746. Les Etats des vivres sont des plus clairs sur cette question.

170 AD35, C2914, f° 505. La cinquième montre couvre 31 jours de service, contre toute vraisemblance. 171 AD35, C2912, f° 81-97.

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munitionnaires privés qui se chargent de l’approvisionnement en vivres, et du matériel nécessaire audit approvisionnement. L’administration de l’artillerie a pour but de maintenir l’artillerie opérationnelle. Elle établit elle aussi des contrats avec des marchands pour acheter et se faire livrer de la poudre noire sur le même modèle que pour les vivres. Elle règle également les dépenses liées au transport de l’artillerie en campagne, mais aussi celles liées à son installation dans des batteries pour bombarder une place forte. Les motifs de paiement sont donc très variés.

Le haut-commandement correspond aux commissions qui donnent un grade supérieur à mestre de camp. Les officiers qui y travaillent affectent toute l’armée, mais certains ont également des postes liés au combat. Le maréchal de camp a ainsi pour vocation de répartir les unités sur le champ de bataille. Leurs attributions sont très vastes et chapeautent les autres branches de l’armée que nous avons citées. Enfin, l’administration des finances n’est pas tout à fait intégrée à l’armée dans notre cas. Les commissaires et les contrôleurs des guerres existent bien depuis 1567, mais leur nombre est trop faible pour réaliser toutes les montres. Ils sont divisés entre ordinaire, et extraordinaire des guerres. Ils ont donc des commis. En Bretagne, nous avons également vu plusieurs fois des officiers des Etats comme Michel Toussait réaliser des montres en raison de la pénurie de personnels financiers dans la province.172

3) Les difficultés pour faire campagne

Les pièces d’artillerie sont très lourdes, et en cas de mauvais temps, les pistes sont boueuses, si bien que « la marche de l’armée étoit retardée par la difficulté du transport de deux grosses pièces de canon, que plusieurs bœufs traînoient à peine au milieu des bouës, dans des chemins forts étroits. »173 Bien que l’artillerie possède des avantages indéniables, elle peut aussi ralentir considérablement l’armée, ce qui peut lui être fatal si elle doit se replier en urgence. C’est ce qui se passe à Craon, où l’artillerie est capturée après avoir été abandonnée. L’artillerie n’est pas la seule à être affectée par les conditions météorologiques, les hommes et les chevaux souffrent beaucoup lors de l’été 1590 au point que « fort peu eussent été en état de rendre combat, tant ils étoient faibles de la grande chaleur. »174

172 AD35, C2912, f° 37.

173 THOU, Histoire Universelle…, op.cit., t.8, p. 8. 174 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 90.

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Les pièces d’artillerie sont les éléments les plus vulnérables, mais toute l’armée constitue une cible pour une embuscade « en chemins estroits comme est la Bretagne, il faut toujours craindre, ce que les Latins noment inpedimentum, qui est proprement en françois empeschement,

embarassement ou bogages. »175 Les embuscades sur une armée de plusieurs milliers

d’hommes sont cependant rarissimes en raison des éclaireurs. Nous n’avons cependant pas de document détaillant l’ordre de marche de l’armée en Bretagne.

L’approvisionnement en vivres peut aussi être un problème majeur, en particulier lors des opérations d’hiver, comme en février 1590. Elles restent cependant rares, et une logistique des vivres défaillante est moins problématique une fois les moissons effectuées puisque les soldats peuvent réquisitionner chez l’habitant. Enfin, les problèmes de paiement des soldes est sensiblement plus problématique, car il peut entraîner la décomposition de l’armée en causant des désertions qui peuvent être réellement massives.

III) L’évolution des effectifs

Dans une province largement laissée à son autodéfense à l’exception de quelques garnisons. L’éclatement de la guerre civile provoque la création de forces militaires. Nous nous focaliserons sur l’établissement de l’armée et ses variations d’effectifs.