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3 « La victoire va à quiconque possède le dernier escudo »

C) Les modes de mise à contribution

Pour les populations du XVIème siècle, l’extraordinaire des guerres auquel elles sont confrontées n’est pas celui de nos livres de compte. Les populations civiles ne sont pas les cibles premières de la guerre, mais elles font l’objet d’une lutte des deux partis pour leur extorquer divers produits. Il s’agit de voir les différents produits réquisitionnés, et les modalités de ces réquisitions.

557 MONTMARTIN, « Mémoires… », in Histoire ecclésiastique…, op.cit., p. ccxcvi.

558 LE GOFF, « Fougères durant la Ligue, ou l’impossible siège », op.cit., p. 22. Ce réseau comprenait également

Fougères, La Guerche, Châteaubriant, Ancenis et Clisson.

559 Notons cependant que le comte Guy XX de Laval, mineur pendant le conflit, se convertit après les guerres de

la Ligue, suit Mercœur dans son combat contre les Turcs, et meurt en Hongrie. La lignée des comtes de Laval s’éteignit avec lui.

560 HAMON, Philippe, « “Vitray, qui s’en alloit perdu”…», op.cit., p. 118-119.

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1) Les réquisitions en nature

Les réquisitions concernent principalement les vivres, mais des consommables sont aussi visés par les soldats. Certaines réquisitions sont organisées dans l’optique d’une opération militaire. Les députés de Quimperlé aux Etats ligueurs de 1592 se plaignent d’être « comme à la mercy des garnisons circumvoisines qui les ont pillez et ravagez par plusieurs et diverses fois ; comme durant les deux sièges de la ville de Hennebont, les supplians ont esté forcez, non seullement de fournir pain, vin et autres provisions, mais aussy pionnier, beufs et charrettes pour attiraille des canons. »561

Des réquisitions de bois de chauffage sont également effectuées. Par exemple, les compagnies de Frozé et de Montbarot reviennent régulièrement à Châteaugiron, et « de peur que nos maisons pourrissent dehors, ils s’en chauffoient. »562 Les réquisitions se font au préjudice direct de la population, et les soldats du baron de Molac « demandant l’ausmone à coup d’épée et de fust d’arquebuze, qui vous saluèrent d’une bonne grâce et nous festièrent à nos despens » n’ont pas bonne presse chez Duval, qui adopte un ton très ironique pour décrire ces réquisitions.563

La frontière entre la réquisition et le pillage est ténue. Nous plaçons la limite au point où les réquisitions mettent en danger la survie alimentaire des populations, ainsi en 1589 à Châteaugiron, « avec les souldarts de M. de la Tremblaye il y avoit aussy un grand nombre de soldats de Rennes, qui ne laissoint rien à Châteaugiron qu’ils ne portassent à Rennes. »564 Les troupes les mieux payées, c’est-à-dire les Suisses « ne nous firent pas beaucoup d’ennuis. »565 Preuve s’il en est qu’une bonne intendance militaire, et des soldats bien payés dans les temps limite les exactions sur le pays. Les soldats suisses sont toujours bien payés pendant leur service en Bretagne. Dans l’éventualité où leur paiement ne leur parviendrait pas, il est tout à fait possible que leur comportement avec les populations civiles s’en ressente.

561 BARTHÉLÉMY, Choix de documents inédits…, op.cit., p. 132. 562 BARTHÉLÉMY, Choix de documents inédits…, op.cit., pp. 115-117.

563 Ce type de description très ironique, et parfois humoristique des malheurs de la guerre, se retrouve aussi lors

de la guerre de Trente Ans chez Grimmelshausen.

564 BARTHÉLÉMY, Choix de documents inédits…, op.cit., p. 111. 565 BARTHÉLÉMY, Choix de documents inédits…, op.cit., p. 119.

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2) Le pillage

Le pillage est un acte de spoliation des populations civiles en période de guerre. Il n’est pas forcément accompli par des soldats, les hommes de la Fontenelle ou du comte de la Magnanne sont redoutés par les populations civiles, en raison de leur cruauté. Le pillage est un mode de contribution moins efficace pour l’armée, d’une part parce que son produit est dispersé entre les soldats et n’est pas versé au trésor de guerre des Etats, d’autre part parce qu’il dégrade les relations entre les populations et l’armée par les destructions commises. Sur la question de la violence pendant cette guerre,566 nous nous orientons plutôt vers une approche économique et sociale de la violence, car cette approche s’intègre mieux dans notre perspective stratégique que les analyses psychologiques.

La population civile n’est, dans l’optique du pillage, pas une source de revenus à long terme, mais une cible à dépouiller. Les villageois sont les cibles les plus connues, mais des aristocrates sont eux aussi des cibles très intéressantes. Ils sont en effet plus riches, et le butin potentiel est donc supérieur. La Tremblaye tente donc un raid sur la maison du sieur de Kerjolis, qui possède « neuf à dix belles paires de chevaux, et pouvoit payer rançon de neuf ou dix mille écus, outre le pillage de la maison. »567 Les lieux pillés sont généralement brûlés au moment du départ, la

plupart des observations des hommes du temps attribuent cela à la cruauté du soldat. Duval écrit ainsi que « les soldats du chasteau firent ruisner, descouvrir, abattre plusieurs autres beaux logis de la ville qui estoint vers le chasteau. A raison des avoirs que lesdits soldats du chasteau amenoint des paroisses, ils firent faucher tous les foins [et] les blasteryes de l’entour de la ville. »568 Cependant, cette véritable tactique de la guerre brûlée permet de retarder la reconstitution des richesses dans la région, et empêche ainsi les soldats de l’autre parti de faire du butin par la suite. A Châteaugiron, ce pillage permet également de renforcer le périmètre défensif du château. Les victimes du pillage sont quant à elles abandonnées à leur sort. En 1592, lorsque Champsavoy retourne chez lui, trouve sa métairie brûlée, il passe alors le reste du conflit à reconstruire ses propriétés.569 Il reste cependant relativement chanceux dans son malheur, car

566 RAVAILLE, Ludwig, « La violence en Bretagne pendant la guerre de la Ligue (1589-1598) : violences, misères

et malheurs de la guerre », Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique, 2002, 137, p. 216.

567 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 70-71.

568 BARTHÉLÉMY, Choix de documents inédits…, op.cit., p. 110.

569 RAISON DU CLEUZIOU, « Journal de François Grignart …», op.cit., p. 77.

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un pillage a aussi une forte probabilité d’amener une famine meurtrière. C’est ce qui se produit en 1597, à la suite d’une sécheresse.

3) Les indemnités des villes

Les prises de villes sont l’occasion de lever des sommes importantes en une fois. La

prise de Guingamp est une bouffée d’air frais pour les finances du parti royal. Une énorme indemnité de 40000 écus est levée, elle est répartie à hauteur de 15000 écus sur les nobles de

Guingamp qui ne se battent pas, et à hauteur de 25000 écus sur la ville.570 Cependant,

l’indemnité semble disproportionnée par rapport à la richesse économique de Guingamp par rapport aux autres villes de la province.571 La ville et ses habitants sont donc considérablement endettés et appauvris par une contribution aussi conséquente. Nous ne disposons pas de documents sur l’usage de cette somme, mais il se pourrait que Dombes ait décidé de prendre de l’avance sur les dépenses futures de la campagne. La prise de Guingamp aurait donc été un moyen de pallier à de probables retards futurs de paiement.

Dans le cas de Quimper, « sitôt qu’il fut dedans la ville, [Aumont] fit faire une levée de deniers de onze mil écus, qu’il fallut payer dans huit jours, sans autre délai. »572 Le caractère

urgent de la levée est ici caractérisé, et cette dernière est couverte par un emprunt de la municipalité auprès de ses plus riches habitants. Le montant n’est cependant qu’un peu plus du quart de ce qui avait été levé sur Guingamp. La réquisition avait donc pour but possible de subvenir aux dépenses les plus urgentes liées au siège imminent du fort de Crozon. La ville a donc été relativement ménagée sur le plan financier

Il n’est cependant pas nécessaire de prendre les villes directement pour en tirer de l’argent, le sieur du Pré gouverneur royal d’Hennebont en 1590 rançonne directement Quimperlé de la somme de 2350 écus.573 Enfin, les villes peuvent contribuer d’elles-mêmes aux campagnes militaires, Quimper fut notamment un important soutien financier des opérations en Basse-Bretagne contre la Fontenelle, notamment pour le premier siège de l’île Tristan.574

570 DOM MORICE, Mémoires pour servir de preuves…, op.cit., coll. 1537-1538. 571 Voir annexe 22.

572 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 190-191.

573 BARTHÉLÉMY, Choix de documents inédits…, op.cit., p. 132. 574 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 238.

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II)

Le risque de la bataille

Á l’instar des condotierri du XVème siècle, les commandants de l’armée n’ont que peu de raisons de se lancer dans une bataille. Lors des neuf années de conflit, seuls quelques engagements sont considérés comme des batailles : Craon, Marc’hallac’h, Loudéac, et Saint- Brieuc. De ces quatre affrontements, Craon est le plus important engageant quelques milliers de combattants de chaque côté, et ayant un résultat net. La défaite a probablement dissuadé la plupart des commandants de retenter l’expérience de cette « immense incertitude. »575