• Aucun résultat trouvé

3 « La victoire va à quiconque possède le dernier escudo »

B) Les stratégies royales

Le parti du roi en Bretagne commence la guerre dans une très mauvaise posture. Le rapport de forces lui est très défavorable. Les royaux sont isolés et en infériorité numérique, puisque

Mercœur dispose d’environ cinq mille hommes662. En 1595, malgré la mort du maréchal

d’Aumont et le départ du corps expéditionnaire anglais, le rapport de forces est nettement en faveur des royaux. Il s’agit de voir comment le parti du roi a rétabli une situation alors que « Le roi a perdu la Bretagne »663.

659 TENACE, Edward Shannon, The Spanish intervention in Brittany and the failure of Philipp II’s bid for European hegemony, 1589-1598, University of Illinois, Urbana-Champaign, 1997, p. 242. « Just as Brittany played a subordinate role in the king’s diplomatic strategy in France, so too did the Spanish military operations in Brittany. »

660 CARNÉ, Correspondances…, op.cit., t.2, p. 11.

661 LE GOFF, « Les îles et presqu’îles bretonnes… », op.cit., pp. 48-49. 662 CARNÉ, Correspondances…, op.cit., t.1, p. 6.

663 CORNETTE, Joël, Histoire de la Bretagne et des Bretons ; 1. Des âges obscurs au règne de Louis XIV, Paris,

Le Seuil, 2005, p. 478.

178

1) Le rétablissement de la situation avec Dombes

L’image de Dombes a souffert des nombreuses critiques qui ont été faites au jeune commandant : inexpérimenté, prompt à l’amusement,664 lent au devoir. Le coup le plus décisif à sa réputation fut cependant sa défaite à Craon, qui entraîna son remplacement sur une note des plus négatives. Une fois relevé de son commandement, il n’assura plus les devoirs qui n’étaient plus de son ressort et en fut à nouveau blâmé.

Néanmoins, après la mort d’Henri III, « mondit seigneur le prince de Dombes fit tout devoir de retenir les seigneurs et la noblesse en leur devoir. »665 Il y réussit semble-t-il car il n’y a pas de défection dans le haut-commandement royal à ce moment-là, à l’exception du marquis de Belle-Isle dont les positions étaient enclavées en territoire ligueur. De même, bien que sa campagne de 1589 ne soit pas un grand succès, à peine arrivé il fait lever le siège de Vitré « qui fut un très signalé service au roi. » Il accomplit néanmoins un bel exploit en parvenant à ne pas être détruit. Il repart en campagne en été 1589, prend Ploërmel et Malestroit alors que « Mondit seigneur le prince de Dombes se retire avec son armée qui estoit composée e sept cens bons chevaux et trois mille home de pied, mais celle du duc de Mercœur n’estoit pas moindre si elle ne la surpassoit, et plein de prudentes considérations ne vouloit jamais hazarder sa fortune à une bataille. »666

Pour éviter une répétition de la situation de mars 1589 où Mercœur avait pu réaliser de substantiels gains territoriaux, « aussitost que mondit seigneur le prince de Dombes fut de retour à Rennes, il rassembla toutes ses forces, et tourna la teste vers Nantes où estoit Monsieur de Mercœur qui avoit séparé les siennes par les villes, aussi que c’estoit sur la fin de l’année 1589. »667 La campagne de 1590 reposait donc sur ce vieux proverbe : la meilleure défense c’est l’attaque. De plus, en dirigeant son armée vers Nantes, Dombes nourrissait peut-être l’espoir de finir le conflit rapidement.668 Le parti royal n’est cependant plus dans une situation aussi précaire qu’en été. La remarquable capacité de survie du parti royal au début du conflit est aussi en grande partie due aux autres chefs royaux qui mènent leurs opérations contre les ligueurs avec succès, les empêchant de prendre des places royales, ou rendant leurs efforts

664 PICHART, « Journal », in Le journal de Jean Pichart, op.cit., p. 47.

665 MONTMARTIN, « Mémoires… », in Histoire ecclésiastique…, op.cit., p. cclxxxii. 666 MONTMARTIN, « Mémoires… », in Histoire ecclésiastique…, op.cit., p. cclxxxiii. 667 MONTMARTIN, « Mémoires… », in Histoire ecclésiastique…, op.cit., p. cclxxxiv. 668 RAISON DU CLEUZIOU, « Un capitaine protestant… », op.cit., p. 24.

179

inutiles en les reprenant juste après : Couesquen et Molac à Loudéac669, Sourdéac à Saint-

Brieuc670, Sorhouette à Moncontour671, Villevoisin à Malestroit672 pour ne citer que les plus

éminents succès des lieutenants de Dombes.

2) Les entreprises d’Aumont

Les résultats obtenus par d’Aumont sont indéniables, mais il a également bénéficié d’un discours emphatique au XIXème siècle, qui a peut-être quelque peu exagéré ses exploits sur le terrain, par exemple cette antithèse de Trévédy : « l’héroïque septuagénaire, armé d’une ardeur juvénile. »673

La campagne de 1594 fut le principal fait de guerre du maréchal, mais dès 1593, il avait été en mesure de contraindre militairement Mercœur à observer la trêve générale décidée entre Henri IV et Mayenne. Le fait que Mercœur ne soit pas passé à l’offensive en 1594 a permis au maréchal d’Aumont de prendre l’initiative et d’imposer les lieux et les temps de l’affrontement, qui lui furent généralement favorables. Pour Morlaix, il bénéficie de la conjuration des bourgeois de la ville qui lui permet de lancer le siège du château en position de force, puisqu’il n’a pas eu à prendre la ville par un siège. Les dissensions de Mercœur et don Juan del Aguila arrangent également bien ses affaires, puisque ses adversaires sont désormais divisés face à lui. Il concentre donc ses forces sur Mercœur, assurant donc les intérêts des royaux en Bretagne d’abord, en achevant le siège de Morlaix, puis en prenant rapidement Quimper. Une trêve est ensuite signée avec Mercœur, lui laissant donc l’opportunité d’éliminer le fort de Crozon. La passivité de d’Aguila et ses opérations de retardement lui permettent de prendre le fort à temps. Les divisions de Mercœur et d’Aguila sont consommées, et pour 1595, l’effort devait se porter surtout sur Mercœur, pour sortir de la guerre l’élément le plus faible de ses ennemis.

Si les sentiments du maréchal pour la comtesse de Laval ont peut-être joué dans sa décision funeste d’aller assiéger Comper, il n’en est pas moins vrai que « le chasteau de Comper estoit entre les mains des ennemis qui incommodoit Rennes et tenoit en crainte le chemin de la Basse-

669 THOU, Histoire Universelle…, op.cit., t.8, p. 3. 670 AMBROISE, « Une bataille… », op.cit., pp. 251-259. 671 THOU, Histoire Universelle…, op.cit., t.8, p. 328. 672 THOU, Histoire Universelle…, op.cit., t.8, p. 12.

673 TRÉVEDY, « Etats de l’armée royale… », op.cit., p. 133.

180

Bretagne. »674 Alors que le territoire contrôlé par les royaux va de Pont-l’Abbé à Vitré, le fait

que leur capitale soit encore sujette à des raids de la part de petites garnisons est un affront qui mérite d’être lavé. De plus, Comper menaçant la sécurité des communications royales entre la Haute et la Basse-Bretagne, sa prise permet de faciliter les déplacements de régiments et les renforcements de places éloignées.

3) La mise en place d’un immobilisme

Trévédy écrit qu’ « il ne peut faire de doute que, si le maréchal avait survécu, la paix n’eût été signée avant le 29 mars 1598. Mes ses successeurs ne surent pas poursuivre l’exécution de ses plans de campagne. »675 Nous ne partageons absolument pas cette analyse, en effet les difficultés financières réduisent significativement la capacité de l’armée à combattre à partir de la fin de 1595. Face au déséquilibre des finances, Saint-Luc et les délégués des Etats sont obligés de réduire la taille de l’armée d’environ 20% pour couvrir les dépenses de guerre. Cette réduction s’ajoute aux difficultés qu’avait généré le départ des Anglais plus tôt la même année. En un an, les partisans favorables à Henri IV ont perdu plus de 3000 hommes, mais les Espagnols et les ligueurs n’ont pas les moyens de profiter de cette faiblesse.

Branche de l’armée Ancien

effectif

Nouvel effectif Variation Nouveau coût

(en écus/an) Salades 773 619 -20% 98 581 Chevau-légers 440 356 -19% 40 390 Arquebusiers à cheval 300 150 -50% 14 376.66 Arquebusiers 4792 3834 -20% 191 350 Régiments 14 9 -36% 126 300 Total 6305 4959 -21% 470 997.66

Figure 12 Les réductions d'effectifs de 1595676

674 MONTMARTIN, « Mémoires », in Histoire ecclésiastique…, op.cit., p. cccvii. 675 TRÉVEDY, « Etats de l’armée royale… », op.cit., p. 133.

676 AD35, C2644, f° 269-272.

181

En plus des expédients, les besoins de la guerre sont également couverts par les impôts ordinaires, dont le montant à lever reste stable ou augmente. La charge relative à la capacité de paiement des populations locales augmente. Ce phénomène semble être arrivé très tôt à Châteaugiron, car à partir d’octobre 1590, Duval se plaint des « fouages, tailles excessives à Châteaugiron. »677 La ville, selon son récit, avait été pillée neuf fois pendant l’année 1589. En

Basse-Bretagne, moins touchée au début du conflit, ce n’est qu’à partir de 1596, dans l’évêché de Cornouailles qu’ « il ne se recoit presque aucuns sols du fouaige dudit evesché et pour ça demande estre deschargé de ladite somme. »678