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3 « La victoire va à quiconque possède le dernier escudo »

C) La reprise de l’initiative sur Mercœur

La situation à partir de 1596, où le conflit s’enlise avec une succession de trêves, témoigne de l’épuisement du pays. Pourtant si Mercœur est en difficulté, il n’est pas complètement défait, et sa situation ne s’est pas effondrée d’un seul coup. Sa capacité à mener campagne est peu à peu usée lors du conflit. C’est ce que nous allons chercher à comprendre.

1) La diminution des ressources de Mercœur

Dès 1591, Mercœur est obligé d’avoir recours aux Espagnols pour renouveler l’équipement de ses troupes.679 Les difficultés financières de Mercœur sont telles qu’après le siège de Morlaix « la générosité reçut un nouveau lustre de l’impuissance où se trouva le duc de Mercœur de l’imiter : car au lieu que le maréchal paya seul la rançon de tous les gentilshommes qui avoient été faits prisonniers à son service ; ceux de l’armée du duc furent contraints de payer chacun la leur. »680 Nous n’avons cependant pas trouvé trace de paiement de rançon dans les comptes de

l’extraordinaire de la guerre, mais il est possible que d’Aumont ait payé les rançons sur ses fonds personnels.

677 BARTHÉLÉMY, Choix de documents inédits…, op.cit., pp. 112-113. 678 AD35, C2885, f° 122.

679 CARNÉ, Correspondances…, op.cit., t.1, p. 56. 680 THOU, Histoire Universelle..., op.cit., t.8, p. 517.

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Après 1594, dans son premier serment d’allégeance à Philippe II, Mercœur admet que les ligueurs sont considérablement affaiblis car « la melleur part des deniers qui les maintenayent cidevant ce levoyent sur la Basse Bretaigne, qui c’est perdu, avec la perte du pays ; joint aussy que la grande prospérité qu’il ce voit des affaires des ennemis aporte beaucoup plus de difficulté

de les moyntenir au parti que par le passé ».681 La campagne d’Aumont, en prenant des

territoires acquis au chef de la Ligue en Bretagne, a considérablement réduit les ressources de Mercœur, et par conséquent ses capacités à poursuivre la guerre. Il ne peut presque plus obtenir de résultats sur le terrain, du coup son parti s’affaiblit encore plus.

La situation devient tellement catastrophique pour Mercœur que Duplessis-Mornay estime alors qu’il ne dispose plus que de 250 cavaliers et un millier de fantassins.682 Dans ces circonstances, le soutien espagnol est indispensable pour continuer la lutte, et il est obligé de se rapprocher de plus en plus de Philippe II, aux dépens de ses plans initiaux. La perte de Dinan au début de l’année 1598 a presque valeur de coup de grâce. Les royaux ont pris presque sans effort une place qui aurait nécessité un long siège, mais ils ont surtout pris son second centre administratif après Nantes, et ses ateliers de frappe de monnaie.

2) Les campagnes de Dombes

La campagne de 1590, bien qu’une partie des conquêtes fussent perdues la même année, présentait de solides acquis : Saint-Brieuc et Moncontour notamment. Lamballe fut également pillée.683 Les opérations dans le Penthièvre, qui ont été décrites comme une volonté de revanche contre Mercœur,684 offraient deux avantages majeurs pour la cause royale. D’une part, il s’agissait des actifs personnels de Marie de Luxembourg qui étaient attaqués, ce qui a pu diminuer quelque peu la hardiesse de Mercœur sachant que les royaux avaient les moyens de mener des représailles. Il est possible que l’attaque dans cette région ait été un coup dur aux finances de la Ligue, puisque les prélèvements seigneuriaux sont faits directement au profit du chef ligueur dans la province. D’autre part, ces prises renforçaient le cœur du parti royal en Haute-Bretagne, et ouvraient la possibilité de renforcer et de combiner les forces de Haute et

681 CARNÉ, Correspondances…, op.cit., t.2, p. 69.

682 DUPLESSIS-MORNAY, Mémoires…, op.cit., t.6, p. 200. 683 THOU, Histoire Universelle…, op.cit., t.7, p. 678.

684 POCQUET, Histoire de Bretagne, op.cit., p. 172. « Pour se dédommager de ses déconvenues et se venger d’une

façon qu’il pensait devoir être particulièrement sensible à Mercœur, Dombes résolut de lui enlever les principales places du Penthièvre, le riche patrimoine personnel de la duchesse. »

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de Basse-Bretagne à plus long terme. Un projet d’attaque sur Guingamp avait même été envisagé, mais l'arrivée de l’armée de Mercœur le tua dans l’œuf. Les pertes de Blavet de de Hennebont étaient des revers majeurs pour cette année-là mais ces places étaient enclavées en plein territoire ligueur, et difficiles à tenir malgré leurs bonnes défenses. En 1591, Guingamp fut prise, et la route de la Basse-Bretagne était presque ouverte.685

Les campagnes de Dombes avaient donc une réelle vision d’ensemble, et les gains les plus substantiels ont été pour la plupart conservés jusqu’à la fin du conflit.686 Des choix regrettables ont cependant mené à des désastres : principalement le siège de Lamballe en 1591 qui devait coûter la vie à l’un des meilleurs conseillers que Dombes avait à sa disposition, et la tentative de prendre Craon, dont le siège devait s’éterniser par manque de moyens, avant de se finir par un fiasco avec la bataille. Notons cependant que, malgré le cantonnement de l’armée de Dombes dans les garnisons, seules des places d’importance mineure tombèrent en Bretagne : Château- Gontier, Sablé, puis Quintin et Saint-Brieuc.687 La bataille fut en revanche un désastre complet pour les forces royales du Maine, la province fut presque entièrement reprise par la Ligue.

3) Les compromis franco-anglais

La principale préoccupation des Anglais en Bretagne est d’empêcher l’Espagne de Philippe II de prendre le contrôle de points d’appui clés dans la province. Il s’agit essentiellement de Blavet, et surtout de Brest. Devant l’arrivée du corps expéditionnaire espagnol en 1590, le gouvernement anglais décide d’envoyer 3000 hommes en Bretagne, mais ce ne sont que 2400 soldats qui débarquent à Paimpol en mai 1591. L’effectif du corps expéditionnaire anglais n’est alors que de 60% du corps expéditionnaire espagnol au même moment. Le but était donc de rendre la défaite des royaux improbable, en les laissant absorber le gros de l’effort financier et des pertes, d’où le constant mécontentement sur l’engagement royal en Bretagne. En décembre 1591, Elizabeth Ière reproche ainsi à Henri IV « le peu de forces que sa majesté a en Bretaigne contre la promesse qui lui avoit été faite »688

685 POCQUET, Histoire de Bretagne, op.cit., p. 199. Il qualifie Guingamp de « clef de la Basse-Bretagne. » 686 Contrairement à ce qu’affirme POCQUET, Histoire de Bretagne, op.cit., p. 181. « L’année 1590 se terminait

par une victoire pour les ligueurs […] la province était perdue pour Henri IV. Le jeune Henri de Bourbon, prince de Dombes, incapable et léger, n’avait même pas su maintenir les rares avantages qu’il avait obtenus. »

687 POCQUET, Histoire de Bretagne, op.cit., p. 225.

688 DUPLESSIS-MORNAY, Mémoires…, op.cit., t.5, p. 136.

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Une fois d’Aumont arrivé, la situation change en raison de la menace que dessine de plus en plus clairement sur Brest le fort de Crozon. La campagne de 1594 fut le symbole de ce compromis. Norreys a accepté d’aider d’Aumont à prendre des villes qui n’aidaient que marginalement à la réalisation de ses objectifs comme Quimper. Il donnait donc à d’Aumont les moyens de battre Mercœur. En échange, il a obtenu que l’objectif principal de la campagne soit le fort de Crozon.

La question de Morlaix suscite l’ire des Etats, pour qui cette cession « verroit une félonnie angloise, laquelle se rendroit maitresse de la mer, et de toutes les négotiations maritimes. »689 Dans le même temps, Elizabeth Ière réclame régulièrement la cession de ce port, justifiant les craintes d’Aumont et des Etats.

Le compromis vole cependant en éclat une fois le fort de Crozon détruit. Les Espagnols n’ont plus les moyens de retenter de prendre Brest, et la présence anglaise en Bretagne n’est plus justifiée par l’impératif de sécurité des Home Islands. Le corps expéditionnaire est donc retiré, bien que Duplessis-Mornay conserve un espoir « d’envoyer un homme de qualité, bien entendu aulx affaires de la province vers la royne d’Angleterre, pour la disposer par ung nouveau traicté à redonner des forces à ceste province. »690

II)

L’importance de l’augmentation des ressources

Les coûts de la guerre sont à la fois un fardeau à supporter par la province pour soutenir l’armée, mais ceux-ci sont également une charge pour les autres belligérants. La concurrence entre les différents partis pour les ressources, notamment financières est l’un des moteurs de la guerre civile.