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3 « La victoire va à quiconque possède le dernier escudo »

B) Les retards chroniques

La situation militaire de la province nécessite un effort financier conséquent. Les Etats, en échange d’un contrôle sur la gestion des fonds ont consenti à un effort important qui ne suffit cependant pas à garantir le bon entretien de l’armée. L’insécurité dans la province complique également les transferts de fonds, si bien que les soldes sont régulièrement payées en retard. Cette situation a pour effet induit de contraindre les cadres des unités à engager leur richesse au service du roi, et les lie à ce service.

1) Les garnisons

Les garnisons présentent un avantage pour le paiement des soldes, en effet, leur localisation géographique est connue à l’avance. Il n’y a donc pas de besoin de se renseigner pour savoir où trouver la garnison. En revanche, il faut un peu de temps pour trouver le terrain pour effectuer la montre, généralement un terrain dégagé comme un champ ou une place d’armes s’il y en a une.

Lors de la session des Etats de novembre 1595, « Saint Luc fait scavoir que le sujet desdites nouvelles levées provient du deffault de fonds qui s’est trouvé court èsdites garnisons dès le septième mois de l’année ainsy qu’il sera attesté tant par le sieur général Miron que ledit Robichon. »519 Le phénomène est également constaté pour l’année 1594 pour toute l’armée par Philippe Hamon.520 Mener une armée en campagne nécessite une importante quantité de fonds, pour payer les hommes bien entendu, mais aussi pour assurer tous les autres frais : livraisons de poudre, de vivres, de matériel de siège. L’offensive en cours doit probablement concentrer l’effort financier de la province pour tenter d’obtenir des résultats. Les retards de solde dans les garnisons, qui sont surtout constatés pendant l’été avant de se régulariser en pendant l’hiver et au début de l’année suivante, sont donc les résultats d’un choix stratégique. La priorité est

519 AD35, C2644, f° 205.

520 HAMON, « Payer pour la guerre… », in Les modalités de paiement…, op.cit., p. 23-24.

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donnée pour le renversement de la situation militaire, c’est-à-dire que les dépenses de campagne sont privilégiées, plutôt que pour le maintien de l’équilibre des forces, que les garnisons assurent.

En plus des retards de solde, les garnisons lèvent régulièrement des fonds pour les fortifications sur le plat-pays, pour compenser un réel manque à gagner. Les Etats de Bretagne exigent en 1595 la fin de ces pratiques, et des réquisitions qui y sont liées. Ils exigent même que les biens soient restitués, mais leurs espoirs sur ces restitutions sont limités.521 Les populations font donc les frais d’une sorte d’autofinancement local par les garnisons, puisque les autorités provinciales n’arrivent pas ou plus à le faire.

2) En campagne

Les armées en campagne sont plus difficiles à payer que les garnisons de manière générale. D’une part, l’effectif de l’armée en campagne est nettement plus sensible aux variations que celui des garnisons. La tâche des commissaires et des contrôleurs, ordinaires ou extraordinaires, est donc compliquée puisque le montant à provisionner ne peut être déterminé avec une grande précision. Il est donc calculé à partir de l’effectif théorique dans les divers Etats de dépenses qui nous sont parvenus.522 D’autre part, l’armée est en mouvement dans des régions qui sont au mieux déjà contrôlées, mais qui sont le plus souvent contestées ou en territoire ennemi. Cela n’est pas surprenant puisque l’armée en campagne a vocation à prendre des places, mais il s’agit d’un facteur supplémentaire de difficulté pour les officiers de finances. Il faut conserver des communications, prévoir une escorte, et avoir un peu plus de fonds pour payer les gratifications des hommes qui se sont distingués.

En 1594, l’armée n’est pratiquement pas payée lors de la campagne, ce qui nous a surpris au premier abord. Cependant, il est peu pertinent de payer les unités alors que leur effectif sera probablement réduit plus tard dans la campagne. Une montre de ce que nous pensons être toute l’armée est menée à Locronan le 3 décembre 1594, une fois que les troupes ont été rafraîchies après le siège.523 Il est également probable que leur nombre soit moindre que juste après la prise du fort, en raison du décès probable de dizaines de soldats blessés dans les assauts, et des

521 AD35, C2644, f° 98-99.

522 Pour l’année 1589, voir AD35, C3669.

523 AD35, C2913, f° 69-70, f° 86-90, f° 93-95, f° 105-107, f° 111-113, f° 117-119, f° 127-128, 143-145, f° 151-

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malades en phase terminale. La situation se répète en 1595, aucune unité de l’armée en campagne n’est payée lors du siège de Comper. Les fonds sont alors probablement dirigés en priorité vers l’achat de matériel susceptible de faire avancer le siège, et sur son acheminement sur le lieu du siège : en l’occurrence du bois et de la toile pour les gabions, de la poudre pour les armes à feu, des vivres pour les hommes, des corps gras pour les explosifs, mais aussi le paiement des commerçants et des artisans qui aident l’effort de l’armée. Pour 1597, nous n’avons pas de données nous permettant d’établir une analyse probante.

3) Les rustines

De manière générale, par exemple en 1593, les fonds levés par les Etats « ne seroient suffisans pour satisfaire aux frais de l’armée que mondit seigneur le mareschal entend mettre sus et qu’il estoit bien plus propos et à moindre foulle du peuple s’imposer jusques à six écus par chacune pipe. »524 L’augmentation des impôts est donc l’un des moyens utilisés pour tenter de réduire les retards, mais ses effets ne se font sentir qu’un an plus tard. De plus, les impôts lourds s’additionnent aux contributions de guerre, et aux pillages. La solution n’est donc pas pérenne à long terme, et ses effets vicieux se font vite sentir sur les populations. L’année suivante, il n’est pas garanti que les populations soient en mesure de payer les impôts.525

Le recours aux prêts est une autre solution, avec ses avantages et ses problèmes. Les fonds sont disponibles beaucoup plus rapidement, et certains prêteurs sont même en mesure de mobiliser des sommes importantes. Le principal inconvénient est que le crédit doit, théoriquement, être remboursé avec des intérêts. Les intérêts amputent mécaniquement une partie du budget de l’année suivante pour rembourser les prêts contractés.526 Il s’agit donc là aussi d’une solution de court terme, qui peut permettre une ouverture, mais qui ne peut faire gagner la guerre.

Enfin, les officiers sont souvent obligés d’avancer des fonds. Cette pratique est très proche du prêt, mais contrairement à ce dernier, l’administration ne paye pas d’intérêts. Nous n’en avons pas trouvé directement trace.527 Les fonds levés sont généralement assez réduits

524 AD35, C2643, f° 367. 525 AD35, C2912, f° 156. 526 AD35, C2916, f° 27.

527 AD35, C2913, f° 336. La garnison de Tonquédec n’est pas payée entre avril et décembre, difficile de ne pas

penser que le gouverneur de la place n’a pas engagé une partie de ses ressources pour retenir ses hommes.

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puisqu’ils dépendent de la capacité de l’officier à mobiliser son crédit personnel. Cette méthode est donc très variable. Ce crédit forcé auprès des officiers de l’armée a cependant des conséquences qui peuvent être très dangereuses. En effet, les fonds doivent être remboursés assez rapidement pour éviter la ruine de l’officier qui a avancé les fonds. Le maréchal d’Aumont lui-même est mort criblé de dettes, tout comme la Noue ou encore La Hunnaudaye. Pour des capitaines moins importants, le non-remboursement peut mener à la ruine, et à l’abandon du poste dans l’armée. Les avances de fonds facilitent donc le remplacement des capitaines dans l’armée.