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3 « La victoire va à quiconque possède le dernier escudo »

A) Les modalités du paiement

Les fonds utilisés pour le paiement des soldes font l’objet de contrôles pour vérifier leur bonne utilisation. Ces contrôles ont laissé une abondante documentation, très utile pour examiner la situation de l’armée à un moment donné.

1) Le rituel de la montre

La montre est une revue des troupes qui autorise le paiement des soldats. Pour qu’elle ait lieu, un service d’une certaine durée doit avoir été accompli. Dans notre conflit, le mois comptable de 35 ou 36 jours est un standard quasi universel, en théorie du moins, ce qui est surprenant pour une institution d’Ancien Régime.514 Une fois le service accompli, un trésorier

et un contrôleur sont censés venir payer les troupes si deux conditions sont remplies : d’une part qu’il y ait des fonds dans les caisses pour payer les hommes, d’autre part que le voyage ne soit pas trop dangereux pour éviter que les fonds ne soient interceptés.

Si les fonds manquent pour payer le service, la montre est généralement repoussée au mois suivant en espérant avoir les fonds disponibles pour payer le service de deux mois. Le cycle peut se répéter sur plusieurs mois supplémentaires si les fonds continuent à manquer. Des prêts sont aussi utilisés. Nous n’avons malheureusement trouvé aucune information sur les modes de locomotion et de stockage de l’argent, tant pour les caisses des Etats que pour le transport vers les lieux de montre. Une fois les officiers arrivés, le capitaine réunit sa compagnie en armes, c’est-à-dire que les hommes viennent avec leur équipement et leurs armes.

514 Des dépenses sont toutefois payées avec des mois de 30 jours, AD35, C2913, f° 45-46.

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La montre débute alors, les officiers inspectent les hommes et vérifient que ces derniers sont en état de combattre. Le paiement est alors autorisé. Les hommes sont payés chacun leur tour, en commençant par le plus haut gradé et en descendant progressivement vers les soldats. Une fois les hommes payés, le capitaine signe une quittance et un rôle de la montre est dressé pour justifier de l’opération. L’officier repart alors et verse, s’il y en a, les fonds excédentaires dans la trésorerie. Il fournit également le rôle de la montre515 et la quittance du capitaine pour un contrôle ultérieur.

2) Le rôle de la montre

Les rôles de montre sont l’une de nos sources principales, et il est bienvenu de préciser la logique de ces documents. Dans les comptes de l’extraordinaire des guerres, ce sont plusieurs centaines de rôles qui sont recopiés. Leur but est de justifier le montant des dépenses qui vient d’être payé, mais aussi de faire savoir à une éventuelle instance de contrôle que les procédures ont été bien respectées.516

Le rôle de montre contient certaines informations pour accomplir cet objectif. Il s’agit d’abord des informations qui permettent d’identifier le paiement : le nombre et le type de soldats, le nom du capitaine. S’il s’agit d’une compagnie intégrée dans un régiment, le régiment est également identifié, cette fois par le nom de son mestre de camp.

Nous entrons ensuite dans la véritable procédure comptable. Le montant du paiement est écrit en toutes lettres. Pour le justifier, le service est ensuite détaillé : date de début, date de fin, et durée du service. L’autorité qui autorise le paiement est alors spécifiée, généralement il s’agit du maréchal d’Aumont et d’un état des dépenses, probablement disparu aujourd’hui. L’état des dépenses en question est lui aussi daté.

Désormais, les sommes versées à chaque individu sont détaillées en fonction des grades, de manière décroissante. Le capitaine est ainsi toujours nommé, puis les noms disparaissent, mais le grade et la somme versée perdurent. Si le service porte sur plusieurs mois, la somme mensuelle et la somme totale sont indiquées.

515 Un rôle de montre a survécu. AD35, 1F 1124, Fonds la Borderie.

516 Voir annexe 27. Quelques centaines de rôles sont recopiés dans les comptes de l’extraordinaire. AD35, C2912,

C2913, C2914.

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Enfin, quelques renseignements viennent clôturer le rôle de montre dans cet ordre : le lieu de la montre, le nom et la fonction des agents qui ont versé la somme, la date de la montre, des renvois aux documents faisant preuve. Le montant total est enfin réinscrit à la fin du rôle pour faciliter les calculs.

3) La question des absents

Sur la question des absents, le problème n’existe théoriquement pas. Les absents lors des montres ne sont tout simplement pas payés, en vertu des ordonnances royales. Cependant, la réalité est bien différente de la réglementation royale. Si la majorité des absents ne sont effectivement pas payés, il existe une minorité significative de cas où les absents sont en fait bien payés, contre toutes les procédures comptables.

Dans la compagnie de gendarmes du comte de Châteauroux, en 1594, le capitaine est absent lors des montres. Il s’agit en effet du fils du maréchal d’Aumont, qui n’est pas présent dans la province. Il est cependant bien payé lors de la montre. L’explication de ce cas est assez facile, le maréchal a le pouvoir d’ordonner les dépenses au trésorier des Etats. Il a donc très certainement usé de son influence pour faire payer son fils absent.517 Il y a certainement d’autres

cas d’interférence en faveur de sa clientèle, ou de celle d’autres personnages influents.

L’année suivante, en 1595, Jacques Hubelin, maréchal des logis du régiment des Suisses, « demeuren mallade en la ville de Paris » est payé 40 écus pour un mois de service sous forme de prêt.518 L’explication est ici sensiblement différente. Le régiment de Suisses est une unité très onéreuse, et le non-paiement d’un personnage aussi important est très préjudiciable au service du roi. Hubelin fait en effet partie de la poignée de Suisses dont nous connaissons le nom dans les comptes de l’extraordinaire des guerres. Les Suisses sont également payés par unité, non par homme comme les unités françaises. Ceci veut dire que le coût financier d’une compagnie n’est pas indexé sur son effectif, une compagnie peut donc perdre un tiers de ses hommes et être toujours payée la même somme toutes les semaines. La relation entre les Suisses et le roi de France étant contractuelle, celui-ci est obligé de passer les unités de Suisses. Le

517 AD35, C2913, f° 26. 518 AD35, C2914, f° 167.

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maréchal des logis est vraisemblablement considéré comme tel, ce faisant il est payé alors qu’il est absent.