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1 L’armée royale : anatomie d’une institution

B) Renverser l’équilibre stratégique

A la fin de 1589, le parti royal est en difficulté. Mercœur et ses soutiens contrôlent la majorité de la province. Les royaux sont cependant loin d’être vaincus, ils contrôlent notamment Rennes, siège du Parlement, Vitré, accès vital pour les renforts venus du reste du royaume, et Brest, point d’appui sur la Basse-Bretagne. Blavet, isolée en territoire ligueur est aussi sous contrôle royal. En plus de ces places principales, les royaux possèdent aussi Ploërmel,

224 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 99.

225 DUPLESSIS-MORNAY, Mémoires…, op.cit., t.7, p. 30.

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Tonquédec, Corlay, Châteaugiron, Rostrenen, le château de Saint-Malo, ceux de Kérouzéré et de la Latte226. Désormais, l’armée doit reprendre la province, en suivant certaines orientations.

1) Sécuriser les axes de communication

Le contrôle des axes de communication terrestres permet de disposer du commerce de son parti, et de celui de l’ennemi. Après l’échec des négociations d’Ancenis, Duplessis-Mornay suggère d’installer une garnison à Ancenis pour harceler le commerce vers Nantes.227 A l’instar de Blain, qui avait été une nuisance majeure au commerce au début du conflit, des garnisons peuvent nuire sérieusement au commerce. Il est donc nécessaire de maintenir le contrôle des axes de communication, non seulement pour sécuriser le commerce à destination des villes sous le contrôle du roi, mais aussi pour empêcher les ligueurs de faire la même chose. Montmartin, en février 1590 mène une opération de ce type en attaquant les forts que les ligueurs des environs construisaient pour bloquer Vitré, rendant sa garnison inutile et bloquant d’éventuels renforts.228 De plus, les attaques sur le commerce permettent de saisir la cargaison au bénéfice direct ou indirect du parti du roi.

Une embuscade peut également être utile pour intercepter un messager ou un chef ennemi, tel le sieur de Kerhir.229 Aucun parti ne fut jamais en mesure de contrôler pleinement les axes de communication, leurs forces étant trop faibles pour faire face à celles de l’autre parti ou aux groupes de brigands, mais la présence de forces aux environs permet de concentrer des soldats aux points nécessaires dans un but offensif ou défensif. Duplessis-Mornay en est conscient et déclare ainsi que « vostre majesté se pourra asseurer que son pays se pourra conserver, ses finances par conséquent levées avec plus de facilité, et les ennemis qui sont en ces provinces plus capables d’entendre à la raison, se voyant de toutes parts empeschés de mal faire. »230 La

reprise rapide de la Basse-Bretagne limite ainsi les dégâts sur le commerce, qui n’est pas menacé par un changement complet de parti dans la région. A l’inverse, lorsque des régions sont disputées, comme le nord du comté de Nantes, le commerce est beaucoup plus difficile, en particulier lorsqu’une stratégie le vise directement et de manière systématique. Le contrôle des

226 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 20.

227 DUPLESSIS-MORNAY, Mémoires…, op.cit., t.6, p. 244. 228 THOU, Histoire Universelle…, op.cit., t.7, p. 675. 229 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 65.

230 DUPLESSIS-MORNAY, Mémoires…, op.cit., t.7, p. 31.

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routes, pistes et ponts permet également de disposer d’un réseau d’informateurs au profit de l’armée, réduisant ainsi drastiquement les chances que l’ennemi parvienne à utiliser l’effet de surprise.

2) L’enjeu des ressources fiscales

Dès le début de la guerre, les deux partis lèvent des contributions pour payer leur armée sur le territoire ennemi. En effet, « le contrôle des moyens de cette mobilisation [financière] s’impose alors très tôt comme un enjeu fondamental pour les partis en présence. »231

Lorsque Dombes arrête sa campagne à l’été 1590, « pendant ces jours, monsieur le duc de Mercœur est à Fougères, où il songe bien en d’autres choses qu’à courir la bague. Il a son armée devant Pontorson, il fait tailles et levées de deniers sur les paroisses d’alentour et mesme jusques à Cesson aux portes de cette ville qu’il impose et taxe trente escus par mois. C’est une grande bravade aux nostres. »232 Au même moment, Liscoët et Chivigny lèvent 4025.33 écus sur le plat-pays rebelle avec l’aide de Mathurin Auffray, receveur des fouages de l’évêché de Saint- Brieuc.233 Ces contributions sont donc réalisées par des personnels financiers encadrés par des

soldats.

Début 1593, « Mercœur avoit logé dans une ville nommée la Guerche, à sept lieues de Rennes avec quatre cens hommes, et bien qu’elle eust esté démantelée, si est-ce qu’il la faisoit fortiffier pour sa belle assiette et bon païs où elle est située, et ceux qui y estoient faisoient crier tout le pays, et spécialement la ville de Rennes. »234 La Guerche est reprise plus tard en 1593 par Saint-Luc et une garnison royale y est installée pour éviter la reproduction d’un tel scénario, qui écorne à la fois les finances et le prestige du parti du roi. Les territoires nouvellement conquis sont parfois mis à contribution pour rassembler les fonds requis pour poursuivre la campagne, ainsi après la prise de Quimper, « [Aumont] fit encore une autre levée de cinq à six mille écus, et il n’y eut paroisse aux champs qui ne fut chargée excessivement, les unes à huit cents écus, les autres à cinq cents, selon qu’il jugeait qu’elles pouvaient supporter, et à toute

231 SOURIAC, Pierre-Jean, « Comprendre une société confrontée à la guerre civile : le Midi toulousain entre 1562

et 1596 », Histoire, économie & société, 2004/2 23e année, p. 270.

232 PICHART, « Journal », in Le journal de Jean Pichart…, op.cit., p. 50. 233 DOM MORICE, Mémoires pour servir de preuves…, op.cit., coll. 1510.

234 MONTMARTIN, « Mémoires… », in Histoire ecclésiastique…, op.cit., p. ccxcviii.

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rigueur ».235 Le système d’imposition par répartition, notamment utilisé pour le fouage,

présente ainsi l’avantage de pouvoir s’adapter aux besoins de la guerre puisque la somme désirée est définie à l’avance. Notons également que la place de Paimpol ne peut pas être taxée par les Anglais.236 L’assiette fiscale d’une ville est trop importante pour être partagée avec l’allié anglais.

3) Neutraliser les chefs ennemis

Les chefs militaires sont des cibles naturelles en raison de leurs fonctions. La réflexion de Moreau, « mais, quand le chef est à bas, les membres s’étonnent »237, est sans doute bien plus vraie que l’on ne pourrait le croire au premier abord. Les rançons sont couramment exigées des chefs de guerre comme Coëtnisan à Kérouzéré, mais aussi des personnages moins importants

comme le sieur de Champsavoy, capturé avec sa famille à la Fosse aux Loups en 1590.238

Certains personnages sont parfois détenus pour de longues périodes sans être rançonnés, généralement à cause de griefs personnels comme pour Goesbriand, ou le marquis de la Roche,239 mais aussi en guise de punition comme pour le sieur du Goust qui reste jusqu’à la fin

du conflit dans les geôles de Mercœur avant d’être enfin libéré. Cependant, les prisonniers nobles sont rarement exécutés, car des représailles sont toujours possibles. Les sieurs ligueurs de Guébriand et de Carné sont ainsi emprisonnés en janvier 1592 « à cause que ledit La Tremblaye y a aussi esté resseré à Nantes. »240

C’est peut-être dans la préparation du siège d’Hennebont qu’une tentative d’assassinat a lieu le 4 janvier 1590 sur Jérôme d’Aradon. Deux soldats sur ordre du sieur de Keravéon viennent le tuer, ils sont découverts et arrêtés. L’un d’eux est pendu, l’autre libéré.241 D’Aradon est la cible d’une seconde tentative le 9 janvier, où un autre soldat est pendu pour avoir voulu le tuer contre une somme de 200 ou de 300 écus. La prime mise sur la tête d’Aradon est une somme fort conséquente pour un simple soldat, et nous supposons que plusieurs hommes furent volontaires avec une telle récompense. Remarquons également que les assassins ont

235 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 191.

236 BARTHÉLÉMY, Choix de documents inédits…, op.cit., p. 146. 237 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 206.

238 RAISON DU CLEUZIOU, « Journal de François Grignart… », op.cit., p. 70. 239 MONTMARTIN, « Mémoires… », in Histoire ecclésiastique…, op.cit., p. cclxxvii. 240 PICHART, « Journal », in Le journal de Jean Pichart…, op.cit., p. 66.

241 ARADON, « Journal… », in Histoire ecclésiastique…, op.cit., p. cclxiiii.

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simplement été pendus, et n’ont pas eu à subir de peine extraordinaire comme la roue ou l’écartèlement, signe que l’usage s’il n’est pas toléré, n’est pas assimilé aux crimes les plus graves.

Même les personnages les plus importants de la province ne sont pas épargnés. En 1591, Dombes est informé d’une « entreprise contre sa personne »242, en d’autres termes un assassinat, et fait décapiter l’homme envoyé pour le tuer : le sieur de Roscal. La décapitation du sieur de Roscal conforte notre analyse sur les châtiments des assassins développée plus tôt. Duplessis- Mornay projette de faire enlever Mercœur pour accélérer la fin de la guerre en 1595243. Nous ne pouvons déterminer si la ligue bretonne allait s’écrouler telle un château de cartes une fois son chef capturé, mais l’opération promettait beaucoup tout en coûtant peu. Il n’est donc pas surprenant qu’elle ait été tentée, mais le détachement envoyé fut défait par les royaux qui n’étaient pas dans la confidence, et le projet tomba à l’eau.244 Si les assassins réussissent assez peu en Bretagne, quelques personnages remarquables tombent tout de même sous leurs coups. C’est notamment le cas du marquis d’Assérac, assassiné en 1595 à Paris.