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Les garnisons : symbole et artère de la guerre d’usure

3 « La victoire va à quiconque possède le dernier escudo »

B) Les garnisons : symbole et artère de la guerre d’usure

Trop souvent considérées comme un fardeau imposé par les chefs de guerre pour les habitants et les délégués des Etats, les garnisons remplissent un rôle de stabilisation du conflit. Là où une campagne désastreuse peut mener à une défaite décisive, les garnisons produisent un effet de stock. L’armée défaite peut se revigorer en ponctionnant les garnisons, ou en se retranchant le temps de recevoir des renforts locaux ou extérieurs à la province. Elles rendent donc la défaite improbable, mais limitent aussi les possibilités de victoire.

1) La principale façon de mobiliser les populations

L’installation d’une garnison dans une ville fait de cette dernière une cible potentielle pour le camp adverse. Saint-Brieuc est d’abord une ville ligueuse sous l’influence de son évêque, mais une fois qu’une garnison royale est placée dans la tour de Cesson, elle change de camp. La ville, relativement isolée jusque-là devient une cible récurrente des ligueurs, elle est attaquée deux fois en 1592, et tombe lors de l’attaque menée par Mercœur lui-même lors du mois de novembre. Dans le sens inverse, le château de la Hunnaudaye est effectivement neutralisé à partir de 1593 une fois que sa garnison l’a quittée.

Les garnisons impliquent également les paroisses environnantes dans le conflit, essentiellement sous forme financière. A propos des levées de fonds opérées par d’Aumont dans les environs de Quimper en octobre 1594, Moreau affirme que « cette levée de deniers appauvrit beaucoup le pays, déjà assez ruiné par la guerre. Bref, le maréchal fit tel ménage en ce quartier qu’on le nomma le guéret de la Cornouaille ; aussi appeloit-il lui-même le pays son Pérou, où il avoit trouvé des mines d’or et d’argent. »621

Dans une situation nettement plus délicate, au début du conflit, Châteauneuf, gouverneur de Brest depuis sa prise par coup de main à Rosampoul, a besoin d’hommes et d’argent pour

620 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 89. 621 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 191.

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mener ses expéditions. Il « ne craignoit aucun ennemi, et non-seulement molestoit l’évêché de Léon, qui étoit du parti contraire, en prenant son temps si à propos qu’il les obligeoit malgré eux à se ranger de son côté, quoique ce fût contre leur volonté, mais de plus en retiroit de grosses contributions de deniers, premièrement de la noblesse et de toutes les paroisses du diocèse. »622 Le recrutement contraint d’hommes dans ses troupes semble être un cas unique lors de la guerre, et propre au contexte dans lequel Châteauneuf opère. Cette assertion de Moreau mériterait sans doute davantage d’investigations.

2) Le facteur de stabilité de la guerre

La garnison de Concarneau a peut-être été mésestimée dans les analyses du conflit alors qu’elle est « de grande conséquence au pays, et pour y faire plus de mal que de bien, soit en temps de paix ou de guerre civile ou étrangère, capable d’y loger une grosse garnison, et qui seroit toujours en état de contrecarrer la ville de Quimper. »623 En effet, elle peut servir à contrebalancer l’influence de Quimper sur la Basse-Bretagne, réciproquement la ville de Quimper permet de contrebalancer celle de Concarneau sur ses environs. La prise d’une place ne signifie donc pas la prise de contrôle d’une région.

Au début de la guerre, Saint-Brieuc est relativement protégée des attaques des royaux. En effet, les places de Lamballe, Moncontour, Quintin et Guingamp sont toutes contrôlées par la Ligue. A elles toutes, elles couvrent les environs de Saint-Brieuc.624 Une fois que les royaux prennent Moncontour en 1590, Saint-Brieuc est directement menacée puisque la ville est sans défense. Elle est donc prise la même année. Les deux camps ont alors accès à la cité épiscopale par le biais des places environnantes. Pour contrôler de manière définitive Saint-Brieuc, les autres places doivent toutes être contrôlées par le même camp, ce qui n’arrive plus pendant le reste du conflit.

En effet, il est généralement plus facile de défendre une place que de l’attaquer. Autrement dit, des fonds conséquents sont indispensables pour entreprendre plusieurs sièges lors d’une même campagne. Une place peut tomber, mais le réseau défensif tient encore. Dombes, en se

622 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 38-39. 623 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 46. 624 Voir annexe 7.

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lançant dans le Penthièvre, a lancé une longue guerre d’usure dont il s’est relativement bien sorti. La prise de Guingamp lui a pratiquement ouvert la voie vers la Basse-Bretagne, mais le Penthièvre n’a jamais été sous le contrôle total des royaux même en février 1598, puisque la tour de Cesson n’est prise qu’en avril 1598.625

Cette réalité du conflit rend la campagne de 1594 d’autant plus spectaculaire. Lors de cette dernière, d’Aumont a capitalisé sur les acquis obtenus et conservés par Dombes. Il a en effet profité du renversement de la conjoncture nationale, et de la moindre densité de forteresses en Basse-Bretagne par rapport au Penthièvre et surtout à la Haute-Bretagne. L’effet du réseau de places a donc très peu joué, puisque Quimper et la ville de Morlaix se sont ouvertes aux royaux rapidement.

3) Une réserve de troupes

Les soldats des garnisons sont dispersés dans les places pour assurer leur défense, cependant toutes les places ne sont pas menacées en même temps, ni de la même manière, et pas avec les mêmes forces. Il est donc tout à fait envisageable de mobiliser des garnisons peu menacées pour en renforcer une en difficulté, mener des opérations autonomes, ou rejoindre l’armée de campagne. Certains régiments restent en garnison pendant une bonne partie de l’année, comme celui du sieur du Plessis-Balisson qui est en garnison à Rennes en 1594, mais qui vient tout de même en renfort dans la dernière phase de la campagne du maréchal d’Aumont.626 La quasi- totalité des régiments est concernée par ce phénomène à un degré plus ou moins élevé. Ceci permet de maintenir l’armée de campagne dans un état opérationnel satisfaisant.627

Nous ne disposons malheureusement pas de données pour les effectifs de toutes les garnisons pendant tout le conflit, mais il apparaît que les garnisons sont assez mobiles d’une année sur l’autre.628 Un phénomène de dispersion s’observe notamment une fois la Basse- Bretagne reprise, ce qui n’est guère surprenant. Cette dispersion permet cependant de mobiliser des forces plus facilement sur le territoire de la province sous le contrôle des royaux.

625 AMBROISE, « Une bataille… », op.cit., p. 261. 626 AD35, C2913, f° 86.

627 AD35, C3746. On observe très facilement dans l’Etat des vivres les régiments se succéder en campagne. 628 Voir annexe 7.

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Les hommes mis en garnison sont aussi régulièrement mis en campagne pour des opérations de plus ou moins grande envergure. Par exemple, pour le second siège de l’île Tristan, Sourdéac assemble une armée en ponctionnant les garnisons de Guingamp, Tonquédec, Lannion, Morlaix, Corlay, Lantréguier, Saint-Brieuc, Quintin, Concarneau, Quimper, du château de la Latte et fait appel aux Suisses. Moreau estime le tout à trois mille hommes, quand bien même il n’y en eut qu’environ mille huit cents629. L’île Tristan étant un formidable réduit défensif, Sourdéac a sans doute été contraint d’aller chercher la quasi-totalité des garnisons de Basse-Bretagne pour cette opération.