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1 L’armée royale : anatomie d’une institution

C) Des figures de la politique provinciale

Dans le cadre du conflit, les lieutenants-généraux n’ont pas à eux seuls la capacité de gagner la guerre. Les relations avec les différentes institutions de la province sont déterminantes pour mobiliser les ressources de la province au service de l’effort de guerre.

1) Les relations avec les Etats

Le lieutenant-général a indirectement voix au chapitre sur le choix des députés des Etats par le biais du pouvoir central, car « Sainct Luc et Duplessis receurent lettres de M. le mareschal d’Aumont, se plaignant que les députés de Bretaigne avoient esté nommé sans que sa majesté en prist son advis ; ce qu’il n’imputoit toutesfois pas à sa majesté, mais à l’artifice et ignorance

336 RAISON DU CLEUZIOU, « Journal de François Grignart… », op.cit., p. 72. 337 PICHART, « Journal », in Le journal de Jean Pichart…, op.cit., p. 55. 338 MAUGER, Les gentilshommes bretons, op.cit., p. 161.

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d’aulcungs. »339 Il est également dans ses attributions de présider les sessions annuelles des

Etats de Bretagne,340 qui sont toujours réunis à Rennes pendant la guerre, sauf en 1591 où ils

ne sont pas convoqués.

Les relations entre les lieutenants-généraux et les Etats contiennent de nombreux contentieux, notamment liés aux questions financières. Etant donné qu’ « il sera besoin de faire plusieurs frais et despenses, nous voullons et nous plait, que de ceux qu’il conviendra faire en cet endroit, nostredit cousin le prince de Dombes puisse ordonner, et iceux par les ordonnances faire payer par les trésoriers généraux de l’extraordinaire de nos guerres, ou leurs commis que nous leur ferons délivrer à cet fin. »341 Le souci avec les Etats est que si Dombes dispose d’un vaste pouvoir pour ordonner des dépenses, d’Aumont et ses successeurs en disposent également, les levées de fonds sont contrôlées par les Etats de Bretagne, et ils sont très jaloux de leurs prérogatives.

Le maréchal d’Aumont a également eu l’impression de s’être fait manipuler par les Etats, il leur a obtenu le droit de gérer l’extraordinaire de la guerre,342 mais la contrepartie des Etats sous la forme d’un fonds n’est jamais venue. Dans une lettre datée du 4 juillet 1593, il laisse voir son exaspération : « croyez que si vous me traictez de ceste façon vous me donnerez occasion que ce que j’ai supplié le Roy pour vous faire avoir, je le supplierai pour vous le faire oster ; car ce que j’en ai faict, a esté sur l’assurance que nous ne manquerions de rien. Je ne vous veux point payer en parolles : je vous prie ne me payez point aussi de ceste monnaye- là. »343 Il s’est semble-t-il vengé en compliquant les affaires du trésorier des Etats Gabriel Hus.344 Les relations sous d’Aumont sont donc très mauvaises au début, la campagne de 1594 va cependant rendre les Etats beaucoup plus conciliants avec d’Aumont. Le 25 novembre une lettre des députés des Etats le félicite : « Vous avez conquis en deux mois de hyver et au plus fascheux temps qu’on ait oncques veu soixante lieues sur un pays perdu, et en avez expulsé et chassé le mortels ennemis de la province, qui sans doute s’en fussent rendus maistres. »345

Cependant, malgré ces points d’achoppement, les Etats votent des levées de fonds importantes, et acquiescent aux augmentations des taxes sur le vin pour financer le conflit. La

339 DUPLESSIS-MORNAY, Mémoires…, op.cit., t.6, p. 116.

340 SÉE, Henri, « Les États de Bretagne au XVIe siècle », ADB, t. X, n°1, nov 1894, p. 16-17. 341 DOM MORICE, Mémoires pour servir de preuves…, op.cit., coll. 1499-1501.

342 AD35, C3668.

343 DOM MORICE, Mémoires pour servir de preuves…, op.cit., coll. 1563-1568. 344 AD35, C2643, f° 537-538.

345 DOM MORICE, Mémoires pour servir de preuves…, op.cit., coll. 1625-1626.

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coopération entre le commandement militaire et l’institution financière l’emporte donc sur les questions fondamentales.

2) Le Parlement de Bretagne

Les relations avec les magistrats du Parlement sont moins harmonieuses, ceux-ci s’estiment les représentants de la légalité royale et n’apprécient pas certaines mesures de Dombes qui outrepassent leurs prérogatives. L’exécution publique et sans procès du baron de Crapado a sans doute été le moment où les relations entre le lieutenant-général et le parlement en Bretagne ont été les plus froides. Les magistrats ont aussi des contentieux sur la façon dont la guerre est menée, mais leur fonction première n’étant pas de faire la guerre, les prérogatives de Dombes ne sont pas menacées. Ils n’ont en revanche certainement pas apprécié quand, le 10 décembre 1590, Dombes « avoit fait prendre les gages de messieurs de la cour pour s’en servir à faire la guerre en cette nécessité, comme à la vérité je croi bien qu’il en prit une partie »346 pour des raisons évidentes. Dombes fait également saisir leurs correspondances avec d’Aumont en 1593.347 En 1591, ils appellent néanmoins tous les nobles âgés entre 20 et 60 ans de rejoindre

l’armée royale.348 Les relations restent assez froides avec d’Aumont avant la réussite de sa

campagne de 1594, puis se réchauffent pendant le reste du conflit.

Au-delà de ces considérations assez générales, certains membres du Parlement servent vraisemblablement de relais d’information pour le lieutenant-général auprès du pouvoir central. Duplessis-Mornay envoie ainsi une lettre datée du 21 novembre 1592 à Jean de Bourgneuf, sieur de Cussé, conseiller au Parlement de Rennes, et superintendant de justice de l’armée349 où il s’ « esbahi de ce que vous m’escrivés du nombre dans Anglois ; et je ne puis penseer, veu le grand intérest qu’a la royne en la Bretaigne, veu aussi la teneur du traicté, qu’elle se contente de cela ; ce peult estre le commencement et le reste suit après. »350 Il est surprenant qu’un magistrat du Parlement traite avec un proche conseiller du roi de l’engagement militaire des Anglais en Bretagne. Il s’avère que le sieur de Cussé a été appelé auprès du roi en juillet de la même année, et c’est peut-être à cette occasion qu’il est devenu un relais du pouvoir central

346 PICHART, « Journal », in Le journal de Jean Pichart…, op.cit., p. 56. 347 PICHART, « Journal », in Le journal de Jean Pichart…, op.cit., p. 73. 348 PICHART, « Journal », in Le journal de Jean Pichart…, op.cit., p. 58.

349 MONTMARTIN, « Mémoires… », in Histoire ecclésiastique…, op.cit., p. cclxxxviii. 350 DUPLESSIS-MORNAY, Mémoires…, op.cit., t.5, p.386.

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auprès de Montpensier, qu’il conseille au même moment.351 Il se peut que Cussé serve de relais

pour limiter les risques d’interception de correspondance. Dans la mesure où la province n’est pas sûre et où un messager peut être intercepté et dépouillé de ses lettres, ce qui nous apparaît comme une précaution se révèle une astucieuse méthode pour sécuriser des communications sensibles à moindre frais. D’autant plus que le message témoigne d’un mécontentement mutuel alors que la situation militaire n’est pas des plus favorables. L’hypothèse est corroborée par une lettre au duc de Montpensier du 20 décembre 1593, où Montpensier déclare : « je me servirai du chiffre que M. de Cussé a avec vous, lequel est si bien instruit de ces nouvelles, que je me repose entièrement sur ce qu’il vous en escrira. »352 Le Parlement reste farouchement opposé aux ligueurs, et multiplie les arrêts contre ces deniers. Comme pour les Etats, la coopération reste la plus forte face à l’adversité du conflit.

3) La question des villes prises

Les villes prises sont souvent rançonnées pour éviter le pillage. Les Etats de Bretagne considèrent cette pratique qui date des guerres d’Italie comme une levée de fonds non autorisée, et qui viole donc les termes du contrat d’union perpétuelle de 1532. Le 26 janvier 1595, les Etats reçoivent donc deux députés de Quimper, Yves Alanou et François de Kerguelen, qui souhaitent être remboursés de l’indemnité de guerre récupérée par d’Aumont. En effet, « il auroit receu en forme de prest des habitants de ladite ville la somme de onze mil écus du payement et remboursement de laquelle il les avoit assigné sur le fermier adjudicataire du debvoir de six écus imposé pour l’année présent sur chacune pipe de vin hors du creu de ce pays. »353 Les députés demandent aussi que « conformément à la capitulation », la citadelle que d’Aumont est en train de faire bâtir ne soit pas terminée ou qu’ils en aient le contrôle, selon la coutume. Ils assurent notamment qu’ils la « garderont fidellement comme bons sujets. »354 Les Etats de Bretagne accèdent à leurs requêtes concernant l’indemnité de guerre. Considérée comme un prêt par les officiers des Etats, ils s’engagent à les rembourser.

Au sujet de la citadelle, les Etats n’ont pas de réel moyen de faire imposer leurs vues, et les promesses des habitants ne valent que peu de choses devant la vulnérabilité de la place et la

351 LE GOFF, Le Who’s Who breton du temps de la Ligue., p. 234, voir BOURGNEUF (Jean de). 352 DUPLESSIS-MORNAY, Mémoires…, op.cit., t.5, p. 578.

353 AD35, C2644, f° 53-54. 354 AD35, C2644, f° 51-52.

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méfiance que d’Aumont nourrit à leur égard. Prise en 1591, Guingamp n’a pas la même chance dans son malheur, la ville et les habitants nobles payent une énorme indemnité de guerre de 40000 écus. Il est probable que la ville eût envoyé des députés aux Etats, mais ils ne furent pas réunis cette année-là. Les Etats ne sont donc pas toujours en mesure d’empêcher les usages de la guerre que pratiquent les chefs de l’armée. Après 1595, la rareté des opérations militaires de grande envergure et l’appauvrissement du pays ne permettent pas la répétition de ce genre de situations, qui restent exceptionnelles.

II)

L’entourage des lieutenants-généraux

Le début du conflit fait apparaître une noblesse bretonne qui prend les armes au service du roi lorsque Mercœur entre en conflit ouvert avec Henri III. Bien qu’elle soit amputée de plusieurs commandants de valeur, elle se renouvelle et reste au service du roi. Malgré les vacances à la tête du camp royal, la situation n’est jamais retournée contre les royaux lors du conflit. Cette relative absence de graves difficultés met en évidence le rôle majeur des plus éminents lignages bretons.