• Aucun résultat trouvé

3 « La victoire va à quiconque possède le dernier escudo »

C) L’augmentation des dépenses

La reprise des territoires perdus en 1589 présente le bénéfice d’accroître les ressources à disposition des royaux tout en en interdisant l’accès dans une certaine mesure aux ligueurs. Cependant, la conquête de ces nouveaux territoires est à la fois un fardeau supplémentaire à supporter et à défendre, et une aide supplémentaire à l’effort de guerre.

713 DUPLESSIS-MORNAY, Mémoires…, op.cit., t.6, p. 199.

192

1) Les nouvelles garnisons

La campagne de 1594 permet aux places de Pont-l’Abbé, Quimper, Concarneau, Morlaix puis Corlay de revenir sous le contrôle royal. La Basse-Bretagne est encore relativement épargnée par le conflit. L’armée d’Aumont a certes traversé la région l’année précédente, mais elle nous a semblé être assez disciplinée pendant cette période. Il faut donc conserver pour le roi « la plus saine partie de la Bretaigne demeurée en son service »714 Dans le cas de Quimper, ce sont quinze ou seize compagnies qui sont laissées en garnison sous le commandement du sieur du Pré.715 Bien que ces compagnies aient souffert de la campagne de 1594, elles n’en représentent pas moins un coût significatif, d’autant plus que leurs effectifs sont en cours de reconstitution. La citadelle en cours de construction à la même période entraîne des dépenses supplémentaires, qui ne sont pas négligeables.716 Dans le même temps, les autres garnisons de Basse-Bretagne doivent être entretenues pour conserver le contrôle du pays récemment conquis.

Les anciennes places ne sont cependant pas nécessairement obsolètes. Des places proches des territoires de Mercœur restent tout aussi nécessaires comme Ploërmel, Malestroit, ou encore Clisson. Des places plus éloignées se doivent quant à elle d’être défendues en raison de leur taille, comme Guingamp ou Rennes. Les ports restent constamment vulnérables aux attaques maritimes, des garnisons ne peuvent pas être supprimées sur les côtes du Penthièvre et de Basse- Bretagne. La charge des garnisons augmente donc mécaniquement avec le territoire contrôlé par les royaux. Le cercle victorieux amène donc de nouvelles défenses, et les ressources obtenues ne sont un réel bénéfice que de manière temporaire, avant que le coût des garnisons ne vienne rattraper les gains engrangés l’an passé.

2) Les nouvelles menaces

Les nouvelles conquêtes entraînent de nouvelles dépenses liées à la protection du pays reconquis. Le maréchal d’Aumont en personne le reconnaît lorsqu’il affirme : « Il ne fault pas avoir moindre soing à la garde et conservation desdites villes et places qu’auparavant, ainsy entretenir bon nombre de gens de guerre mesmes en celles naguères remises en l’obéissance de

714 DUPLESSIS-MORNAY, Mémoires…, op.cit., t.6, p. 121. 715 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 215.

716 AD35, C2914 f° 264, f° 528.

193

sadite majesté ; par le moien desquelles si la recepte de quelque deniers ordinaires et debvoirs cy devant imposez s’est augmentée, celle des garnisons ne s’en trouve pas plus grande ; mais au contraire, comme il est nécessaire y laisser des forces pour s’opposer aux ennemis qui essayent par tous moiens d’y entrer pour l’importance dont elles sont, aussy est-il requis pourvoir à l’entretenement d’icelles et augmenter d’aultant qu’elles montent l’imposition et levée du paiement des garnisons plus qu’en l’année dernière. »717

Quimper est l’une des cibles de choix après sa prise par les royaux. Elle est à l’extrémité du territoire contrôlé par les royaux, et ne bénéficie pas des excellentes défenses de Concarneau. C’est pourquoi d’Aumont fait bâtir la citadelle « en ceste ville, encores qu’il sceust ne la pouvoir conserver que par ce seul moyen. »718 La citadelle joue dans ces circonstances pleinement son double-rôle de contrôle de la population et de protection supplémentaire contre les menaces extérieures. Pendant sa construction, la ville reste vulnérable, malgré la présence d’une forte garnison composée de trois régiments,719 aussi mène-t-il une contremarche vers la ville en février pour empêcher les ligueurs de la reprendre. Les opérations de la Fontenelle sont également une menace redoutable pour les villes de Basse-Bretagne, notamment après le sac de Penmarc’h (1595), et celui-ci prépare même une entreprise sur Quimper en 1597.

Paradoxalement, si la menace espagnole que faisait peser sur Brest le fort de Crozon est bien levée pour de bon, la place n’est pas pour autant complètement hors de danger. Les places sont toujours à la merci d’une tentative de coup de main ligueur. L’exécution des plus sommaires du baron de Crapado a peut-être été en partie par le prince de Dombes en raison de la dangerosité des coups de mains sur les places, même les mieux défendues et les plus grandes comme Rennes. Les Espagnols ont encore un espoir de prendre la place par un coup de main, dont la réussite est cependant improbable, et semble plus être une tentative de sauver leur stratégie bretonne. Une dernière menace potentielle existe avec les Anglais, qui se sont retirés avec le sentiment d’avoir été floués par Henri IV et d’Aumont. Les tentatives de persuasion de Sourdéac n’ont cependant aucun effet probant, et la place reste sous contrôle royal.

717 BARTHÉLÉMY, Choix de documents inédits…, op.cit., p. 199. 718 DUPLESSIS-MORNAY, Mémoires…, op.cit., t.6, p. 238. 719 AD35, C2914, f° 486-518.

194

3) Un cercle dépensier

Après la campagne de 1594, le tracé du cercle dépensier est achevé, puisque « pour nous opposer auxdites forces ennemies, et rendre leurs efforts sans effet, il nous convient mettre sur de bonnes et fortes armées pour envoyer ès720 dites provinces, et pour l’entretenement d’icelles entrer en plus grandes dépenses que nous n’avons encore fait jusques à présent en quoy tant s’en faut que nous puissions estre aidés et secourus par nosdites bonnes villes qui s’estont remises en nôtre obéissance, ny que leur réduction apporte encore augmentation, ou commodité présente à nos dites finances qu’au contraire tout ce qui s’en peut tirer ne suffit à pas beaucoup prés pour accomoder les traittés qui en ont été faits, et pour entretenir les gens de guerre ordonnés pour la conservation d’icelles, de sorte que notre principal secours en cette urgente nécessité est en la levée que se fera sur nos dits peuples »721 Les nouvelles conquêtes ont donc généré de nouveaux revenus certes, mais la situation militaire est telle que les garnisons doivent être renforcées. Ce faisant, le cercle victorieux devient en réalité un cercle dépensier, et ce aux dépens des populations civiles. En effet, le fardeau des impositions devient plus lourd pour faire face à ces nouvelles dépenses. Les recettes sont donc consommées par les nouveaux besoins, et le recours aux expédients apparaît inévitable.

Pour maintenir un certain équilibre des finances, il faut donc limiter au maximum les pertes potentielles de revenus. Aumont décide ainsi de « remonstrer et faire instance à Sadite Majesté de l’importance qu’il y auroit pour son service, si elle accordoit le gouvernement de Morlaix au général Norriz comme il prétend ; car il ne perdroit que cinquante mille escus de rente tous les ans, et le meilleur et le plus beau havre de toute la Basse-Bretaigne. »722 Henri IV lui oppose alors le respect des engagements pris, et répond ainsi aux motifs stratégiques et économiques d’Aumont avec des considérations politiques et diplomatiques.723 Ces différences d’approche au même problème nous semblent caractériser un conflit entre l’échelle provinciale et nationale. Notons cependant que le montant de la rente est très suspect, en effet, dans une lettre à Henri IV, le maréchal d’Aumont parle de 200000 écus de rente.724

720 Rappelons que ès signifie en les. 721 AD35, C2644, f° 10-11.

722 DOM MORICE, Mémoires pour servir de preuves…, op.cit., coll. 1614. 723 DOM MORICE, Mémoires pour servir de preuves…, op.cit., coll. 1621-1622. 724 AD35, C2643, f° 596.

195

III) Victoire totale ou victoire économique ?

Lors de la reddition de Mercœur en 1598, la situation militaire est indéniablement en faveur au parti du roi. La réalité est cependant moins déséquilibrée qu’un aperçu aux places tenues le laisse penser. La victoire finale, longtemps attendue par Montmartin, a un goût aigre-doux. Si la Bretagne retrouve la paix, nombreux étaient ceux qui souhaitaient punir davantage Mercœur. Nous nous attelons à décrire et analyser le rapport de forces au milieu et à la fin du conflit.