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3 « La victoire va à quiconque possède le dernier escudo »

B) Un double avantage pour l’armée royale

Même dans une province prospère comme l’est la Bretagne en 1589, les ressources ne sont pas illimitées. La guerre civile accroît cette limitation des ressources en les séparant entre les différents belligérants, qui s’affrontent également pour le contrôle des ressources, notamment financières.

1) La loi du mercenaire

Ce que nous appelons la loi du mercenaire correspond à une appréciation de plusieurs acteurs du début de l’époque moderne, pour lesquels un mercenaire qui travaille pour un parti compte en réalité pour trois hommes. Le premier de ces hommes est celui qui se bat pour le parti en question, le second est celui qui a été enlevé au parti adverse en ayant été recruté, et le troisième est celui qui ne pille pas le pays car il a un emploi. Nous doutons fortement des bienfaits que le troisième homme est supposé apporter, mais le cœur de la loi réside sur les deux premiers hommes.

Les augmentations de puissance dans un conflit armé se font généralement aux dépens d’un autre belligérant. L’exemple le plus spectaculaire de la loi du mercenaire en Bretagne pendant la Ligue est celui de Redon, lorsque Talhouët se soumet, sa garnison le suit. Ce sont donc 600

704 Voir annexe 11.

705 CARNÉ, Correspondances…, op.cit., t.2, p. 130.

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hommes qui changent de camp en une seule fois.706 L’équilibre des forces est quant à lui

bousculé de 1200 hommes, car Mercœur en a perdu 600, et d’Aumont en a gagné autant, du moins sur le papier. L’équilibre est en réalité encore plus bouleversé à ce moment-là, car si d’Aumont dispose de plusieurs milliers d’hommes, il n’en est pas de même pour Mercœur qui a perdu beaucoup plus proportionnellement à la totalité de ses forces.

Cependant, la loi du mercenaire ne s’applique pas qu’aux hommes, et il n’est même pas requis que l’un perde et que l’autre gagne. Par exemple, la reddition de Saint-Malo fut un atout majeur pour les royaux. Même si la capitulation stipulait une exemption temporaire d’impôts, les Malouins n’allaient plus mener d’action hostile contre le parti du roi. De plus, « pour donner preuve audit ennemy de la bonne dévotion qu’ils lui portent, ont fourny au Marchal d’Aumont et à Norriz, collonel des Anglais, non seullement des provisions, mais aussi des poudres, boulletz, et autres munitions de guerre qu’ilz ont recouverts par la licence de V.M. des pays de son obéissance. Ce secours a fort aidé auxdictz ennemys à nous faire la guerre, en leur conqueste de la Basse-Bretaigne et du fort de Croson. »707 L’absence de contribution militaire directe sous forme d’hommes ou d’argent est aisément compensée par la livraison de matériel militaire à un moment crucial pour les affaires du roi en Bretagne.

2) Un cercle victorieux ?

« Le plus certain est de bien mesnager ce qu’on a dans la patrie, pour en faire un appui. Et puis espérer du dehors ce qu’on en pourra tirer. »708 Cette appréciation de François de la Noue est aussi partagée par le maréchal d’Aumont, elle est probablement nourrie par leur expérience des guerres de Religion. Le 1er juin 1593, d’Aumont affirme en effet que pour gagner la guerre, « tout consiste à faire ung fond prompt et assuré, duquel nous puissions maintenir et accroistre les forces ; car sans cela il n’en fault espérer autre chose, sinon que tout se réduira à néant, et vos affaires revenues à leur première confusion. »709

Les régions contrôlées par les royaux en 1593 sont possédées depuis 1589 pour l’essentiel de la Haute-Bretagne, et conquises en 1590-1591 pour le Penthièvre. L’échec de la campagne

706 HAMON, « Prospérer dans la guerre ?... », op.cit., p. 96. 707 CARNÉ, Correspondances…, op.cit., t.2, p. 69.

708 LA NOUE, Discours politiques et militaires, op.cit., pp. 223-224.

709 DOM MORICE, Mémoires pour servir de preuves…, op.cit., coll. 1563-1566.

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de 1592 a empêché l’accroissement des ressources des royaux, ils ont même perdu une partie de leur capacité dépensière, en raison de la perte de quelques places et des prédations des soldats. Il devient donc de plus en plus nécessaire de prendre des territoires, ne serait-ce que pour maintenir le niveau de dépenses de l’armée.

La campagne de 1594 est le moment où ce cercle victorieux commence à se matérialiser. En effet, en quelques mois, la quasi-totalité de la Basse-Bretagne repasse dans l’obéissance du roi. Les indemnités collectées sur les villes et les paroisses permettent à l’armée de finir cette campagne éprouvante, tandis que les perspectives de futures rentrées fiscales augurent d’une augmentation significative des revenus en 1595.710 L’arrivée des renforts en décembre 1594 dans la province participe aussi à ce renforcement éclair du parti royal, qui semble en mesure de battre Mercœur pour de bon.

La reprise des villes est également un facteur de renforcement du moral des royaux, et d’affaiblissement de celui des ligueurs. En plus d’être des centres politiques, financiers et militaires, les bonnes villes sont également des enjeux symboliques. C’est en particulier le cas de Morlaix, la ville de la Sainte-Union qui ouvre ses portes à d’Aumont, signe que la faveur du temps a changé. Le maréchal se félicite ainsi au sujet de la prise de Morlaix dans une lettre datée du 18 octobre à l’abbé de Sainte Melaine d’avoir « esté plus fin que [Mercœur] sur ce coup [la trêve] ; car je lui osté cent mille écus de rente tous les ans. »711 La lettre est également reproduite dans les registres de délibérations des Etats de Bretagne,712 signe que la victoire militaire a rapidement été transformée en victoire diplomatique et politique sur Mercœur, puisque ce dernier a accepté une trêve qui permettait aux royaux et aux Anglais de consolider leurs acquis.

3) La nécessité d’une guerre d’usure

La guerre d’usure qui se développe peu à peu en Bretagne est assez caractéristique des guerres au XVIème siècle. La prédominance des places fortes permet au parti le plus faible de survivre tant qu’il maintient une certaine masse critique. C’est un avantage indirect pour le parti royal au début du conflit, qui dispose de places fortes pratiquement imprenables pour les armées

710 Voir annexe 4.

711 DOM MORICE, Mémoires pour servir de preuves…, op.cit., coll. 1614. 712 AD35, C2643, f° 581-582.

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du début du conflit. Ces dernières manquent en effet de moyens, en particulier d’artillerie pour mener des sièges avec une bonne perspective de succès.

Cette situation crée une impasse militaire dans laquelle les royaux sont en mesure de renforcer les forces de la province alors que les réseaux de clientèle de Mercœur et de ses lieutenants, moins prestigieux et puissants, ne peuvent récupérer à la même vitesse. La perte d’un lieutenant est donc un coup dur et difficilement remplaçable pour la Ligue. Ainsi les royaux peuvent à partir de 1594 diviser les ligueurs et les rallier un à un. Dans une lettre du 3 mars 1595, Duplessis-Mornay écrit : « Pour [les négociations de ralliement] des sieurs marquis de Belle Isle, Boisdauphin et Talouët, elles sont bien acheminées ; mais seroit besoin pour les achever au plustost, que sa majesté lui feist entendre les ouvertures et offres qui leur pourroient estre faictes pour leur contentement »713

De l’autre côté du golfe de Gascogne, les Espagnols ont les moyens de mener un conflit en Bretagne, mais leur situation militaire et surtout financière n’est pas avantageuse. En effet, les forces espagnoles sont dispersées sur la majeure partie de l’Europe occidentale, et la Bretagne n’est pas la première préoccupation de Philippe II. La province ne reçoit donc pas les ressources financières et humaines nécessaires pour obtenir des résultats probants par rapport à la stratégie qu’Hervé Le Goff a mise en lumière. Néanmoins, les investissements espagnols sont indéniables pour assurer la sécurité d’un corps expéditionnaire qui ne peut accomplir son principal objectif, la prise de Brest, seul, et dont l’allié n’a aucune intention de l’aider à atteindre cet objectif.