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1 L’armée royale : anatomie d’une institution

B) Répartition numérique en fonction du temps

Les efforts consentis pour la guerre en Bretagne ne sont pas uniformément répartis tant dans le temps que dans l’espace. La guerre non plus n’exerce pas une pression répartie équitablement sur l’armée. Il s’agit donc de déceler les variations d’effectifs dans l’armée. Nos estimations reposent sur les Etats de dépenses et sur les comptes de l’extraordinaire de la guerre lorsqu’ils sont disponibles. Les « trous » dans nos sources administratives sont couverts par les Histoires de Thou et Aubigné, ainsi que par les différents Mémoires.

1) 1589-1593 : une armée limitée

L’année 1589 marque la création d’un embryon, puis d’une véritable armée en Bretagne. Les premières levées En juin 1589, Dombes serait entré avec « plus de 2000 hommes de pied et deux cens bons chevaux »,189 en plus des 400 hommes levés dans la province. L’armée royale devait compter à ce moment-là entre 3000 et 3500 hommes, garnisons comprises. Les levées d’hommes sont poursuivies pendant le reste de l’année 1589, le sieur de Sauyé doit par exemple lever 200 fantassins supplémentaires en décembre 1589.190 Lors du siège d’Hennebont, Aradon estime l’armée qui l’assiège à environ 2500 fantassins et 500 cavaliers, soit une dizaine de compagnies à effectif plein et 10 régiments pleins.191 Dombes reçoit régulièrement des renforts pour son armée. En novembre 1590, 800 lansquenets entrent en Bretagne.192 L’année suivante, le corps expéditionnaire anglais vient renforcer son armée de 2400 hommes, et l’armée reçoit 100 cavaliers et 800 arquebusiers supplémentaires après le siège de Lamballe que Lavardin a amenés.193 Ces nombreux renforts sont cependant utilisés pour combler les pertes subies lors des opérations, et remplacer les déserteurs. En 1592, Saint-Luc lève 3 régiments et quelques compagnies de cavalerie en Saintonge.194

189 DOM MORICE, Mémoires pour servir de preuves…, op.cit., coll. 1488-1489, 1501-1502. 190 DOM MORICE, Mémoires pour servir de preuves…, op.cit., coll. 1504.

191 ARADON, « Journal », in Histoire ecclésiastique…, op.cit., p. cclxiv.

192 THOU, Histoire Universelle…, op.cit., t.7, p. 679. Montmartin affirme qu’il n’y en a que 700, MONTMARTIN,

« Mémoires… », in Histoire ecclésiastique…, op.cit., p. cclxxxvi.

193 THOU, Histoire Universelle…, op.cit., t.8, p. 8. 194 THOU, Histoire Universelle…, op.cit., t.8, p. 96.

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Dans le même temps, les garnisons, bien qu’elles soient encore assez réduites se développent peu à peu. Elles contiennent également les effectifs les plus fiables jusqu’en 1592, où les comptes de l’extraordinaire prennent le relais. Nous disposons d’un état des dépenses pour les années 1589 et 1591, mais les années 1592 et 1590 restent assez mystérieuses. Ces Etats calculent les coûts à partir des effectifs théoriques, et ne concernent pas les unités en campagne. Ils nous ont permis d’établir un effectif minimum de l’armée royale dans ces années, mais aussi sa composition.195 Il est cependant impossible d’établir une estimation précise des effectifs de combattants pour le roi, à cause des lacunes documentaires, mais aussi des combattants irréguliers qui aident les royaux sans apparaître dans nos sources.

2) 1594-1595 : le temps des campagnes victorieuses

Pour cette période, nous disposons des comptes de l’extraordinaire qui sont plus précis que les Etats de dépenses, puisqu’ils consignent les rôles de montres. Cependant, les effectifs indiqués ne sont pas entièrement fiables en raison de l’usage des passe-volants.196 Les effectifs

sont également plus complexes à estimer. Les montres sont rigoureusement datées, or il n’y a aucune standardisation dans les dates de celles-ci. Certaines compagnies ne sont payées qu’une fois par an, comme la compagnie de gendarmes du sieur d’Avaugour, à Clisson.197

En 1593, le roi avait accordé des moyens à d’Aumont pour affronter Mercœur si ce dernier « est disposé de continuer la guerre, je vous envoye incontinent les forces de provinces circonvoisines, ou bien que je vous donne advis des garnisons où vous pourrés loger les gens de guerre qui sont près de vous. »198 Mercœur décidant de poursuivre le combat après la trêve, des renforts, notamment d’artillerie sont envoyés depuis Le Mans et Angers en mars 1594 en préparation de la campagne de 1594.199

Ces forces vont aider dans la campagne de 1594.200 L’armée de campagne est alors plus nombreuse qu’elle ne l’a jamais été à ce point dans la guerre, ce qui lui donne les moyens de mener ses opérations sans trop affaiblir les garnisons. Elle dispose surtout de réserves, qui

195 Voir annexe 20. 196 Voir annexe 18 et 24. 197 AD35, C2913, f° 317.

198 DE BERGEY, Recueil des lettres missives de Henri IV, op.cit., t.4, p. 3-4. 199 DUPLESSIS-MORNAY, Mémoires…, op.cit., t.4, p.443-444.

200 Voir annexe 10.

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s’avèrent cruciales pour la fin de la campagne. Le siège de Crozon est une véritable épreuve pour les unités royales, qui y perdent une proportion significative de leurs effectifs. La montre réalisée à Locronan le 3 décembre 1594 permet de constater l’état d’épuisement de l’armée.201

Cependant, des renforts entrent à ce moment en Bretagne et permettent aux royaux de conserver leurs capacités offensives. La campagne de 1595 est cependant assez peu réussie en raison du départ des Anglais, et du désastreux siège de Comper.

A la fin de 1595, les difficultés financières rattrapent l’armée royale, et celle-ci est amputée d’un cinquième de ses effectifs.202 C’est ce fait qui marque la fin de ce temps des victoires, car l’armée n’est plus assez nombreuse pour reproduire une campagne décisive comme l’avait été celle de 1594.

3) 1596-1598 : trêves, négociations, stagnation

Bien que nous disposions des comptes de l’extraordinaire des guerres pour les années 1596- 1598, les rôles des montres ne sont pas consignés à l’intérieur. Nous sommes donc contraint de recourir de nouveau aux Etats de dépenses, mais nous ne disposons que d’un seul état pour les garnisons de l’année 1596. Les années 1597-1598 sont donc laissées aux suppositions et aux estimations des chroniqueurs.

Dans une lettre aux Etats réunis en novembre 1595, Henri IV reconnaît que « nous estant impossible de pouvoir en façon quelconque subvenir à nôtre dite province de Bretaigne des moyens tirés d’ailleurs »,203 les renforts cessent donc d’arriver, et les unités royales en Bretagne sont laissées à elles-mêmes pour tenter de finir la guerre. Cela n’est pas sans conséquences. En effet, les renforts avaient été d’une grande utilité pour rattraper les dégâts que pouvaient causer les désertions, ou des opérations militaires coûteuses en soldats, qu’elles soient réussies ou non. Leur disparition signifie que l’armée va être usée lentement, sans pouvoir compter entièrement sur le recrutement local pour remplacer ses pertes. L’arrêt des opérations militaires a peut-être

201 Voir annexe 17. 202 Voir figure 11. 203 AD35, C2644, f° 177.

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contribué à réduire ce processus, dans le même temps les moindres opportunités de butin ont pu pousser des soldats à déserter.

Néanmoins, les renforts ne sont plus aussi nécessaires que par le passé. En effet, la situation militaire est relativement favorable aux royaux. De plus, ces derniers bénéficient du fait d’être sur la défensive, or lors d’un siège, la supériorité numérique de l’attaquant doit être garantie pour espérer obtenir des résultats. L’état d’épuisement des deux camps les empêche donc de repartir à l’offensive de manière décisive avec plusieurs milliers d’hommes. Des affrontements de l’ordre de plusieurs centaines d’hommes sont encore possibles comme au Plessis-Bertrand en 1597, mais ils ne sont pas en mesure d’infliger un coup fatal à l’effort de guerre de l’autre camp, même en état d’essoufflement. Brissac ne peut plus mobiliser que 1500 hommes pour sa campagne en 1597, soit un peu plus de la moitié de l’armée d’Aumont trois ans plus tôt. Les effectifs des garnisons restent cependant assez élevés, confirmant la nature défensive du conflit après la fin du siège de Comper.