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1 L’armée royale : anatomie d’une institution

A) Créer et maintenir une armée

Contrairement aux flottes de combat, une armée peut être rapidement levée sous certaines conditions : la disponibilité, immédiate ou proche, d’hommes aptes au combat et à la vie des camps, de cadres, d’équipements individuels et collectifs, de consommables de guerre, et d’argent. Nous nous intéressons donc à la combinaison de ces différents éléments, et à leur transformation progressive en une armée.

175 MONTMARTIN, « Mémoires… », in Histoire ecclésiastique…, op.cit., p. cccii.

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1) Recruter les hommes

Les premières unités à connaître le combat sont levées dans la province, sans doute par le biais des réseaux de clientèle pour la cavalerie. Dans l’infanterie, la situation est beaucoup plus incertaine. Nous ne disposons d’aucune information dans le brevet sur le processus de recrutement des 200 arquebusiers à pied que le sieur du Plessis-Trehen doit lever à partir du 31 mars 1589. 176

Des renforts sont également envoyés en Bretagne pour compléter les troupes bretonnes déjà levées, et celles en cours de recrutement. Ainsi, « le comte de Soissons aiant receu quelques régiments levez nouvellement, la plus part de ceux qui avoient desfoit les Gautiers, et quatorze compagnies de gens d’armes, s’estoit avancé en Bretagne, hasté de nouveau par la reprise de Rennes, avec le désir de parfaire son armée à la faveur de ceste grande ville. »177 L’armée envoyée en Bretagne va cependant commencer sur une fort mauvaise note, puisque son avant- garde est décisivement défaite à Châteaugiron, et son chef capturé par Mercœur, empêchant l’armée royale de bénéficier d’un commandement suprême.178

Des unités supplémentaires sont donc levées en Bretagne et dans les provinces environnantes pour tenter de rétablir la situation. Le 4 juin 1589, le sieur de Trans devient donc capitaine par brevet et doit lever 200 fantassins.179 Le sieur du Plessis-Trehen et ses 200

arquebusiers se préparent également à accueillir Dombes et son armée le 14 juin.180 Notons que tous ces hommes levés sont des volontaires, il n’y a pas de conscription forcée à l’époque des guerres de Religion.181 La taille importante des compagnies au début du conflit peut s’expliquer par le manque d’officiers expérimentés et capables de mener des hommes au combat avec efficacité. Le flux de renforts ne cesse cependant pas, puisque le parti royal est encore en difficulté, le 1er mars 1590, La Tremblaye arrive avec son régiment fraîchement levé dans le Poitou.182 Ce renfort arrive à point nommé puisque l’armée est alors en difficulté au siège d’Ancenis, qui est finalement levé.

176 DOM MORICE, Mémoires pour servir de preuves…, op.cit., coll. 1488-1489.

177 AUBIGNÉ, Théodore Agrippa d', Histoire Universelle, Tome III, Maille, Jean Moussat, 1620, p. 175. 178 PICHART, « Journal », in Le journal de Jean Pichart…, op.cit., p. 16.

179 DOM MORICE, Mémoires pour servir de preuves…, op.cit., coll. 1499. 180 DOM MORICE, Mémoires pour servir de preuves…, op.cit., coll. 1501-1502. 181 LA BARRE DUPARCQ, L’art militaire…, op.cit., p. 20.

182 PICHART, « Journal », in Le journal de Jean Pichart…, op.cit., p. 29.

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2) Règlements et discipline

Les soldats du roi sont normalement censés observer les règlements mis en place sur les relations avec la population. Ils ne sont donc pas censés piller, voler ou violenter les populations. Voici la théorie, en pratique la situation est bien différente et les consignes ne sont pratiquement jamais suivies. Les Suisses ont cependant leur propre code de discipline.

Les exactions lors des premières années sont telles que le texte de la trêve générale signée en 1593 stipule que « les laboureurs pourront, en toute liberté, faire leurs labourages, charrois, envoys accoutumés, sans qu’ils puissent estre empeschés ni molestés en quelque façon que ce soit, sur peine de la vie à ceulx qui feront le contraire. »183 Nous doutons que ces dispositions de la trêve aient été observées, puisque les textes des prochaines trêves reprennent les mêmes exigences, avec tout aussi peu de succès selon les chroniqueurs.

Il est cependant possible de faire respecter les ordonnances. En effet, l’année suivante, lors de sa campagne d’Aumont « rend son expédition populaire en imposant à son armée une discipline rigoureuse à laquelle la population n’est pas accoutumée ; et, pour montrer qu’il vient rétablir la sécurité des campagnes, il détruit auprès de Guingamp les repaires de deux brigands (dont un mestre de camp de l’armée royale) qui rançonnent le pays ; et il ne dédaigne pas, lui maréchal de France, d’aller de sa personne le menacer d’un siège. »184 Ces affirmations de

Trévédy ont suscité chez nous un certain scepticisme, en raison des comportements des troupes royales pendant le reste de la guerre. Il semble cependant que les troupes royales aient observé une discipline, au moins correcte, au mieux très bonne lors de cette campagne. En effet, le chanoine Moreau a une haute opinion sur le comportement des troupes royales pendant la campagne, alors qu’il est résolument favorable à la Ligue et très hostile aux soldats.185 Il rapporte ainsi « qu’il n’y eut la moindre insolence commise par les soldats à l’endroit des femmes. » Les punitions sont cependant très strictes ; humiliation publique, ou exécution, mais elles ne jouent pas un rôle dissuasif en raison du manque de personnel pour contrôler le comportement des soldats.

183 DUPLESSIS-MORNAY, Mémoires…, op.cit., t.5, p. 477. 184 TRÉVEDY, « Etats de l’armée royale… », op.cit., p. 115. 185 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 214.

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3) La vie militaire

Bien que son métier soit le combat, le soldat ne se bat en réalité qu’assez peu, même en période de guerre. En garnison, il remplit des missions liées à la mise en défense de la place : guet, travaux de renforcement, surveillance, entraînement. Pour les soldats en garnison dans des châteaux s’ajoutent les veilles et la vie dans la forteresse. Pour ceux en ville, il se peut qu’ils travaillent également dans l’économie civile.

En campagne, le soldat marche, et marche même beaucoup, généralement au son du tambour. En 1594, l’armée d’Aumont marche sur au moins cinquante kilomètres entre Guingamp et Morlaix. Notre estimation est fondée à partir du trajet le plus court sur une carte, puisque nous n’avons pas trouvé de renseignements sur les routes sur ce trajet pendant la Ligue. De plus, l’armée a également affronté des brigands sur le chemin,186 ce qui augmente encore la distance parcourue pour ce qui n’est qu’une étape de la campagne. Il participe également aux distributions du pain de munition, qui lui donne les calories nécessaires pour continuer à marcher.

L’un des principaux divertissements des soldats semble être la boisson, qui permet de se détendre. Le maréchal des logis des Suisses, Jacques Hedelin reçoit ainsi 157.33 écus, ce qui constitue le reste d’une plus large somme utilisée pour acheter « le nombre de cinquante pippe de vin au prix de cinquante deux escus la pipe pour icelluy. »187 Il est fort probable que le reste de l’armée soit tout aussi porté sur la boisson. Le vin reste populaire, notamment celui de Gascogne, et le cidre semble être sur une pente ascendante dans les troupes.

Les soldats se battent également en duel, bien que son appréciation soit difficile à établir précisément. Ainsi, le 30 juillet 1593, Aradon rapporte que l’un de ses gendarmes s’est battu en duel, et qu’il l’a gagné.188 Dans la mesure où l’honneur est un aspect essentiel de la société violente d’Ancien Régime, et qu’il transcende les classes sociales et les partis, il est raisonnable d’estimer que les soldats royaux n’étaient pas en reste dans ce domaine.

186 TRÉVEDY, « Etats de l’armée royale… », op.cit., p. 115. 187 AD35, C2914, f° 172.

188 ARADON, « Journal… », in Histoire ecclésiastique…, op.cit., p. cclxxvi.

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