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3 « La victoire va à quiconque possède le dernier escudo »

A) Jugement divin et entreprise coûteuse

La bataille peut être considérée comme une sorte de pari. De vastes ressources sont investies pour venir affronter l’ennemi, mais l’issue de la rencontre est impossible à prédire. De plus, les risques comme les récompenses potentielles sont grands : destruction de l’armée de campagne ennemie, capture de nombreux chefs ennemis, prise de plusieurs places, voire un coup mortel au moral du parti ennemi. La bataille a donc le potentiel pour renverser l’équilibre des forces dans une guerre où les effectifs sont réduits.

1) Légitimité et propagande

Moreau indique ainsi que de nombreux guidons et enseignes576 ont été perdus lors de la bataille de Craon. Or l’enseigne, ou le guidon pour les compagnies de cavalerie sont des étendards symbolisant le prestige et l’image de la compagnie. L’accumulation de ces trophées renforce ainsi le prestige de Mercœur, en tant que chef de guerre capable d’emporter une victoire décisive, mais aussi la légitimité de sa lutte. En effet, le roi est encore protestant, excommunié alors que Mercœur se bat pour la foi, au moins selon ses thuriféraires. Les étendards ennemis peuvent cependant être obtenus en d’autres occasions, les royaux récupèrent

575 LE ROUX, Le crépuscule de la chevalerie…, op.cit., p. 150. 576 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 108.

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les tambours et les enseignes des compagnies ligueuses lors de la prise de Guingamp en 1591 dans le cadre de la négociation pour la reddition de la place.577

Des engagements d’une certaine ampleur impliquent également la capture potentielle d’une des figures du parti, ainsi à propos du comte de Soissons, Montmartin déclare que « les logis, que l’on pense les plus asseurez à la guerre, sont quelques fois les plus périlleux. »578 En effet, non seulement l’avant-garde de l’armée royale a été sérieusement amoindrie, mais le prestige de la Ligue en Bretagne et son aura sont renforcées. Le chef du parti royal a été vaincu et capturé avant même qu’il ne pût prendre ses fonctions. Ce genre de mauvaise publicité est très néfaste au parti du roi. Non seulement les gentilshommes sont moins enclins à s’engager pour le roi lors des premiers temps du conflit, qui sont pourtant cruciaux, mais les royaux de la province peuvent être démoralisés après avoir reçu une aussi mauvaise nouvelle. Une grave défaite a donc un coût militaire, financier et surtout politique qui peuvent être très lourds. Il a souvent été affirmé que Mercœur aurait pu prendre Rennes s’il s’y était jeté juste après sa victoire sur le champ de bataille de Craon. Cette affirmation repose exclusivement sur la supposition que les forces politiques et militaires, ainsi que la population auraient été trop démoralisés pour faire face à un siège.

2) Le problème des pertes

Les pertes dans une bataille, ou un autre engagement majeur ne sont pas toutes composées de morts au combat, s’y ajoutent les blessés, et les disparus. Une partie de ces pertes peut donc être récupérée après un certain temps, ce qui circonscrit le caractère décisif de la bataille à un intervalle de temps assez court, qui dépend des capacités des deux camps à remplacer leurs pertes. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une bataille à proprement parler, les assauts sur le fort de Crozon sont un exemple flagrant des problèmes que peut amener un engagement coûteux comme une bataille. L’armée a subi de nombreuses pertes au cours du siège, et les assauts qui ont emporté le fort ont fait augmenter le chiffre des pertes. Moreau affirme ainsi que « les trois cents qui étoient dedans en coûtèrent aux nôtres plus de trois mille sur les lieux, sans y comprendre ceux qui y moururent puis après de fatigues, un nombre de plus d’autant. »579. En

577 DOM MORICE, Mémoires pour servir de preuves…, op.cit., coll. 1537-1538. 578 MONTMARTIN, « Mémoires… », in Histoire ecclésiastique…, op.cit., p. cclxxx. 579 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 207.

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réalité il y avait trois compagnies de 150 soldats chacune, mais celles-ci n’étaient pas tout à fait au complet580. Elles étaient cependant dans un état remarquable avant le siège, avec des effectifs

réels d’environ 90% des effectifs théoriques, surtout en comparaison des unités royales au même moment, et leur réputation de vétérans des campagnes des Pays-Bas n’est certainement pas usurpée.

A Craon, si l’armée royale a été vaincue, les pertes ont été distribuées très inégalement en fonction des unités. Rappelons que dans une bataille de l’époque moderne, les pertes sont surtout infligées une fois que l’une des armées rompt le combat et s’enfuit. Les unités qui s’enfuient en premier bénéficient donc de davantage de chances de survivre. Les cavaliers ont également d’assez bonnes chances de survie, d’une part car ils peuvent échapper à leurs poursuivants, d’autre part parce qu’il y a plus de nobles potentiels à rançonner. Ce sont ces facteurs qui expliquent qu’à Craon, ce fut surtout l’infanterie qui perdit des hommes.581 Les pertes restèrent cependant limitées puisqu’il « ne mourut point cinq cens hommes. »582

3) Le « coût » de la bataille

Ce que nous appelons le coût de la bataille correspond au matériel perdu, mais aussi aux ressources financières qui disparaissent au cours de l’engagement ou après celui-ci. Après Craon, les royaux de Maine et de Bretagne ont perdu huit canons et quelques couleuvrines.583

Ces pertes en matière d’artillerie sont conséquentes dans l’absolu, mais elles sont partagées entre les forces de Bretagne et du Maine. Les royaux de Bretagne ont donc laissé à leur ennemi une bonne portion de leur artillerie, mais leurs capacités de siège ne sont pas en danger. En effet, les villes sont d’importantes pourvoyeuses d’artillerie pour les sièges des places situées à proximité.

Une mobilisation de capitaux est également nécessaire pour payer les rançons rapidement. En effet, « la perte du titulaire d’une commission pour lever une compagnie ou un régiment ne suffisait pas à rendre ces unités incapables de combattre, mais le lien personnel et financier au capitaine désorganisait leur capacité opérationnelle et réduisait la possibilité de renouveler leurs

580 Voir annexe 12.

581 RAISON DU CLEUZIOU, « Journal de François Grignart… », op.cit., p. 76. 582 MONTMARTIN, « Mémoires… », in Histoire ecclésiastique…, op.cit., p. ccxcv. 583 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 108.

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effectifs et de combler leurs pertes. »584 Par exemple, la compagnie de gendarmes du baron du

Pont, après sa mort est commandée par son lieutenant le sieur de la Giffardière. Celui-ci est ensuite capturé, c’est donc le cornette le sieur de Penguen qui prend le commandement. La compagnie est dissoute après le siège d’Hennebont.585 La compagnie a donc survécu trois mois après la mort de son capitaine, mais a finalement disparu. Une rançon qui tarde à libérer un capitaine n’est pas un souci, mais si une grande quantité de chefs militaires est capturée, la proportion d’unités désorganisées devient un problème majeur. Là encore, les prisonniers nobles ayant été assez peu nombreux, les finances des serviteurs du roi n’ont pas trop souffert du conflit.

Enfin, l’équipement perdu au combat doit être remplacé, ce qui constitue un poste de dépenses important. Nous n’avons pas trouvé de documents sur le remplacement de l’équipement après la bataille de Craon, mais nous en avons sur la récupération après la défaite royale à Châteaugiron. Les marchands René Boyet et Nicolas Grindone sont alors payés respectivement 300 et 260 écus pour avoir équipé des soldats désarmés avec 56 et 52 arquebuses, avec « fourniements » et des bandoulières après la débâcle.586