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1 L’armée royale : anatomie d’une institution

A) Contrôler les places fortes

Dans un temps de guerre de siège, le rôle traditionnel des places est de protéger et de contrôler les centres de population, ainsi que d’empêcher les forces ennemies de se déplacer et d’utiliser leur logistique.

1) Typologie des places fortes

La Bretagne débute le conflit avec un réseau de places fortes largement obsolète face à l’artillerie moderne, celui-ci datant de la guerre de Succession de Bretagne ou de la fin du XVème siècle. Néanmoins, plusieurs places restent d’importance significative par leurs défenses naturelles ou leur position stratégique.

Moreau estime ainsi que les quatre places les plus importantes de Bretagne sont Nantes, Brest, Saint-Malo et Concarneau. Il est intéressant de noter que tant les ligueurs que les royaux n’arrivent jamais dans le cours du conflit à posséder les quatre forteresses simultanément. A propos de cette dernière, il déclare : « située en une forte assiette, étant sur un roc peu élevé, tout environné de marécages et de mer, à l’exception du côté de la principale porte qui est vers l’accident, où il y a un bon retranchement et doubles murailles avec deux grosses tours, une devers la mer et l’autre vers la terre, ayant quarante pieds d’épaisseur dans la muraille, et bien flanqué et garni de canons. » La place est donc bien située pour se défendre, nécessitant une flotte et une armée pour l’assiéger. Ses fortifications rendent un hypothétique assaut très coûteux en soldats. Enfin, elle dispose d’un dernier avantage « La mer est presque à l’entour, excepté aux fossés de ladite porte quand elle est basse ; mais sitôt que son flux commence, il y a de l’eau qui fait qu’elle est fort aisée à garder. Située en pays uni et découvert, sans faubourgs ni maisons que bien éloignés, ladite place est de forme ovale, ayant environ quatre cents pas de long et cent ou six vingt de large. »214 La place bénéficie donc de la marée pour sa défense,

limitant à des heures prévisibles les attaques, dans un endroit lui aussi connu à l’avance et permettant de concentrer au maximum l’effort défensif. La réduction des possibilités d’attaque au minimum rend des places comme Concarneau théoriquement imprenables, mais en fait aussi de puissants points d’appui pour tenir la campagne. Quant à une attaque par la mer, elle n’est

214 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 46-47.

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guère plus assurée de succès, en effet « le havre n’y est guère sûr, et il y a beaucoup de dangers pour y en approcher, la rade et les avenues étant pleines de rochers à fleur d’eau et la mer fort basse ; les vaisseaux de moyenne grandeur y courent fortune, s’ils ne sont conduits par de bons pilotes »215. En plus de la difficulté inhérente aux opérations amphibies, les récifs réduisent ici aussi les possibilités d’attaque, permettant aux défenseurs de concentrer leurs atouts.

Bien que les villes soient les principales places fortes du parti, les royaux disposent également de châteaux isolés, comme le château de la Latte, ou celui de La Hunnaudaye jusqu’en 1592. Enfin, quelques îles ont des garnisons en raison de leur importance stratégique locale. Pour les ligueurs il s’agit des îles de Groix et de Belle-Isle, pour les royaux il s’agit de l’île de Bréhat en face de Paimpol, point d’appui du corps expéditionnaire anglais, et marginalement de l’île d’Ouessant, prise en 1592. 216

2) La protection des places fortes royales

Les places fortes sont la matérialisation sur le terrain du rapport de forces militaires. Lorsque l’armée doit protéger les places fortes, elle joue sur les difficultés pour l’assiéger, par exemple la surface de la ville. Une grande ville comme Rennes, avec ses soixante-deux hectares217 de superficie a ainsi un périmètre218 de presque trois kilomètres à couvrir par

l’armée assaillante pour débuter le siège. En réalité, le périmètre à couvrir est encore plus important car les assaillants doivent se mettre hors de portée de l’artillerie et des tirs des assiégés. Cette réalité des sièges met l’armée assiégeante dans une position extrêmement délicate. Elle est en effet obligée de disperser ses forces pour couvrir toutes les issues dont les assiégés disposent.

215 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 48. 216 Voir annexe 15.

217 LE GOFF, Hervé, « Fougères durant la Ligue, ou l’impossible siège », Bulletin et mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie du pays de Fougères, 2011, 49, p. 29.

218 Voici comment nous avons procédé, en supposant que la place soit circulaire :

𝐴𝐴 = 𝜋𝜋𝑟𝑟2, où A correspond à l’aire (en m²), r au rayon (en m), et d au diamètre (en m, d = r*2)

𝐷𝐷² = 4𝐴𝐴𝜋𝜋 = 78981 m, donc D = 889m P = 2* 𝜋𝜋 *r = 2791m

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Une marche de l’armée en campagne suffit donc à faire lever un siège, comme à Moncontour en 1593 ou à Vitré en août 1589.219 Le siège est donc une entreprise assez risquée,

si bien que « tous les sièges de villes-fortes, comme on le voit, n’étaient pas couronnés de succès, surtout durant les deux premières années de guerre. »220 Certaines places demandent donc un tel investissement en ressources humaines, matérielles et financières qu’elles en deviennent imprenables en raison des moyens insuffisants des assiégeants. Cet état de fait joue aussi contre les royaux, Norreys estime par exemple qu’il lui faudrait 10 000 hommes et 20 canons pour prendre Fougères, or ces effectifs ne sont jamais atteints.221

La dernière façon de protéger les places forces consiste à aller prendre les places ligueuses qui menacent d’une manière ou d’une autre les positions royales. C’est notamment le cas en 1597 lors de la prise de l’église de Saint-Suliac. La place est en effet proche de Saint-Malo, ralliée au roi depuis 1594.222 Avec Dinan, que les royaux ne sont alors en mesure d’assiéger, la place complique les communications terrestres de Saint-Malo avec le reste des territoires contrôlés par les royaux, comme Pontorson. Bien que la ville elle-même ne soit pas menacée, le Plessis-Bertrand constitue un point d’appui ligueur dans une région encore relativement contestée.

3) Réduire le potentiel des places ligueuses

Pour réduire le potentiel de nuisances de places ligueuses sans les prendre directement, les royaux disposent de plusieurs méthodes à leur disposition : principalement le pillage des environs, et le blocage des places. En 1589, le sieur du Goust prend Blain par surprise. Il tient la place jusqu’à la fin de 1591, et attaque régulièrement les échanges commerciaux vers et à partir de Nantes. Les méthodes de pillage de Goust sont si efficaces que Moreau affirme qu’ « il tenoit tout le pays en subjection, si bien que personne ne pouvait aller ni venir à Nantes par le côté de la rivière, et même ils avaient des bateaux pour aller sur la rivière, et ils prenoient des barques et des bateaux qu’ils pilloient »223 Néanmoins, ce genre de tactiques peut être

219 HAMON, Philippe, « “Vitray, qui s’en alloit perdu…” (Brantôme) : le siège de Vitré et les engagements

militaires en Haute-Bretagne au début des guerres de la Ligue (mars-août 1589) », SHAB, 2009, 87, p. 118-119.

220 LE GOFF, « Fougères durant la Ligue, ou l’impossible siège », op.cit., p. 31. 221 LE GOFF, « Fougères durant la Ligue, ou l’impossible siège », op.cit., p. 33. 222 LE GOFF, La Ligue en Bretagne…, op.cit., p. 326.

223 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 98-99.

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dangereux. Après deux ans de harcèlement régulier, et de cargaisons perdues, les nantais, excédés des raids de Goust en viennent à payer le siège de Blain pour leur « ôter ces épines de leurs pieds ».224

Des salades sont également utilisées pour bloquer des places à la fin du conflit, rendant la garnison essentiellement inutile. Celle-ci ne peut plus mener d’opérations sur le commerce, d’embuscades, renforcer l’armée en campagne ou soutenir d’autres places en difficulté. La garnison ne peut donc plus agir en dehors de la place, mais il faut encore mobiliser des fonds pour payer cette dernière. Ainsi, pour la place de Craon, « il sera pourveu, s’il plaist à vostre majesté entretenir d’un costé dedans Chasteau Gontier trente salades, et de l’aultre en une maison forte, qui lui sera nommée, aultres cinquante ou soixante. »225 Notons cependant que la mobilisation de quatre-vingts ou quatre-vingt-dix salades est un investissement conséquent pour la trésorerie des royaux. De plus, les hommes mobilisés au blocage de la place ne sont plus forcément disponibles pour accomplir d’autres missions, qui peuvent présenter un intérêt supérieur. Ce genre de tactiques reste donc rare, et limité à des places d’importance majeure, car les royaux n’ont pas les moyens de bloquer plusieurs places ligueuses en même temps. A deux reprises, plusieurs places ennemies furent bloquées. En octobre 1594, d’Aumont envoie un détachement bloquer le fort de Crozon pour y préparer le siège pendant qu’il va prendre Quimper. La seconde opération n’est restée qu’à l’état de projet, d’Aumont prévoyait d’assiéger simultanément Pontivy et Corlay au cours de l’hiver 1595. Les Anglais étant sur le départ, les moyens sont devenus insuffisants pour mener un siège supplémentaire, et seule Corlay fut prise.