• Aucun résultat trouvé

3 « La victoire va à quiconque possède le dernier escudo »

A) L’importance du contexte national

La Ligue n’est pas une simple conjuration nobiliaire, son but est fondamentalement politique : assurer le maintien du royaume de France et du Très-Chrétien dans la sainte foi catholique apostolique et romaine. Force est de constater que cet objectif fut atteint, malgré des résultats très mitigés sur le terrain.

1) La disparition du fondement de la Ligue

« La Ligue a été formée dans le but de donner à la France un roi catholique, or Henri IV est maintenant catholique, donc elle n’a plus de raison d’être. »725 La trêve générale de 1593 est un

avantage indirect pour la Bretagne, Henri IV reconnaît lui-même dans une lettre à d’Aumont datée du 3 août, juste après son abjuration « que la résolution que j’ay prinse d’accorder la trefve n’est fondée que sur l’espérance que par le moyen d’icelle il me sera plus aisé de traicter la paix. »726 La trêve limite les exactions sur le pays, et permet de débuter des négociations avec les ligueurs, voire même d’espérer obtenir des ralliements spontanés, maintenant que leur objectif est atteint. Même si les ligueurs bretons ne se rallient que très peu, l’entrée dans Paris au début de l’année suivante renforce considérablement la légitimité d’Henri IV. A ce moment- là, Lézonnet traite déjà pour se rallier, et les Malouins agissent aussi de la sorte.

725 POCQUET, Histoire de Bretagne…, op.cit., p. 247.

726 DE BERGEY, Recueil des lettres missives de Henri IV, op.cit., t.4, p. 3-4

196

Pour ramener la paix en Bretagne, et discréditer Mercœur, Duplessis-Mornay suggère au roi un renvoi mutuel des étrangers : Espagnols, Anglais, et Suisses, tout en sachant que « [Mercœur] ne l’accomplira pas, par ce qu’il ne le peult ; et cependant cette proposition est plausible en la province »727. La légitimité de Mercœur est encore davantage écornée par les échecs successifs des négociations, en partie orchestrés par Duplessis-Mornay car « si le blasme de ce traité non faict tombe sur lui à quoi il fault tendre, s’il ne marche plus de droict pied, la pluspart [des villes] lui eschapperont. »728

La concrétisation la plus frappante de ce retournement de situation a lieu aux Etats de 1594, tandis que les Etats ligueurs se réunissent pour la dernière fois, les Etats royalistes sont sensiblement plus nombreux.729 L’année suivante, les Etats demandent de « faire instruire en ladite relligion [catholique] les seigneurs de Rohan et de Laval nés pour estre les deux principalles lumières de son autorité en la province » car la conversion de H4 a pacifié le royaume.730 La pacification de la situation dans le royaume fait que « comme les affaires du sainct party de l’Unyon, à veue d’œil, se vont ruynant en France, par je ne sais quel malheur, duquel se resentant la Bretaigne. »731 Tout comme dans le Midi toulousain, « il y eut bien une guerre, mais la décision ne vint jamais des armes. »732 Nous préciserons cependant que la décision ne vint jamais des armes seules.

2) La guerre contre l’Espagne

Alors que l’Espagne est en guerre contre les Provinces-Unies, l’Angleterre, et la France, Mercœur continue de demander des renforts que Philippe II n’a pas les moyens de lui envoyer. Le chef rebelle demande ainsi de constituer une force de 6000 Espagnols, accompagnée de 2000 lansquenets et 500 cavaliers, en plus des 3000 hommes pour tenir garnison.733 Ce n’est qu’avec cette force massive qu’il considère pouvoir « faire la guerre avec résultat ». La guerre contre l’Espagne, si elle affaiblit le parti du roi en concentrant les efforts sur le nord du royaume,

727 DUPLESSIS-MORNAY, Mémoires…, op.cit., t.6, p. 121. 728 DUPLESSIS-MORNAY, Mémoires…, op.cit., t.6, p. 186. 729 GRÉGOIRE, La Ligue en Bretagne, op.cit., p. 238. 730 AD35, C2644, f° 135-141.

731 CARNÉ, Correspondances…, op.cit., t.2, p. 43.

732 SOURIAC, « Comprendre une société… », op.cit., p. 269. 733 CARNÉ, Correspondances…, op.cit., t.2, p. 78.

197

affaiblit encore plus Mercœur proportionnellement puisqu’il ne peut plus compter que sur son allié éparpillé sur plusieurs fronts.

Si Mercœur ne peut plus espérer recevoir de soutien conséquent, les royaux ne sont pas forcément mieux lotis. Dans une lettre patente adressée aux Etats en 1594-1595, Henri IV, par le biais de Saint-Luc « fait entendre auxdits sieurs des Etats la bonne volonté que Sa Majesté avoit de les soulaiger, mais qu’à l’occasion des grandes dépenses qu’il estoit contrait suporter contre les efforts de l’espaignol l’ancien annemy de cet Etat qui est entré en la France par divers endroits, lequel il est nécessaire chasser, et principalement hors de cette province ce qui ne se peut faire sans estre aidé des moyens desdits sieurs des Etats, les priant y vouloir adviser, et pourvoir comme ils ont fait jusqu’à présent. »734

La situation n’est pas non plus très brillante pour le corps expéditionnaire espagnol. En effet, il est positionné en territoire ennemi, dans un pays qui est considérablement appauvri par des années de guerre. Le théâtre des Pays-Bas, dont une partie conséquente est sous contrôle espagnol, et qui est sensiblement plus riche focalise l’attention du cabinet de l’Escurial. C’est en 1597 que le corps expéditionnaire se mutine pour tenter de récupérer sa solde. Même la partie la plus puissante des ennemis du roi en Bretagne se décompose au fur et à mesure que le conflit s’éternise. Pourtant, Mercœur reçoit régulièrement des nouvelles de renforts espagnols, qui n’arrivent pas en nombre suffisant pour changer la situation.

3) La fin de la guerre civile

La fin des guerres de la Ligue n’a pas d’effet direct sur la situation en Bretagne. En effet, contrairement à ce que l’on pourrait penser, aucun nouveau renfort libéré par la fin des affrontements n’arrive, cependant « la paix étant générale par toute la France, et ne restant seulement que la Bretagne, en laquelle le parti de son Altesse diminuoit tous les jours et en voie de diminuer de plus en plus. »735 Le parti de Mercœur s’affaiblit de deux façons : d’une part, des nobles et des soldats font défection, soit vers le parti du roi, soit vers les brigands, soit rentrent chez eux, d’autre part, les ralliements à son camp sont devenus rares.

734 AD35, C2644, f° 5-6.

735 MOREAU, Mémoires…, op.cit., p. 163.

198

La motivation des Espagnols à faire survivre la Ligue est également amoindrie car d’Aguila « a averti qu’il savait et même était certain que les gouverneurs des villes voudront traiter chacun pour soi »736. Dans la mesure où l’autorité de Mercœur ne parvient plus à contenir le

désir de ralliement de ses lieutenants, il est évident qu’il ne peut plus être considéré comme un partenaire fiable par ses alliés espagnols, qui le contournent pour traiter directement avec ses lieutenants. Le duc de Mercœur ne représente alors presque plus que lui-même. Des ralliements potentiels de villes sont également autant d’épées de Damoclès qui pèsent sur le corps expéditionnaire espagnol, qui risque constamment de se trouver isolé s’il repart en campagne loin de son point d’appui de Blavet. Le corps expéditionnaire est donc contraint à rester sur la défensive, voire à l’immobilisme.

De plus, les difficultés financières rencontrées dans tous les camps et l’appauvrissement du pays ne justifient plus financièrement les opérations dans la province. Il est généralement attendu qu’une armée placée en territoire ennemi soit en mesure de vivre, au moins partiellement sinon totalement, sur le pays. Cette situation ne peut plus être atteinte en Bretagne, le corps expéditionnaire a donc pour principale fonction stratégique de contraindre les royaux à laisser le maximum de forces en Bretagne pour soulager les fronts des Pays-Bas et de la Franche-Comté. En effet, à cette période le comte de Fuentes remporte de nombreux succès sur la frontière nord, et la limitation des renforts royaux permet au comte de poursuivre sa série de victoires avec moins de difficultés.