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3 « La victoire va à quiconque possède le dernier escudo »

B) Les réserves de combattants, avantage royal ?

La population combattante étant professionnelle, même avec l’assistance des populations locales pour certaines opérations particulières, la proportion des combattants par rapport à la population civile reste faible. Le contrôle du territoire pour disposer de plus de troupes n’est donc pas une relation linéaire, la connexion avec des voies pour les renforts est également un atout majeur. Certaines provinces sont ainsi des viviers de recrutement reconnus et abondamment utilisés. Dans le cas de la Bretagne, il s’agit essentiellement de la Gascogne qui fournit plusieurs régiments qui s’illustrent en 1594 et 1595.

584 LE GOFF, Hervé, « « Je parais en effet ce que je ne suis pas ». La bataille de Craon (23 mai 1592) : Apogée de

la ligue bretonne et victoire en trompe-l'œil », in LE PAGE, Dominique (dir.), 11 batailles qui ont fait la Bretagne, Morlaix, Skol Vreiz, 2015, p. 180.

585 RAISON DU CLEUZIOU, « Un capitaine protestant… », op.cit., p. 25. 586 AD35, C3742.

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1) L’influence des provinces environnantes

Les provinces voisines fournissent des soldats qui viennent se battre en Bretagne. Au début, elles représentent une menace supplémentaire, quoique improbable pour le parti du roi. Mercœur reçoit néanmoins des renforts venus de Normandie pour le siège de Vitré en 1589.587 Inversement, les provinces reconquises aident ponctuellement le parti du roi en Bretagne, en 1590, pour tenter de lever le siège de Blavet, Dombes assemble son armée. Celle-ci est alors composée de 5 compagnies de gendarmes, 6 compagnies de chevau-légers, 17 compagnies d’arquebusiers à cheval, de sa compagnie personnelle, et de 3 régiments d’infanterie.588 Il reçoit également des renforts venus de Normandie et dispose de 2 canons et de 2 couleuvrines réquisitionnés sur Hennebont.

A la fin du conflit, elles exercent une forme de pression sur Mercœur, et l’obligent à allouer des forces à la défense de ses flancs est et sud, là où le début du conflit lui était sensiblement plus favorable, le Maine étant sous le contrôle de la Ligue en 1589. La reprise de Mayenne en 1593 par d’Aumont avec les renforts destinés à la Bretagne : 500 fantassins et 300 cavaliers fait partie de ces évènements qui bénéficient indirectement au parti royal. Des menaces potentielles sont écartées pour eux, et de nouvelles créées pour les ligueurs. Par exemple, lorsqu’en août 1595, Boisdauphin se soumet à Henri IV, il lui apporte les places de Sablé et de Château- Gontier.589 Les voies d’entrée en Bretagne sont donc élargies, et Mercœur est obligé de

surveiller davantage son flanc est, et d’y allouer une portion plus élevée de ses troupes déjà bien réduites.

Des opérations ont également lieu dans les provinces avoisinantes avec des troupes bretonnes, le sieur de Champsavoy et le sieur de Vaupatry participent ainsi à la défaite du régiment de Birague en Normandie en 1590.590 Peu après, le prince de Dombes aide son père pour la prise d’Avranches. Le flanc sud de Mercœur est en revanche sécurisé pour la plus grande partie du conflit grâce à la neutralité des Gondi.591

587 MONTMARTIN, « Mémoires… », in Histoire ecclésiastique…, op.cit., p. cclxxx. 588 THOU, Histoire Universelle…, op.cit., t.7, p. 677.

589 CONSTANT, Jean-Marie, Les Guise, Paris, Hachette, 1984, p. 443.

590 RAISON DU CLEUZIOU, « Journal de François Grignart… », op.cit., p. 73.

RAISON DU CLEUZIOU, « Un capitaine protestant… », op.cit., p. 26.

591 GREGOIRE, La Ligue en Bretagne, op.cit., p. 48.

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2) L’importance de la conquête

La situation après la bataille de Craon est assez délicate pour les royaux, mais les gains mineurs réalisés par Mercœur ne réduisent pas vraiment l’aptitude des royaux à mobiliser de nouveaux soldats. Premièrement, Vitré est toujours sous leur contrôle et des renforts sont prévus, même si ces derniers n’arrivent qu’en 1593. Deuxièmement, le noyau du parti du roi en Haute- Bretagne a été assez peu touché par les opérations après Craon, cela facilite le recrutement pour les royaux. En effet, la région a été durement éprouvée par la guerre, devenir soldat permet donc d’éviter de subir les prochaines exactions. De plus, l’absence de l’armée de Mercœur offre aux royaux une proximité géographique de leur foyer de recrutement où la concurrence ligueuse ne peut pas rivaliser.

Après la campagne de 1594, « quelques ungs se pouroient se merveiller et trouver estrange de voir pareil, voir plus grand nombre de gens de guerre établis ès villes, places fortes de ceste province durant la présente année que par le passé, veu que toutes choses se sont bien advancées depuis six mois que plusieurs bonnes villes et places et chasteaulx ont esté réduictz qui debvroient aultant apporter de soulagement au peuple. »592 Il peut sembler surprenant qu’une

fois la situation militaire rétablie dans son équilibre, et même en faveur du roi, les effectifs ne soient pas diminués. Bien au contraire, les nouvelles unités permettent de couvrir les nouvelles garnisons.

Ces garnisons ont un avantage majeur, leur potentiel de pillage. Elles confinent les nobles ligueurs à la neutralité maintenant que leur chef ne peut rétablir la situation militaire. Le risque de voir leurs propriétés pillées lors de leur service auprès du duc de Mercœur a dû détourner une certaine quantité de nobles de revenir faire la guerre aux royaux. Les gains potentiels, de plus en plus faibles à mesure que le pays s’appauvrit, ne compensent plus le pillage certain de sa maison par les garnisons, ou les autres unités environnantes. Même les brigands servent dans ces circonstances d’incitation à rester chez soi pour défendre ses biens, alors qu’au début du conflit, ils dissuadaient les royaux pour les mêmes raisons. Ils concrétisent ainsi l’inversion du rapport de forces militaires à partir de 1594.

592 BARTHÉLÉMY, Choix de documents inédits…, op.cit., p. 198.

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3) L’évolution au fil du temps

Les renforts extérieurs reflètent bien l’intérêt que porte le pouvoir central aux questions bretonnes. Lorsque les royaux de la province sont en difficulté, des renforts sont assez rapidement trouvés. L’influence du duc de Montpensier, père du prince de Dombes, a sans doute joué une part non négligeable dans l’obtention de renforts successifs qui permettent au parti royal de maintenir ses effectifs. L’arrivée des 800 lansquenets dans la province fin 1590

est très probablement un fait du duc de Montpensier.593 Dombes seul ne dispose pas de

suffisamment d’influence, et le théâtre breton ne revêt qu’une importance secondaire, si ce n’est marginale à Henri IV lors de la première partie du conflit, qui ne justifie donc pas d’envoyer des unités aussi performantes. Paradoxalement, sur la période 1589-1592, les vagues de renforts sont les plus nombreuses.

L’arrivée d’Aumont coïncide avec une nouvelle vague de renforts, qui permet aux royaux d’obtenir une forme de parité numérique, une fois combinés aux Anglais, face aux ligueurs et aux Espagnols réunis. Face aux menaces que font peser les Espagnols sur Brest, d’Aumont obtient davantage de renforts que Saint Luc mène en Bretagne au moment où la campagne de 1594 s’achève par la victoire décisive d’Aumont sur Mercœur et ses alliés espagnols. C’est cependant la dernière fois que des renforts sont envoyés en Bretagne. La province n’est plus menacée, et négocier la reddition du chef ennemi devient la principale priorité, suivie par le départ, voulu ou forcé, du corps expéditionnaire de Philippe II. Au moment où presser l’avantage aurait été des plus judicieux, les renforts n’arrivent plus, et les finances royales de Bretagne n’arrivent plus à payer pour la guerre.

Le rapport entre effectif sur le terrain et capacité dépensière est en effet assez proche, c’est- à-dire que l’effectif est directement corrélé aux finances d’un camp. Une fois que le camp ne peut plus financer la guerre, il est contraint d’abandonner une partie de ses combattants. C’est ce qui se passe chez les royaux à la fin 1595. L’armée est réduite d’un cinquième, mais la situation financière ne s’améliore pas pour autant.594 Cette situation a peut-être entraîné une crise des vocations pour rejoindre l’armée, puisque cette dernière n’a pas les moyens de payer ses hommes. Les finances de Mercœur étant dans un état tout aussi catastrophique, les deux camps n’ont plus de réserves, et surtout plus les moyens de les mobiliser.

593 DE THOU, Histoire Universelle…, op.cit., t. 7, p. 679. 594 AD35, C2644, f° 269-272.

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